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Martin Lasarte : « Griezmann voulait dévorer la terre entière »

Propos recueillis par Aquiles Furlone
Martin Lasarte : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Griezmann voulait dévorer la terre entière<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Martin Lasarte à beau être l'actuel entraîneur du Nacional Montevideo, le type qui a lancé Luis Suárez dans le grand bain, ou encore celui qui a permis à la Real Sociedad de retrouver l'élite espagnole, il est surtout le premier coach à avoir cru en Antoine Griezmann. Et ça, ça valait bien une interview.

Vous avez lancé Luis Suárez au Nacional Montevideo, puis Antoine Griezmann à la Real Sociedad. Est-ce qu’il y a des ressemblances entre les deux ?À leurs débuts, aucun des deux ne doutait. Ce qui a tout de suite attiré mon attention chez Antoine, c’était le fait qu’il prenne toujours les bonnes décisions, malgré son jeune âge. Il était plus complet que Suárez, il savait faire plus de choses sur un terrain. Il donnait un coup de main à la récupération, il aidait son latéral, et même s’il était ailier, il avait pas mal de facilité devant les buts. Moins qu’aujourd’hui, c’est clair, mais il se débrouillait bien. Et puis il centrait déjà très bien aussi. Luis, en revanche, faisait toujours la même chose. Son truc, c’était les buts, il n’était attiré que par les cages adverses. Le reste, il s’en fichait un peu. Quand j’ai appris à connaître Antoine, j’ai compris que j’avais encore affaire à un jeune qui, comme Luis, était prédisposé à réaliser ses rêves. À dix-huit ans, Suárez me disait déjà qu’il allait jouer pour le Barça. Antoine, lui, me parlait beaucoup de la sélection française, de la possibilité de jouer un Mondial. Il n’avait aucun doute qu’il finirait avant-centre. Ces deux joueurs-là ont toujours eu les idées claires. Ils savaient où ils allaient. Plus d’une fois, j’ai dû les freiner, parce qu’ils bossaient trop : « C’est bon, tu arrêtes maintenant. Tu as fait une heure de trop là, rentre chez toi ! » À chaque fois, les deux me répondaient la même chose : « Je reste encore un peu. » Ils travaillaient les coups de pied arrêtés, les volées, ils travaillaient tout. Ils en voulaient toujours plus. Ils savaient qu’ils étaient perfectibles. Je n’ai pas connu les meilleures versions de ces deux joueurs, mais je voyais bien qu’ils avaient le niveau, le talent et la mentalité pour devenir des futurs très grands. Encore une fois, Luis est un avant-centre pur, très classique. C’est un finisseur, un joueur très fort physiquement. Plus jeune, il avait tendance à grossir, mais c’était déjà un animal qui devait affiner sa technique. Griezmann, c’était tout le contraire, il était très fin techniquement, mais il devait prendre du muscle.

Quand vous débarquez à la Real Sociedad, vous repérez tout de suite Griezmann ?Antoine était dans les catégories inférieures, il n’était même pas chez les Juveniles (l’équivalent de la CFA, ndlr). Ce serait un mensonge de dire qu’il m’a tout de suite tapé dans l’œil, car ce n’est pas le cas. Nous étions en pré-saison et il me manquait un ailier qui puisse jouer sur le flanc gauche. Le club était en train de prospecter sur le marché, et en attendant, je faisais confiance à des jeunes du centre de formation. Le joueur que je voulais faire monter était à l’infirmerie, à sa place, on m’a donc envoyé Antoine, qui n’était même pas titulaire dans son équipe… Il est venu, il s’est bien entraîné, et j’ai décidé qu’il allait faire toute la pré-saison avec les pros. Puis au bout d’un moment, je me suis dit que le joueur qu’on était en train de chercher, en fait, c’était lui.

Quand est-ce que vous avez compris que Griezmann était un joueur de talent ?Au bout du troisième entraînement. À l’époque, pour se préparer, on enchaînait les matchs amicaux et il avait été particulièrement brillant à chaque fois. Il avait même marqué à plusieurs reprises. C’est là qu’il m’a convaincu que c’était le type dont on avait besoin.

Vous gardez des souvenirs de ces premiers matchs ?Il avait marqué deux buts et on lui en avait annulé un autre. C’était exactement les mêmes qu’il marque aujourd’hui. Je me souviens qu’il avait mis un petit piqué au-dessus du gardien, quelque chose que les jeunes ne tentent habituellement pas lorsqu’ils débutent avec les pros. Et puis, il y avait ses transversales. Elles étaient magnifiques. Il n’en ratait pas une seule.

Carlos Bueno a été très important dans sa carrière. C’est lui qui lui a appris le jeu de tête par exemple. Quand je le vois mettre des buts de la tête, il me rappelle Bueno.

Certains de vos dirigeants ont remis en cause le fait que vous conserviez Griezmann dans le groupe pro à l’époque…Ils étaient nombreux à penser, et Loren le premier (l’actuel directeur sportif de la Real, ndlr) que c’était prématuré de le lancer dans le grand bain alors qu’il n’avait même pas disputé le moindre match avec les juvéniles. Les dirigeants me disaient que c’était une mauvaise idée, ils ne voulaient pas qu’on le grille. Mais moi, j’avais l’intuition à ce moment-là que je pouvais faire confiance à Antoine. Il voulait dévorer la terre entière et il ne m’a pas déçu.

Il était déjà mature selon vous ?C’est ça. Il avait dix-huit ans, mais c’était un gamin qui prenait des décisions d’adulte sur un terrain. Quand il jouait, il paraissait plus âgé. Il écoutait tout ce que disaient les joueurs vétérans. On sentait cette soif d’apprendre qu’on ne retrouve pas forcément chez certains jeunes de cet âge. Il n’avait peut-être pas la mentalité qui est la sienne aujourd’hui, mais on sentait déjà qu’il avait du caractère, qu’il n’était pas faible. Et puis il n’avait pas besoin qu’on lui explique les choses deux fois pour les comprendre. Ça a toujours été un futé.

Quelles étaient ses références à l’époque ?Claudio Bravo a pas mal influencé Griezmann. C’est un cérébral, quelqu’un qui réfléchit beaucoup, et il avait déjà pas mal d’expérience à l’époque. Il a beaucoup aidé Antoine. Carlos Bueno (l’ancien attaquant du PSG, ndlr) était aussi un modèle à suivre pour Antoine. Il a été très important dans sa carrière. C’est lui qui lui a appris le jeu de tête par exemple. Quand je le vois mettre des buts de la tête, il me rappelle Bueno. Ils restaient après les entraînements, Carlos lui disait : « Au moment de mettre la tête, utilise les coudes, les bras, appuie-toi sur l’adversaire. »

Comment vous y êtes-vous pris pour que Griezmann ne soit pas une promesse sans lendemain ?Ça s’est fait de manière naturelle. Il a été titulaire lors du cinquième match de la saison, et il n’est plus jamais sorti de l’équipe. Cette saison-là, j’avais recruté Jonathan Estrada, un Colombien avec qui Antoine est devenu ami. À la base, c’était lui qui devait être titulaire, mais Griezmann l’a mangé. Au début, il fallait être très attentif, disponible avec Antoine, puis il a pris son envol rapidement. Ça nous a demandé de l’énergie, mais du jour au lendemain, le petit blond aux yeux bleus est devenu la star de l’équipe et de la ville, l’enfant chéri du coin… Tout le monde voulait l’approcher, les représentants, les fans, les filles… Il fallait être sur lui pour ne pas qu’il s’éparpille. Et en même temps, je voulais aussi qu’il se trompe par lui-même. Je pense qu’il a apprécié le fait de lui laisser cette liberté-là. J’ai été un joueur médiocre, j’ai eu la chance de faire des choses importantes, mais je n’ai jamais dépassé le stade de la médiocrité lorsque je jouais. C’est quand je suis devenu entraîneur que je me suis rendu compte des erreurs que j’avais faites étant joueur. Comme j’étais limité, je faisais très attention à l’alimentation, au repos, à ne pas sortir, à ne pas boire. Bref, j’étais trop professionnel par rapport aux autres. J’aurais dû m’accorder plus de liberté, être plus flexible par rapport à une hygiène de vie qui, à l’époque, était sacrée pour moi. Avec le temps, je me suis rendu compte que tout devait être plus élastique. La vie d’un footballeur, c’est quelque chose de spectaculaire, et il ne faut pas se priver. La vie est plus importante que le football. C’est normal qu’un jeune de dix-sept, vingt ou vingt-deux ans fasse des conneries, c’est naturel, sain, même. Il faut être mesuré par rapport à la profession, mais il faut bien vivre pour bien jouer. Généralement, le footballeur se trompe sur la quantité, le jour ou les moments où il décide de faire telle ou telle chose. Mais il se trompe rarement sur ce qu’il doit faire ou pas. Antoine, je lui mettais quelques limites à ne pas dépasser, mais souvent je le laissais expérimenter des choses par lui-même, pour voir comment il se comportait. Ça me permettait de le féliciter lorsqu’il prenait le bon chemin et d’avoir des discussions enrichissantes avec lui lorsqu’il s’était trompé.

Quand il va venir pour te frapper et que l’arbitre siffle la faute, tu prends un peu d’herbe et tu lui dis : « Tiens, mange ça, bourrin. »

Griezmann a côtoyé beaucoup de joueurs sud-américains, beaucoup de Rioplatenses. Il a une mentalité uruguayenne selon vous ? Bien sûr, il a des manies qui nous sont propres. C’est un joueur qui ne se rend jamais. Au contraire, il ne se tait pas, les critiques glissent sur lui. Je me souviens d’un match contre Málaga qui résume ce mélange d’insouciance et de force de caractère qui est la sienne. Ce jour-là, il allait se frotter à Weligton, un Brésilien très fort physiquement, dur sur l’homme, qui n’était pas du genre à faire le voyage pour rien. Antoine venait juste de rentrer du Mondial qu’il avait disputé avec les Bleuets en Colombie, il n’avait pas fait la pré-saison avec nous. Au moment d’entrer sur le terrain, je lui dis : « Quand il va venir pour te frapper et que l’arbitre siffle la faute, tu prends un peu d’herbe et tu lui dis : « Tiens, mange ça, bourrin. » » C’est un truc que tous les Uruguayens et Argentins font. Ce jour-là, je lui ai dit ça presque en rigolant, mais jamais je n’aurais pensé qu’il puisse le mettre en pratique. Et pourtant, c’est ce qu’il a fait. Griezmann ne s’est pas démonté, il n’était pas intimidé et il a fait péter un câble à Weligton, qui est finalement sorti sur un rouge.

Les coutumes rioplatenses Voilà. Il y avait aussi le maté. Pablo Balbi, mon préparateur physique, a commencé à l’initier à ça. À partir de là, il n’a jamais pu s’en passer. La première année, je lui avais ramené un kit de maté complet en revenant de mes vacances à Montevideo. J’ai été le premier à lui offrir tout le nécessaire.

Pourquoi il s’est rapproché autant des Sud-Américains ?Les Basques ont un sentiment identitaire très fort, et même si c’était tous des bons coéquipiers, ils restaient souvent entre eux. Du coup, ceux qui n’étaient pas basques se réunissaient souvent pour aller prendre un café par exemple. Dans ce groupe-là, il y avait Bueno, Antoine, Bravo, Diego Rivas, de la Bella… Des étrangers et des non basques. Ce petit groupe était surnommé l’ONU. Le fait qu’il soit loin de chez lui, de sa famille, explique aussi qu’il se soit autant rapproché des Sud-Américains. Il avait dix-sept ans, il était un peu seul. À cet âge-là, on intègre tout ce qui nous semble intéressant, marrant ou surprenant. C’était quelqu’un de malléable, car il n’avait pas de relation quotidienne avec ses parents. J’ai parlé une fois à son père, Alain. Il m’avait appelé pour me dire de veiller sur son fils. Il ne voulait pas qu’il tourne mal, il s’inquiétait un peu.

Du coup, vous étiez un peu comme son père de substitution ?Je ne me permettrais pas de dire ça. Je ne pense pas que j’ai été son père, mais, à un moment donné, je pense que j’ai été bien plus qu’un simple entraîneur à ses yeux. Nous avions une relation très amicale, très tendre. On peut dire qu’on a été complices.

Antoine est né en France, il a été formé en Espagne, il est compétiteur comme un sud-américain. C’est cet ensemble de choses qui explique le joueur qu’il est.

Quand est-ce que Griezmann a fait le grand bond en avant selon vous ?Il n’a jamais vraiment changé, à part physiquement bien sûr. Quand il s’est entraîné chez les pros la première fois, il était maigrelet, mais il savait qu’il devait améliorer cet aspect-là pour triompher dans l’élite. Tout le reste, il l’a assimilé progressivement. Il a repris nos habitudes et il les a adaptées à sa manière de jouer et à son caractère. Attention, je ne dis pas qu’on l’a transformé, hein. Il y a des Français qui nous ressemblent naturellement, comme il doit y avoir des Uruguayens qui ressemblent à des Canadiens par exemple. Mais il faut dire que lui, il a toujours eu cette mentalité qu’ont les Uruguayens. Pour lui, rien n’est jamais perdu. Mentalement, il n’a pas de limite. Le fait qu’il ait côtoyé autant d’Argentins et d’Uruguayens a dû augmenter sa « garra » (sa hargne en VF, ndlr). El Cholo et Burgos ont contribué à cela aussi, j’en suis sûr.

Le fait d’avoir Godín comme capitaine aussi…Je pense que oui. Peut-être qu’il a eu des doutes sur lui-même, ou sur ses décisions, mais tout ce qu’il s’est passé à l’Atlético lui a permis de cimenter son caractère, fortifier sa personnalité et ses désirs. Ça l’a renforcé, c’est évident. Après, Antoine est né en France, il a été formé en Espagne, il est compétiteur comme un Sud-Américain. C’est cet ensemble de choses qui explique le joueur qu’il est.

À l’époque, vous pensiez qu’il finirait un jour par devenir un prétendant au Ballon d’or ?Franchement, j’étais persuadé qu’il finirait par être un très bon joueur. Lorsque nous avons retrouvé l’élite avec la Real, lors de ma première conférence de presse en tant que coach de Liga, j’avais dit que Griezmann allait devenir une icône du club. Tout le monde avait été surpris. On me prenait pour un fou, j’ai fini par dire : « Soit je vois des choses que vous ne voyez pas, soit vous n’avez pas vu ses matchs en deuxième division. » Encore une fois, je savais qu’il allait être très bon, mais de là à devenir l’un des meilleurs joueurs du monde… Ce type a eu une évolution impressionnante. Personne ne pouvait prévoir qu’il allait être troisième du Ballon d’or.

Griezmann est devenu un supporter inconditionnel du Nacional Montevideo grâce à vous et aux autres Uruguayens qu’il a côtoyés. Vous pensez qu’il pourrait jouer là-bas un jour ?On ne sait jamais. Les différences économiques avec le football européen sont énormes, mais il arrive parfois que certains fonctionnent avec le cœur plus qu’avec la raison. Après avoir fréquenté autant d’Uruguayens, ce serait un peu la suite logique. On peut toujours rêver. Le football, c’est aussi fait pour ça.

Dans cet article :
La Real Sociedad va perdre son directeur sportif
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