Manuel Neuer, capitaine par défaut ?

« Logique. » C’est l’adjectif qui est revenu le plus souvent dans la bouche d’Oliver Bierhoff ce vendredi midi en conférence de presse, lorsqu’il a été question du nouveau statut de Manuel Neuer. Pour remplacer Bastian Schweinsteiger qui, en raison de ses nombreuses blessures, n’a finalement jamais vraiment occupé le poste, la DFB a donc choisi de conforter celui qui officiait en tant que second ces dernières années. À trente ans, le portier du Bayern devient donc officiellement capitaine de la sélection après l’avoir été officieusement pendant deux ans. Logique donc, mais pas franchement emballant. Car si Manuel Neuer est, la plupart du temps, le meilleur joueur de son équipe mais aussi un de ceux qui comptent le plus de sélections, son aura n’est pas vraiment au niveau de son expérience ni de son talent.

Là où Philipp Lahm avait l’image du mec intelligent, capable de rebondir sur n’importe quel sujet de société, Bastian Schweinsteiger avait celle du gars cool avec qui les gens avaient envie de boire des coups. Manuel Neuer, lui, n’est rien de tout ça. En dehors des terrains, il assez difficile de lui déceler une quelconque personnalité. Un fait qu’il assume complètement et dont il s’est récemment amusé avec l’aide de Coca-Cola. L’hiver dernier, la marque américaine a imaginé un spot dans lequel Manuel Neuer ne serait jamais devenu gardien au Bayern, mais un ingénieur en informatique lambda, fan de bowling et qui prend le bus à 7h30 du matin pour se rendre au taff. Manuel Neuer est si convaincant dans le rôle du mec qui fait des photocopies avant la pause déjeuner qu’il est difficile de l’imaginer en leader d’une des meilleures équipes de foot au monde.

Un choix timide

Du reste, avant qu’il soit nommé vice-capitaine à l’aube de l’Euro, d’autres joueurs ont été considérés pour le poste. Sami Khedira, a, par exemple, longtemps tenu la corde. Capitaine de toutes les équipes de jeunes dans lesquelles il a joué, éloquent, franc et surtout vrai leader sur le terrain, le joueur de la Juventus avait tout pour être un super capitaine. Mais ses blessures à répétition l’ont éloigné du job. Mats Hummels, aurait pu, il y a encore six mois, prétendre aussi au capitanat. Mais le défenseur central s’est tiré une balle dans le pied en foirant bien comme il faut sa sortie du Borussia Dortmund. Thomas Müller et Toni Kroos, présents depuis un bon moment, n’ont eux jamais semblé vouloir vraiment du boulot. Restait donc le cas Jérôme Boateng. Devenu en l’espace de six mois la coqueluche du public, le défenseur du Bayern, élu meilleur joueur allemand de la saison 2015/2016 par Kicker, n’a jamais caché son souhait de devenir capitaine.

Selon un dernier sondage réalisé par Bild en début de semaine, une majorité de sondés souhaitait d’ailleurs qu’il le devienne. Pour des raisons sportives évidemment, mais aussi politiques. Attaqué par la droite populiste en mai dernier, Jérôme Boateng avait reçu un soutien massif de la part de ses concitoyens, pour la plupart très choqués par les déclarations de certains politiques allemands. Le nommer capitaine aurait été un choix fort de la part de la Fédération – aucun joueur issu de l’immigration n’a jamais été officiellement nommé capitaine – mais aussi dangereux. Avec le brassard, Boateng aurait sans doute subi de nouvelles attaques racistes. Bien qu’Oliver Bierhoff a affirmé que la DFB « n’avait subi aucune pression politique » , le climat de plus en plus tendu qui règne outre-Rhin a forcément pesé dans la balance et obligé Löw à reconsidérer son rendez-vous avec l’histoire.

Une Allemagne toujours plus lisse

Finalement, Manuel Neuer est, en tous points, un choix très « Joachim Löw » . Depuis sa prise de pouvoir en 2006, le sélectionneur cherche avec le concours de la Fédération à rendre cette équipe de plus en plus lisse. Depuis le départ de Ballack avec pertes et fracas, chaque personnalité se confond avec celle du mec d’en face. Pour être capitaine, il vaut donc mieux ne pas parler trop fort, ressembler à tout le monde et ne pas avoir trop de casseroles. Dans le cas de Neuer, son seul écart de conduite est survenu en 2011, lorsqu’il a choisi de quitter Schalke, alors qu’il en était le capitaine, pour le Bayern Munich. Une trahison que les fans du Null-Vier ne lui ont jamais vraiment pardonné, mais que le reste de l’Allemagne semble avoir du mal à se rappeler. Manuel Neuer n’est donc pas forcément le mec le plus populaire du pays, mais il n’est pas le plus détesté. La plupart des gens éprouvent pour lui un mélange de profond respect et de neutralité.

C’est entre autres pour cela que « le meilleur gardien du monde » a déjà annoncé qu’il serait un capitaine en retrait. « Je ne sortirai pas de ma cage pour aller régler des problèmes d’arbitrage ou de blessure » , a-t-il déclaré vendredi. Comme l’ont été Lahm et Schweinsteiger avant lui, Neuer sera épaulé par un comité de joueurs composé de Jérôme Boateng, Toni Kroos, Thomas Müller, Mats Hummels et Sami Khedira – parmi les cadres, seul Mesut Özil, pourtant actuellement le joueur le plus capé, n’a pas souhaité faire partie de ce groupe, histoire de ne pas forcer sa nature de timide. « À vrai dire, nous avons envisagé de faire tourner le brassard entre plusieurs joueurs » , a même concédé Oliver Bierhoff. Manuel Neuer n’aura donc de capitaine que le nom. En attendant que la Fédération soit prête à mettre un autre type de joueur, avec un nom et une dégaine un peu moins « allemande » .