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Mais comment est né le football au Brésil ?
La Coupe du monde au Brésil, c'est la compétition reine dans le pays où le football est roi. Oui, mais comment le ballon rond est-il arrivé dans cette partie du globe ? Il y a l'histoire officielle, celle de Charles Miller, bien sûr. Mais il y a aussi l'officieuse, celle qui est typiquement « brésilienne ».
À la fin du XIXe siècle, les Britanniques sont installés aux quatre coins du globe. Après tout, le monde n’est qu’une île gigantesque qu’ils doivent civiliser, pensent-ils. Ainsi se trouvent-ils également au Brésil, pays dont l’indépendance a été reconnue en 1825, et qui depuis accueille des communautés étrangères en masse : des Allemands, des Arabes, des Italiens, des Japonais… Et des Britanniques, donc. Sauf que là où les autres cherchent à se mélanger, à s’intégrer, les sujets de la reine Victoria font leurs affaires de leur côté. En tant qu’ambassadeurs de la civilisation, ils s’occupent notamment d’apporter de nouvelles technologies. Au Brésil, on les retrouve notamment en charge des télécommunications, de l’installation du réseau de gaz ou encore des transports. Parmi eux, John Miller, un ingénieur d’origine écossaise qui travaille pour la société de chemins de fer à São Paulo. Un jour, John épouse Carlota Fox, une Brésilienne d’origine anglaise, qui lui donnera le 28 novembre 1874 un poupon du nom de Charles Miller.
Miller, le visionnaire
En 1884, alors qu’il n’a même pas dix ans, le petit Charles est envoyé en Grande-Bretagne pour y faire ses études. Il intégrera la Bannister Court School de Southampton, où il apprendra à jouer aux sports traditionnels comme le cricket et le rugby, mais aussi au football. Un sport dans lequel il s’avère avoir des qualités, notamment dans le dribble et la frappe. C’est pour cette raison qu’il intégrera plus tard un club comme le St Mary’s FC, l’ancêtre du Southampton FC. Comme il est bon et que, surtout, il comprend les règles de la Football Association, il apparaît clairement qu’il sera plus tard un ambassadeur du football.
Une fois ses diplômes obtenus, il retourne au Brésil en 1894, bien décidé à mener à bien sa mission. Lorsqu’il arrive au port de Santos, il a tout un équipement avec lui : deux ballons, une pompe, quelques paires de godasses, un maillot de St Mary’s FC et (le plus important) un bouquin avec les règles de l’Association Football. Les premières personnes qu’il se doit de convaincre sont les siens, qui pratiquent les sports traditionnels dans des clubs qu’ils ont crées et qui leur sont réservés. Dans la ville natale de Miller, le São Paulo Athletic Club (SPAC) est la plus vieille association du genre. Ironie de l’histoire : elle a été créée le 13 mai 1888, le jour de l’abolition de l’esclavage sur le territoire brésilien.
Des associations de gentlemen
La vie au sein du SPAC est bien loin de ce qu’on peut imaginer. Il ne s’agit pas de faire du sport, mais de passer un bon moment entre compatriotes. Des parties de campagne où l’activité sportive est d’abord mineure. Avec le temps, le cricket fait son apparition, mais hors de question pour ces messieurs de se séparer de leurs chemises : il s’agit d’aller passer un bon moment en compagnie des dames autour d’un pique-nique. Mais Charles Miller va révolutionner tout ça. Il va libérer le SPAC de ses chaînes, il va faire transpirer tous ces gentlemen. Des gars réticents à cette idée au départ, et qui l’envoient balader avec son football. Mais Charles ne se décourage pas : il parcourt toute la ville de São Paulo, et finit par en convaincre certains, des employés de banque et des grosses entreprises britanniques, notamment. Comme il est bien implanté au SPAC, il est autorisé à utiliser les infrastructures du club. Et finalement, le premier match entre deux équipes a lieu le 18 avril 1894. Une première rencontre qui oppose la Gas Work Team à la São Paulo Railway Team. Bientôt, le football se répandra dans tout le pays. Charles Miller a réussi son pari : il a réussi à apporter le football dans son pays natal et, grâce cette première rencontre organisée, il devient le père du football de club au Brésil.
Un football de frères
Charles Miller, c’est la version officielle. La version officieuse, elle, s’est écrite à l’abri des regards, derrière les portes des collèges jésuites. Une histoire qui a disparu dans les archives de l’histoire, mais qui a été remise au goût du jour par Martin Curi dans son livre sur Artur Friedenreich, Das vergessene Fussballgenie (le génie du football oublié). En 1882, le député libéral Ruy Barbosa (déjà connu pour avoir prononcé un discours sur l’abolition de l’esclavage en 1868) souhaite mener une réforme scolaire à travers tout le pays. En effet, au Brésil, seulement 15% de la population sait lire et écrire. Mais au-delà de l’alphabétisation, ce que souhaite Ruy Barbosa, c’est introduire le sport à l’école, en tant que matière à proprement parler.
À l’époque, l’instruction est (entre autres) assurée par des collèges de jésuites, situés aux périphéries des grandes villes. Ce sont des moines qui s’occupent de l’éducation des jeunes pousses des familles aisées de Rio et de São Paulo, comme à São Luis de Itu. Là-bas aussi, on pensait introduire le sport à l’école, ne serait que pour occuper les enfants durant leur temps scolaire. C’est ainsi qu’en 1879, une expédition menée par le frère José Monteiro (ou Montaro, selon les sources) a pris le chemin de l’Europe, histoire de voir comment les jésuites du Vieux Continent occupaient leurs ouailles. Leur périple les a fait passer par la France, l’Angleterre, l’Allemagne et les Pays-Bas, des pays où le football était pratiqué dans les collèges jésuites. Deux ans plus tard, José Monteiro et ses frères retournent au pays, avec la ferme intention d’intégrer la pratique du football à São Luis. Pour familiariser les enfants à ce nouveau sport, ils commencent par leur faire jouer au « Bate Bolão » , une variante du football qui consiste à frapper avec la balle le mur de l’adversaire. Et puis, lorsqu’en 1894, le père Luis Yabar prend la tête du collège de São Luis, on commencera à jouer au football avec les vraies règles, celle de la Football Association. Dans le même temps, le football se développera dans d’autres collèges, comme celui de Petropolis à Rio. Si Charles Miller a apporté un football britannique mais structuré, les jésuites, eux, ont développé dans leurs collèges un football bien brésilien. Quelques années plus tard, c’est Artur Friedenreich qui se chargera de faire la liaison entre les deux. Mais ça, c’est une autre histoire…
Par Ali Farhat