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Magouilles, foire et billets

Par Eric Carpentier
5 minutes
Magouilles, foire et billets

Avant de se brancher sur le canal Russie 2018, petit tour sur le dernier épisode de la série à gros budget Qatar 2022. Avec beaucoup de « previously on » et de starring avec une flopée de mauvais acteurs.

Elle commence à être aussi tordue que Game of Thrones : la série sur l’attribution du mondial 2022 vient de voir son dernier épisode leaker via Médiapart. L’action se situe entre 2011 et 2013, soit après le vote du 2 décembre 2010 désignant la Russie et le Qatar comme pays hôtes des coupes du monde 2018 et 2022. Quant au pitch, il annonce la balade de 22 millions de dollars depuis les comptes du Ghanim Bin Saad Al-Saad & Sons Group – leading business development in Qatar – vers ceux de « Warner Bros » (Jack Warner, alors parrain de la CONCACAF), « Mohammed » (Bin Hammam, alors oyabun de l’AFC) et « Leoz » (Nicolas de son prénom, alors baron de la CONMEBOL), avec correspondance à Monaco sur le compte de Ricardo Teixeira (alors chef de la fédé brésilienne). Difficile à suivre ? À l’occasion de ce nouveau chapitre, et alors que le season finale du FIFAgate a débuté le 6 novembre à New-York devant la justice américaine, retour sur les principaux épisodes du spin-off Qatar 2022. Un scénario que n’aurait pas osé imaginer George R. R. Martin.

Du préquel…

L’opacité autour de l’attribution du mondial 2022 au Qatar commence… avant le vote du 2 décembre 2010. Ce jour-là, seuls 22 des 24 membres du comité exécutif sont appelés à voter : Reynald Temarii et Amos Adamu sont en effet suspendus depuis deux semaines à la suite des enregistrements du Sunday Times faisant état de négociations illicites pour l’achat de leurs voix. Résultat, au quatrième tour, le Qatar n’obtient que quatorze votes. Toujours suffisant pour passer devant les États-Unis et leurs huit petites voix. Le début des embrouilles, aussi.

Premier climax six mois plus tard, fin mai 2011. En pleine guerre électorale entre Sepp Blatter et Mohammed Bin Hammam, ce dernier et son soutien, Jack Warner, sont suspendus à trois jours du scrutin pour avoir cherché à acheter des voix parmi les 208 votants. Une trahison pour le Qatari, mais aussi une ouverture dans l’omerta qui règne sur la FIFA. La réplique de Warner est immédiate : devant les journalistes venus l’interroger, le désormais ex-vice-président de la FIFA la joue kamikaze en allant imprimer un mail de Jérôme Valcke pour le lire à voix haute : « Il (Hammam) pense qu’il peut acheter la FIFA de la même façon qu’il a acheté la Coupe du monde » , est-il écrit. Limpide ? Pas pour celui qui est alors secrétaire général de la FIFA, qui riposte : « Je parlais seulement de la puissance financière à l’appui de leur candidature. » De l’art de jouer avec les mots.

Mais les affaires reprennent vite le pas sur le jeu. Et la suite n’est qu’une accumulation de nuages au-dessus du Qatar. Août 2012 : début de la mission de Michael Garcia, qui aboutira au fameux, et fâcheux, rapport Garcia. Novembre 2014 : plainte de la FIFA pour des soupçons « sur des transferts internationaux de patrimoine avec comme point de contact la Suisse » liés à « un mauvais comportement présumé de diverses personnes dans le cadre de l’attribution des Coupes du monde de la FIFA 2018 et 2022 » . Mars 2015 : le parquet suisse ouvre une enquête après avoir relevé « 170 rapports d’activités suspectes » concernant, entre autres, le vote du 2 décembre 2010. Juin 2015 : à la suite du coup de filet de Zürich et de la démission de Sepp Blatter, l’enquête du FBI s’élargit aux conditions d’attribution des mondiaux 2018 et 2022. Mi-2016 : ouverture d’une enquête préliminaire du parquet national financier français, révélée par Le Monde, pour « corruption privée » , « association de malfaiteurs » , « trafic d’influence et recel de trafic d’influence » , toujours autour du vote du 2 décembre. Le tout saupoudré d’informations régulières venues de médias du monde entier sur les modalités de la triche présumée, jusqu’à la dernière enquête par le FBI et la justice brésilienne révélée par Médiapart.

… aux séquelles

Aujourd’hui, l’immense majorité des 22 membres ayant participé au vote du 2 décembre 2010 a été mise hors jeu. Blatter, Blazer (décédé), Bin Hammam, Warner, Platini, Teixeira, Leoz, Grondona (décédé), Mong-joon, Makudi, Beckenbauer, Hayatou, Anouma, Villar Llona… Radiés, suspendus ou avertis par la FIFA, inculpés par une justice civile, visés par une (des) enquête(s), rares sont ceux ayant possiblement voté pour la candidature qatarie (le vote est à bulletin secret) pouvant se targuer d’être passés entre les mailles du filet. Suffisant pour remettre en question la tenue d’un mondial en plein hiver dans un pays à peine plus grand que la Corse, bâti sur un budget pharaonique et au détriment de droits humains assez basiques ? En 2015, peu après les arrestations de Zürich, Domenico Scala déclarait ainsi que « s’il existe des preuves que le Qatar et la Russie ont obtenu (la Coupe du monde) seulement grâce aux achats de voix, alors elle pourrait leur être retirée » . Mais le président de la commission d’audit, démissionnaire depuis, ajoutait aussitôt que ces preuves n’étaient à ce jour pas apportées.

S’il est bien trop tard pour envisager une annulation du mondial 2018 en Russie, le cas qatari peut en revanche prêter à spéculation. En 1982, quatre ans avant la Coupe du monde prévue chez elle, la Colombie s’était retirée à la suite des problèmes financiers et le Mexique avait été choisi pour la remplacer au pied levé, après un premier tournoi sur ses terres en 1970. Ici, l’argument financier ne semble pas pouvoir inquiéter le Qatar. À moins que la pression ne vienne des sponsors de la FIFA, fatigués des scandales à répétition. Ou de la justice. Dans cette hypothèse, il y a fort à parier que les candidats se bousculeront pour remplacer l’émirat. Comme les États-Unis par exemple, où se tient en ce moment le procès du FIFAgate. Parce que contrairement à ce qu’en pense Sepp Blater, les chemins de la justice, parfois, on les connaît.

Dans cet article :
La sélection russe remporte 11-0 un match amical
Dans cet article :

Par Eric Carpentier

À lire : Heidi Blake et Jonathan Calvert, The Ugly Game – How Qatari plot to buy the World Cup, éd. Simon & Schuster, avril 2015.

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