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« Les voyants sont au vert »

Propos recueillis par Ronan Boscher, à Marrakech
12 minutes
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Cédric Carrasso avait quitté la saison 2016 avec un genou, le gauche, sous le bras. Durant sa convalescence, le portier bordelais nous a accueillis au Maroc pour faire le point sur son rapport à la blessure et à la rééducation. Mais pas que.

4 mois après ta blessure, tu commences toujours par faire des exercices de cardio et du renforcement musculaire. C’est ce qui se perd le plus vite, quand on se blesse longuement ?Et ben… tu ne sais pas trop en fait. Quand tu te fais les croisés, selon le protocole, tu reprends la course après 3 mois d’arrêt, si tu te sens bien. Alors, oui, tu peux faire un peu de vélo entre-temps, mais le vélo, ça ne compense jamais la course. La course, c’est la course. Dans mon cas personnel en tout cas, en temps normal, le cardio et le gainage sont deux données que je veux absolument avoir, dont je sens avoir vraiment besoin, pour me sentir bien.

Tu n’as ressenti aucune douleur dans ces moments de récupération ?Aucune que je ne connaissais pas. Après, honnêtement, après ce genre de blessures, beaucoup dramatisent parce qu’à la moindre douleur, ils ont peur. C’est quelque chose que j’ai vachement de mal à quantifier chez les autres joueurs d’ailleurs. Quand je vois quelqu’un sortir parce qu’il a mal, je me demande toujours si cette douleur m’aurait fait sortir. Chacun pense et accepte la douleur différemment, je pense. Je sais que je peux travailler avec de la douleur, mais ce n’est pas nocif. Depuis que j’ai repris, que ce soit sur le vélo ou à la course, je n’ai ressenti aucune gêne. 3 mois et demi après l’opération, je recommençais la course par exemple, sans avoir mal. Ce qui est plutôt rare après ce genre d’interventions. J’ai plus ressenti la fatigue en fait. Mais comme je n’ai eu aucun contre temps dans ma rééducation – mon genou n’a jamais gonflé par exemple -, le problème de la fatigue s’est inconsciemment réglé.

Sans dire que t’es un vieux, le problème des années qui passent, dans le sport de haut niveau, tu le gères comment ?Depuis 4 ans, je coupe de moins en moins entre les saisons. Quand t’es plus jeune, tu peux te permettre de couper vraiment. Même dans la vie de tous les jours, si tu te rappelles quand tu sortais à tes 20 ans, tu pouvais quand même aller bosser le lendemain. Même si t’étais un peu fatigué, ça passait. Et puis tu perds cette sensation là ensuite. Personnellement, j’ai ressenti vraiment ça à mes 30 ans. Depuis, j’ai décidé que, même pendant les Euro ou coupes du monde, quand on te file trois semaines de vacances, je devais faire au moins un petit truc tous les jours, un peu de course, un peu d’abdos. La base quoi. Je ne m’octroie que 4 jours de stop complet. Même aujourd’hui, sans faire d’excès, quand je me couche un peu plus tard que d’habitude, je ressens vachement la fatigue le lendemain.

Quand je commence un championnat avec Bordeaux, c’est pour être dans les 3 premiers. Sinon, à quoi ça sert ? La saison dernière, Bordeaux a fini onzième, mon pire classement depuis que je suis pro. Pour moi, c’est une honte.

Ça offre vraiment une carrière plus longue toutes ces petites attentions ?Honnêtement, j’en sais rien du tout. Chaque corps a une capacité de travail différente. Je n’ai pas assez regardé les autres pour savoir comment ils font. Perso, je pense que si je n’avais pas fait tout ce que j’avais fait en dehors des entraînements classiques, des obligations, je serais déjà sur la touche. J’en suis sûr.

Tu te vois faire une Dino Zoff, à jouer au foot jusqu’à 40 piges ?En fait, maintenant, je remarque que, mis bout à bout, ces blessures, ces temps de rééducation m’ont évité de m’abîmer le corps et l’esprit. Comme si je pouvais finalement rajouter ces temps d’absence à mon temps de carrière sur la fin. Comme si le temps n’avait pas été perdu, mais décalé. Tu vois ce que je veux dire ? Mais je vais être honnête hein, je l’ai ressenti comme ça qu’un peu plus tard dans ma carrière. Quand je me blesse au tendon d’Achille ou à mon genou droit, je me disais que ça allait me flinguer ma fin de carrière. Et puis j’ai changé d’approche, parce que je me sentais de mieux en mieux, dans mon quotidien, mes performances, tout ça. Je ne veux juste pas faire la saison de trop. J’ai eu la chance de pouvoir jouer au haut – parfois très haut – niveau, dans à peu près toutes les compétitions. Il sera temps de dire stop quand je sentirai que je ne peux plus suivre à ce haut niveau. Les Girondins le savent très bien : je ne vais pas m’accrocher pour continuer à jouer à un plus petit niveau. J’ai été formé comme ça. À Marseille, t’as pas le droit à l’échec, t’as-pas-le-droit. Aujourd’hui, je me fais toujours autant voire plus plaisir, mais j’ai toujours envie de gagner quoi. C’est ce qui est parfois démesuré chez moi d’ailleurs, même si ça peut représenter ma force et ma motivation : quand je commence un championnat avec Bordeaux, c’est pour être dans les 3 premiers hein. Sinon, à quoi ça sert ? Là, Bordeaux a fini onzième et j’ai manqué 5 mois de compétition. Depuis que je suis professionnel, je n’ai jamais joué dans une équipe qui a fait moins bien que 7eme, c’est mon pire classement. Pour moi, c’est une honte. Parce que j’étais formaté tout jeune pour gagner, être en haut. C’est comme ça. On l’accepte ou pas. Et puis je sais que je n’ai pas tout gagné. Mais cette motivation – ne pas accepter la défaite – m’a toujours tenu.

Si on te proposait d’être une doublure dans un top club européen, ça serait envisageable pour toi ?Pas pour l’instant, mais ça me plairait. On me l’a déjà proposé il y a quelque temps mais j’avais dit non parce que j’avais envie de jouer, je n’avais pas un tempérament pour accepter d’être numéro 2. Encore aujourd’hui d’ailleurs. Et puis Bordeaux m’a beaucoup donné au départ, et j’ai toujours essayé de rendre ce qu’ils m’ont donné. Quand j’ai des sollicitations, je dis « non je reste à Bordeaux » , parce que c’est un club, des gens au club, que j’aime beaucoup. Et j’avais cette sensation que si je partais, ça allait être compliqué. Dans ma carrière, j’ai toujours été assez fidèle.

Le Téfécé a été ma plus belle expérience, au niveau footballistique.

Sauf à Toulouse peut-être.C’est vrai que c’était un passage rapide. Je sais que les supporters ont eu peu de rancœur parce que je n’y ai fait qu’un an, après être revenu de blessure, avant d’aller à Bordeaux. En fait, je pense que les Toulousains n’ont pas compris pourquoi je partais aux Girondins. Ce que je peux comprendre aussi d’ailleurs. Dejà, il y a la concurrence Bordeaux-Toulouse, qui est, qu’on qu’on en dise, assez tenace. Ensuite, je signe à Toulouse pour un contrat de 4 ans. Et si, après ma première saison toulousaine, un an après ma blessure, ce n’est pas Bordeaux, la Ligue des champions, et tout ce qui peut s’en suivre – genre l’équipe de France – … je ne serais pas parti. Ça a été difficile à accepter à Toulouse,

Pourquoi ?Tu arrives dans un club avec un changement d’entraîneur, novice à ce niveau, tu as que des jeunes, des mecs inconnus au bataillon et André-Pierre Gignac en échec total. De tout ce groupe toulousain, avec les Gignac, Capoue, Sissoko, Tabanou, Carrasso, Mathieu, qui sont tous des joueurs plutôt très confirmés aujourd’hui, quand tu reprends à l’époque, on n’était personne… ou alors des joueurs prometteurs mais ça n’allait pas plus loin. Et finalement, on perd en demi-finale de la Coupe de France, on finit européen alors qu’au départ tout le monde nous voyait descendre, surtout qu’au premier match on prend 3-0 à Lyon, champion en titre. Et ensuite… On avait même battu le Bordeaux qui allait terminer champion de France (3-0). On les avait massacrés. C’était leur dernière défaite de la saison, puisqu’ils avaient ensuite enchaîné 11 victoires d’affilée, je crois. Toulouse, c’était une expérience inoubliable, magnifique et ils ont un peu eu l’impression que je les avais laissés en cours de route quoi… Mais, au départ, je n’étais pas parti à Toulouse pour vivre ce genre de saison inattendue, mais plutôt pour construire quelque chose. Le timing a fait que… j’ai saisi l’opportunité Bordeaux car elle était plutôt logique dans ma progression de carrière.

Avec les années de carrière derrière toi, tu réagis comment quand tu entends les coachs étrangers dire que les Français ne bossent pas assez à l’entraînement ?Quand je suis arrivé à Bordeaux, il y avait énormément de très très bons joueurs. Aujourd’hui, on est redevenu une équipe avec quelques bons joueurs et des joueurs en apprentissage, surtout pour les grandes compétitions. Avant, ce que je faisais aujourd’hui, comme le cardio, ou le renforcement musculaire, tout le monde le faisait. Aujourd’hui, en règle générale, c’est vrai que la nouvelle génération se contente de venir à l’heure et de repartir une fois l’entraînement fini. En fait, le problème, c’est qu’ils sont trop à l’heure. Ça me choque pas mais ça m’interpelle. Pour un rendez-vous à 9h30 par exemple, t’en as 80% qui arrivent entre 28 et 30. En général, on a une heure entre l’heure de rendez-vous et le début de l’entraînement. Et bien, selon moi, quand t’arrives 20 minutes en retard et qu’une fois l’entraînement fini, tu prends ta douche et tu te barres, soit tu as un problème personnel à la maison et c’est compréhensible, il n’y a pas que le foot dans la vie, soit tu n’en fais pas assez… Quand c’est répétitif, que t’arrives en dormant à moitié, que tu fais le strict nécessaire et que tu repars de l’entraînement, ces joueurs resteront malheureusement dans la moyenne. Je n’ai pas les chiffres d’aujourd’hui mais il n’y a pas si longtemps, la durée moyenne d’une carrière professionnelle était de 4 ans et demi quoi. Ça fait 17 ans que je fais du foot. Certains vont nous chambrer, Jaro (Plašil) et moi par exemple, et d’autres vont comprendre un peu le truc, vont essayer de se coller à ce travail complémentaire. Ils ne sont pas bêtes non plus les mecs hein. Quand ils captent que ça fait 15 ans que tu es au haut niveau, en faisant comme ci, comme ça, ils vont essayer. Mais en règle générale, il y a 80% des joueurs que tu ne vois même pas. Ils attendent que l’heure arrive. Toi, tu leur dis bonjour juste avant l’entraînement. Bon… Ça m’est déjà arrivé de venir juste à l’heure mais 90% du temps, j’arrive minimum 30 minutes avant l’heure de base. Je vais faire un peu de course, parce que ça me réveille ou je vais étudier une vidéo. Tu as besoin de complément. C’est vrai qu’en France, on s’est trop habitué au minimum, c’est-à-dire à l’obligation.

Benzema, que je connais bien, peut donner l’impression à certains, par ses Instagram, les réseaux sociaux etc, que c’est un branleur. Mais Karim bosse tous les jours, tout le temps, même si c’est intrinsèquement parlant un très bon joueur. Si tout le monde bossait comme lui…

Tu comprends pourquoi ?Pas vraiment. Je l’ai fait parce que j’ai vu les anciens faire. Le football est en constante progression depuis 30 ans. Tout est différent : le physique, les efforts, tout. Notre sport a évolué, les mentalités un peu moins. Je lis par exemple qu’un Cristiano Ronaldo est le premier arrivé et le dernier à partir de l’entraînement. Sans vouloir comparer, en matière de niveau sur le terrain, Ronaldo à Jussie ou Plašil chez nous, ils mettent tous la même dose d’investissement. Malgré ces exemples, qu’il n’y en ait que 20% qui suivent ceux qui ont duré, c’est étonnant. Les 80% restants, ils n’ont pas cette ambition là. Ou alors elle viendra plus tard. Après, est-ce qu’on n’est pas assez en France à le faire ? Peut-être. Peut-être qu’en Angleterre, tout le groupe le fait, au PSG aussi peut-être. Quand tu vois tout le groupe le faire, t’es bien obligé de le faire aussi, je sais pas… Tu ne peux pas forcer quelqu’un à faire plus que le minimum, l’obligatoire, s’il n’en a pas spontanément envie. Si tu veux forcer quelqu’un à manger quelque chose qu’il n’aime pas, tu lui fais manger deux cuillères mais après… il va recracher. Dans le foot, c’est pareil. Mais c’est dommage parce qu’on perd énormément de talents à cause de ça. Hatem Ben Arfa, je l’ai côtoyé un peu en équipe de France. S’il a été aussi bon à Nice, c’est qu’il en a fait plus d’habitude. Je suis sûr que si on lui pose la question, il dira que oui. Il n’y a pas de secrets dans le foot. Si je n’avais fait que « l’obligatoire » , je n’aurais pas connu tous les grands joueurs avec qui j’ai eu la chance de jouer, je n’aurais pas joué autant de compétitions, pratiquement toutes les compétitions possibles, je n’aurais pas eu la carrière que j’ai eue. Déjà, de base, je n’avais pas la compétence que certains pouvaient avoir, donc j’ai dû passer par le travail. Et j’essaie de tenir le plus longtemps possible. Mais ça doit venir de chacun. La nouvelle génération est difficile. Certains ne s’en rendent pas compte. C’est dommage. Ou ils s’en rendront compte trop tard. Je connais aucun grand joueur qui n’a pas bossé. Regarde Benzema : quand tu regardes juste les Instagram, les réseaux tout ça, au premier abord, ça peut donner l’impression à certains que ce sont des branleurs. Je connais bien Karim aussi. Il bosse tous les jours, tout le temps. Aucun secret. Même pour un Karim Benzema qui est un très bon joueur, intrinsèquement parlant. Si tout le monde bossait comme lui… Quand j’entends que Benzema a juste à attendre les ballons de Cristiano ou de Bale, et mettre les buts, ça me fait rigoler quoi. Il va chercher chaque ballon. Après, l’extrasportif c’est autre chose.

BONUS TRACK : Cédric, après avoir fait tes 45 premières minutes en amical contre Lorient depuis ta blessure, tu le sens comment ton retour ?Les sensations sont bonnes. Contre Lorient, je viens d’avoir la meilleure interprétation de tout le travail effectué depuis six mois. Le plus important en tant que joueur est la compétition, et c’est dans ces moments là que l’on peut réellement voir le résultat du travail réalisé depuis ma blessure.
Aujourd’hui, ce qui ressort de cette dure épreuve qu’a été la blessure, ça n’est que du positif. Autrement dit, les voyants sont au « vert » et maintenant, il ne me reste qu’à foncer vers les objectifs collectifs, car tous mes objectifs personnels ont à ce jour été atteints. Maintenant, il faut laisser de coté mon « cas » et me mettre au service du collectif pour faire une grande saison et atteindre les volontés du club.

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Propos recueillis par Ronan Boscher, à Marrakech

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