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Les leçons tactiques de Russie-France

Par Markus Kaufmann
Les leçons tactiques de Russie-France

Guidée avec ténacité par une logique de joueurs plutôt que de jeu, la France de Didier Deschamps a proposé un 4-3-3 déséquilibré orphelin d’un concept footballistique essentiel : la « pause ». Si les Bleus rentrent de Russie avec une victoire (1-3) pour le moral et de nombreux enseignements en vue de la liste des 23, le succès dans un match amical est toujours relatif : les Français ont gagné en concédant autant d’occasions que face à la Colombie.

À sept semaines de l’annonce de la liste des 23, les Bleus sont partis à St-Pétersbourg pour « sentir l’atmosphère du pays hôte » et « donner du temps de jeu » aux derniers prétendants. En clair, Deschamps a fait le choix de sacrifier la construction collective pour examiner des performances individuelles : les latéraux, Koscielny, Kanté dans un rôle de 6, Rabiot, Pogba en créateur, Mbappé en pointe, Martial et Dembélé, Griezmann en faux 9. Depuis la fin de l’Euro 2016, la dynamique tactique de l’équipe de France de Deschamps évolue sur trois tableaux. D’une, l’évaluation des prétendants aux 23 et leur hiérarchie. De deux, la construction d’un groupe fort. De trois, la construction collective sur le terrain. Le jeu dépend donc largement des profils des joueurs employés – et non pas d’idées de jeu travaillées en amont. D’où deux conséquences pour une telle rencontre amicale.

D’une part, la fiabilité du cadre comparatif est tout à fait relative pour certains postes : entre le changement du schéma et des hommes, il est difficile de mesurer l’impact potentiel de Martial, Dembélé, Rabiot ou Tolisso dans le collectif. Avec deux animations et équilibres aussi différents en quelques jours, comment comparer l’apport offensif potentiel de Hernández et Pavard par rapport à Digne et Sidibé ? D’autre part, la priorité du temps de jeu implique qu’il faudra attendre les amicaux contre l’Irlande, l’Italie et les États-Unis pour travailler les complémentarités. Pourtant, le chantier des certitudes individuelles de l’équipe de France semble bien plus avancé que son chantier collectif. Gâtée par des joueurs formés intelligemment qui savent résoudre des situations collectives indépendamment du système tactique mis en place – Griezmann, Kanté, Lemar, Pogba, Mbappé –, la France n’a pas vraiment à se poser la question des cartes à jouer : le défi sera surtout de trouver le temps pour développer une animation collective rodée.

Le plan de jeu saute des lignes

Sans ballon, les Bleus s’étirent dans un quadrillage en 4-1-4-1. Mbappé évolue en pointe, Kanté protège la défense, Martial en flèche gauche, Dembélé en flèche droite. Dans une entame de match tiède, le système russe à trois défenseurs centraux pose le pied sur le ballon, mais peine à faire accélérer la manœuvre. Une fois le ballon récupéré, la mise en place française est moins lisible, et le plan de jeu saute des lignes. Au bout de cinq minutes, il est étonnant d’observer que la France n’a toujours pas installé de phase de football de position dans le camp adverse. Elle ne le fera jamais. Le 4-3-3 est déséquilibré : Kanté n’est pas occupé à la récupération et Rabiot ne touche que quatre ballons en un quart d’heure. Alors que le vocabulaire de nos commentateurs multiplie les références aux mots magiques « intensité » , « agressivité » , « talent » et « technique » , les Bleus manquent surtout d’une structure collective qui utilise leurs grandes qualités de façon cohérente. Côté russe, Zhirkov brosse un draw vers Smolov, mais Lloris se montre rassurant en dehors de sa surface. La France répond avec une tentative de alley-oop entre Martial et Pogba.

Pas de surprise sans patience

Contre la Colombie, les Bleus avaient animé des circuits de possession intéressants à travers les « pôles de contrôle » Kanté, Lemar et Griezmann. En déplaçant le milieu de Chelsea devant la défense et en laissant les deux autres sur le banc, la France perd sa capacité de pause. Sans patience, il n’y a plus de surprise. Le déséquilibre structurel de ce 4-3-3 armé de trois flèches est la constance de la première heure : après 27 minutes, les trois attaquants ne se sont échangé que deux ballons. Le jeu bleu se résume en trois mots : vitesse, improvisation et Pogba. L’organisation du milieu est bonne, mais la fuite vers l’avant étouffe la distribution, l’animation et l’accélération du jeu. Pour se donner une chance de participer aux côtés de la Pioche, Rabiot se décide aussi à accélérer balle aux pieds au lieu de distribuer le jeu. Pourquoi ? Parce que le ballon ne revient jamais. Seul Kanté maintient une rigueur imperturbable dans son rôle.

Trois exemples marquants : lorsque Rabiot crée un décalage pour Pogba et Dembélé sur le côté droit à la 17e, le duo se lance à deux sans attendre pour construire un triangle ; quelques instants plus tard, lorsque Mbappé parvient à redescendre, contrôler, éliminer un défenseur puis servir Dembélé, le Barcelonais tente de le retrouver de façon audacieuse dans la profondeur au lieu d’utiliser l’espace créé ; seul à gauche sur une phase de possession à la 32e, Martial préfère défier trois Russes au dribble plutôt que d’ouvrir le jeu. Des tentatives culottées qui rappellent aussi que la moindre accélération de ces trois-là réduit considérablement la taille du terrain.

Privée de ses schémas habituels – qu’elle retrouvera ensuite avec Griezmann, mais aussi Matuidi à gauche – l’animation offensive bleue se retrouve à abuser lourdement de deux procédés. D’une part, la verticalité de Pobga, que ce soit dans ses courses balle au pied ou dans ses nombreuses tentatives de passes en profondeur, qui donneront finalement le premier but. Une menace constante. D’autre part, les longs ballons du bon pied gauche d’Umtiti, qui trouve facilement Martial et Dembélé sur les côtés. Deux procédés fortement aléatoires que les Bleus peinent logiquement à répéter. De l’autre côté, les Russes font circuler le ballon avec plus de patience sans trouver de décalages.

L’épreuve des latéraux

Dans une configuration largement différente de celle de vendredi, Hernández et Pavard ont montré de nouvelles options. Alors que Digne et Sidibé s’étaient illustrés dans la profondeur le long de la ligne, les deux nouveaux s’épanouissent plus souvent vers l’intérieur du jeu. Comme à l’Atlético, Lucas vient souvent apporter le surnombre à la construction autour de la surface (43e avec Mbappé et Martial), et se montre habile dans la conservation, provoquant de nombreuses fautes. Pavard se montre aussi confiant dans la gestion de la possession, mais la verticalité française ne lui permet pas de se retrouver assez haut sur le terrain pour être vraiment mis à l’épreuve. Défensivement, les deux ont aisément relevé le « défi physique » de la rencontre. Il est possible que Deschamps essaye d’équilibrer ses armes latérales avec un profil vertical dans la profondeur et un profil horizontal plus constructeur. Cela dépendra aussi du choix des milieux et ailiers : contre la Colombie, les mouvements intérieurs de Lemar ouvraient des boulevards à Digne. Avec Matuidi en relayeur et Mbappé en ailier, cet espace se retrouve déjà occupé, comme sur le troisième but de la soirée.

Alternatives offensives et phase défensive

En seconde période, sur des temps de jeu réduits (un quart d’heure maximum), Deschamps essaye plusieurs combinaisons qui apportent de la variété dans l’utilisation de ces profils. Deux options de trio offensif : Griezmann en faux 9 entouré de Mbappé (à gauche) et Dembélé ; Giroud en pointe soutenu par Griezmann et Mbappé (à gauche, encore). Au milieu, le sélectionneur place Tolisso en soutien de la paire Rabiot-Pogba, puis Matuidi-Pogba. Difficile de mesurer l’impact du Munichois dans un tel contexte. Au milieu, les deux rencontres amicales n’ont pas répondu à la question de l’utilisation optimale du duo Pogba-Kanté.

En phase défensive, le déséquilibre du système implique que les distances entre les lignes à la perte de balle sont bien trop grandes pour une récupération rapide. Sans ballon, le côté droit souffre toujours d’un déficit de protection : comme Mbappé contre la Colombie, Dembélé se retrouve à mi-chemin entre la position d’ailier qui couvre et celle d’attaquant qui presse. L’occasion de Dzagoev provient de l’utilisation de cet espace. Il sera intéressant de comprendre comment Deschamps souhaitera renforcer l’équilibre défensif relatif montré par les Bleus. Au-delà du but, qui provient d’un long ballon mal négocié, les Bleus ont à nouveau souffert sur quelques pertes de balle (Kanté 24e, Pogba 43e) et sur coup de pied arrêté. Ici, il faut comprendre que le problème n’est pas la perte de balle en soi – qui arrivera forcément si les intentions de jeu sont ambitieuses –, mais plutôt sa protection et la réaction qui suit : à Paris et à St-Pétersbourg, les Bleus se sont systématiquement fait prendre de vitesse dans leur camp par des transitions et changements de côté rapides. En défendant en reculant, à réaction.

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