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Le Qatar peut-il tout perdre dans le foot ?

Par Nicolas Kssis-Martov
7 minutes
Le Qatar peut-il tout perdre dans le foot ?

Le Qatar avait décidé de devenir une des grandes puissance du soft power. Pour cela, le petit émirat avait notamment misé à fond sur le sport roi, le football, qui lui permettait de jouer sur tous les tableaux : médias, diplomatie, économie et lobbying. Or, entre la guerre froide avec ses voisins, les affaires qui touchent Nasser Al-Khelaïfi via son rôle au sein d'Al-Jazira, ou encore le scandale des conditions de travail des ouvriers-esclaves des stades de la Coupe du monde 2022, son empire menace de s'écrouler comme un château de cartes. Et cela ébranlerait l'ensemble de la planète foot.

Ce mercredi soir, le PSG se déplace dans la capitale belge alors que son président, Nasser Al-Khelaïfi, se retrouve sur la sellette judiciaire. L’affaire qui le concerne éclaire de fait une situation qui dépasse largement le simple cadre de son action à la tête du club parisien. Pour l’instant, rien de dramatique, et seul le terrain doit inquiéter les joueurs d’Unai Emery. « Si l’image de Nasser Al-Khelaïfi est évidemment liée à celle de beIN ou du PSG, la réciproque n’est pas nécessairement vraie, notamment dans le cas du PSG, où sa notoriété dépasse largement celle de son président » , précise Carole Gomez, chercheuse à l’IRIS, chargée de l’impact du sport sur les relations internationales. De fait, ce n’est un secret pour personne que de nombreux acteurs du foot européen et tricolore ont été plus qu’agacés de voire débarquer ces « nouveaux riches » respectant si peu les vieilles habitudes de la noblesse à crampons européenne. Les éventuelles révélations et suites pénales toucheront donc inévitablement le pensionnaire du Parc des Princes.

« Dans l’hypothèse d’une condamnation de N. Al-Khelaïfi, revenir sur le cas d’Uli Hoeness (président du Bayern Munich, ndlr) est intéressant, continue Carole Gomez. En dépit de sa condamnation pour fraude fiscale, Uli Hoeness n’a pas pour autant terni l’image du club de façon indélébile, ou détourné investisseurs et supporters du Bayern Munich. Les produits beIN et PSG semblent suffisamment autonomes pour ne pas être touchés directement par l’enquête pour corruption. Toutefois, la question du respect du fair-play financier, posée depuis cet été, va rejaillir avec d’autant plus d’acuité, puisque le dirigeant du PSG avait annoncé l’augmentation des revenus du club pour venir compenser les dépenses réalisées cet été. Or, l’agitation liée à ces accusations ne place pas le PSG dans la meilleure des positions pour trouver de nouveaux partenaires commerciaux. » En embuscade, ceux qui y verraient peut-être une opportunité unique de porter l’estocade à ce « parvenu » qui ne respecterait pas assez les règles – en ayant par ailleurs démontré avec l’acquisition de Neymar l’inanité et l’hypocrisie de certaines d’entres elles.

« Le PSG et Manchester City apparaissent comme ceux qui dérégulent le football européen »

« Concernant le PSG, il y a d’abord la fronde organisée par les membres de l’ECA, qui regroupent les plus grands clubs européens, analyse Jean-Baptiste Guégan, auteur de Géopolitique du sport. Une autre explication du monde. Ces derniers reprochent deux choses au PSG : le non-respect du fair-play financier et un financement d’État contraire aux lois de la concurrence. Accusé de bouleverser et distordre le marché du football en Europe, le Qatar est en première ligne. Cette grogne menée en France par Jean-Michel Aulas et l’Olympique lyonnais a trouvé un écho et un soutien en Europe, poussant l’UEFA et Aleksander Čeferin à ouvrir une enquête express. C’est un premier problème. Le Qatar, via QSI et le PSG, apparaît en effet avec Manchester City comme ceux qui dérégulent le football européen. Même si, dans les faits, ce n’est pas exactement le cas, les opinions publiques et les responsables politiques le conçoivent comme cela. »

De fait, une simple péripétie judiciaire partie de Suisse pointe la fragilité du lent et patient édifice bâti par les Qataris sur les stades et dans les télés européennes. L’acquisition du PSG s’inscrivait dans cette longue et patiente stratégie d’influence et de pouvoir que mène l’émirat au sein du petit monde du ballon rond, bousculant au passage nombre de places acquises et de vieilles habitudes. Désormais, cette « petite grande puissance » pétrolière, dont l’ascension paraissait irrésistible, donne l’impression d’être assaillie de toute part.

« Peut-on imaginer que la Coupe du monde se tienne là-bas si le pays est toujours en conflit ? »

« Il faut replacer ce qui se passe dans un contexte plus large, explique Frédéric Martel, auteur de l’ouvrage Mainstream et animateur de l’émission Soft power sur France Culture. Même si cela peut sembler très éloigné du foot, il faut savoir que le Qatar vient de perdre la présidence de l’UNESCO qu’il briguait ardemment et qui constituait un de ses principaux objectifs diplomatiques. Notamment parce que les pays arabes l’ont lâché. La situation de tension actuelle avec l’Arabie saoudite par exemple, autre acteur du monde sunnite, qui lui reproche ses relations avec l’Iran et le rôle d’Al-Jazira, est un facteur dont il faut absolument tenir compte. Peut-on imaginer que la Coupe du monde se tienne là-bas en 2022 si le pays est toujours en conflit et isolé parmi ses partenaires arabes et sunnites ? » La question risque en effet de se poser, y compris dans les rangs de la FIFA. Alors que plus personne ne prend la peine de nier que l’émirat ait « acheté » l’édition de 2022, comme l’a lui-même reconnu Jérôme Valcke, le dernier vernis de justification restait qu’il fallait absolument qu’un mondial se tienne dans le monde arabo-musulman. Que faire si y compris ce dernier ne veut plus d’une Coupe du monde au Qatar ? Spéculation, certes, mais fondée.

« On en sait d’ailleurs de plus en plus sur les projets d’invasion de l’émirat par des mercenaires de BlackWater, mandatés par leurs adversaires saoudiens et émiratis, rappelle Jean-Baptiste Guégan. La situation géopolitique est donc extrêmement tendue pour que la possibilité d’une invasion ait été envisagée avec, à la clef, la perspective d’un coup d’État renversant l’émir Al Thani. Sans l’intervention des États-Unis et un rappel à l’ordre clair de leurs alliés, la situation aurait peut-être déjà dégénéré. On imagine en plus d’un nouveau conflit régional, les conséquences d’une telle issue pour le PSG et l’organisation de la Coupe du monde 2022… »

Le piège du soft power

La Coupe du monde menacée ? L’hypothèse serait folle et créerait un fâcheux précédent qui ferait fuir nombre de potentiels candidats à son organisation. On sait en particulier la place qu’occupe l’organisation de l’évènement dans la vie de l’émirat et à quel point il symbolise ses rêves de grandeurs. « Il y a d’abord le rapport Cornerstone Global, très orienté, qui soulève les difficultés et surcoûts pour le Qatar d’une organisation de la Coupe du monde 2022, prolonge Jean-Baptiste Guégan. En raison de la crise régionale et de l’embargo qu’il subit, il apparaît compliqué pour lui d’être à la hauteur de l’événement. Dans le contexte actuel et malgré les dénégations de tous les responsables qataris, la question se pose, à défaut d’être réaliste. » Carole Gomez nuance néanmoins ce jugement, même si, effectivement, plus rien n’est dorénavant impensable : « Concernant la Coupe du monde 2022, elle n’est pas dans le scope des investigations de la justice suisse, qui se concentre sur les droits TV des CDM 2026 et 2030. Donc, là encore, il semblerait difficile de remettre en cause, une nouvelle fois, cette attribution. » Et Jean-Baptiste Guégan de conclure : « Si cette annulation se produisait, ce serait le résultat d’une profonde mutation de la FIFA et du contexte régional, ce qui semble aujourd’hui difficile à envisager. »

Vue de France, l’ampleur de ce qui se joue échappe à la plupart des observateurs. Toutefois, lorsqu’il passera devant les juges, Nasser Al-Khelaïfi aura désormais sûrement en tête bien d’autres problématiques que la simple question de l’accession en demi-finale de la Ligue des champions. « Qui vit par le soft power, périra par le soft power, s’amuse Jean-Baptiste Guégan. Pour paraphraser une maxime bien connue, le Qatar est dans une situation où les gains qataris liés au football en matière de rayonnement, de nation branding et d’attractivité, peuvent s’annuler. Avec le risque de se transformer en pertes sèches. Car aujourd’hui, l’étau se resserre sur le Qatar. Si l’on cumule tous ces éléments, on peut considérer que les bénéfices acquis grâce au soft power sportif et footballistique sont en train de se retourner contre l’État qatari. » Un peu comme le PSG avec l’UEFA.

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