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Le projet Busquets
« Le joueur le plus tactique avec lequel j'ai joué », dit Xabi Alonso. « Si je pouvais me réincarner en un joueur, ce serait Busquets », affirme Vicente del Bosque. « C'est le meilleur milieu de terrain au monde », raconte Guardiola. Certes, mais un grand 6 qui joue comme un compas, on en a vu d'autres. En quoi Sergio Busquets est-il vraiment un monstre ?
Une création diabolique Au cours des années 1990, dans l’ombre de la dream team barcelonaise, Carles Busquets, Johan Cruyff et Pep Guardiola mettent en place un projet diabolique pour le futur du football. Le principe est simple : le Barça doit former l’arme tactique la plus complète au monde. La Masia se transforme alors en laboratoire, et le fils de Carles, Sergio, est l’heureux élu. C’est le projet Busquets. Au fil des années, les trois hommes sélectionnent chez les meilleurs joueurs du Barça toutes les caractéristiques indispensables pour faire de ceconcept-player le meilleur milieu de terrain défensif au monde. La science tactique de Pep Guardiola. La conservation de balle de Xavi. Le jeu dans les petits espaces d’Iniesta. La technique de Rivaldo. La polyvalence de Phillip Cocu. L’amour du Barça de Carles Puyol. Et, enfin, la malice de Mark van Bommel. Le tout dans un corps d’1m89 aux jambes interminables : un monstre est né.
Pour compléter l’œuvre, les trois hommes n’oublient pas de lui fournir un physique de lâche et décident d’enlever à leur bébé le goût pour les frappes lointaines et les montées folles, afin d’éviter les offres de la Premier League. Leur mission est un tel succès qu’aujourd’hui encore, Busquets a gagné tous les titres qu’il y avait à gagner (sauf un Euro, tiens), et pourtant personne ne se rend encore compte du niveau de la bête. En 2008-2009, le Barça de Pep rafle tout sur son passage, se basant sur un milieu Touré-Xavi-Iniesta. Dans le rôle de 6, l’Ivoirien est sensationnel. Mais il est progressivement remplacé par un Sergio de 20 ans et à peine 60 kilos. Le monde ouvre des grands yeux, et attend. Peu de temps lui suffit pour se rendre compte que le Barça contrôle mieux le jeu, perd moins de ballon et encaisse moins de buts.
L’Espagne 2012, c’est Busquets
Si le débat du numéro 9 attire toute l’attention en Espagne, celui du dessin du milieu de terrain reste encore tabou. En 2008, Luis Aragonés positionne le seul Marcos Senna derrière Xavi, avec autour une combinaison faite d’Iniesta, Fàbregas et Silva (deux sur trois en quarts et demies, les trois en finale). Et ainsi, Xavi le MVP joue comme au Barça, avec quatre joueurs offensifs devant lui. Mais l’arrivée de Del Bosque bouleverse les choses. Face à des adversaires connaissant par cœur les mouvements de la Selección, Vicente décide de privilégier le contrôle du jeu au jeu lui-même, sacrifiant un attaquant pour placer un milieu Alonso-Busquets-Xavi. D’une part, Alonso et Busquets sont trop bons pour ne pas être titulaires. D’autre part, leur association a rendu la Roja invincible. Si l’Espagne de 2008 était Xavi, l’Espagne de 2012 est Busquets : plus équilibrée, plus impressionnante, plus monstrueuse. Une équipe jouant avec une telle sécurité qu’elle peut se permettre d’attendre l’heure de jeu pour accélérer, et la prolongation pour jouer avec son intensité maximale.
À la construction espagnole, quand Xavi va chercher le ballon au niveau de Piqué et Ramos, Busquets et Alonso se placent plus haut pour former un premier triangle. Quand Xavi lui donne, il lui remet, quand on essaye de lui prendre le ballon, il le garde pour le rendre à Xavi, et quand Xavi lui dit d’aller le donner sur l’aile, il y va. En fait, c’est un peu comme si Xavi pouvait à tout moment jouer avec son ombre. Une ombre plus grande et plus jeune. Comme un robot, Busquets fait tout cela sans un seul déchet. Sergio ne perd jamais un ballon, ne se laisse jamais intimider par un quelconque pressing, ne rate jamais une seule passe et ne fait jamais de faute débile. 456 passes tentées en 5 matchs, 85% de réussite. 4 fautes commises en 480 minutes et 12 fautes subies (10e de l’Euro). Busquets est « injouable » . Si Busquets n’a pas un rôle important dans la finition, il est crucial pour que la Roja respecte la fameuse règle des cinq secondes : à la perte de balle, les joueurs espagnols ont cinq secondes pour la récupérer, puis se replacent dans une position défensive classique en cas d’échec du pressing.
Contrôler, contrôler et gagner
L’Espagne a atteint un contrôle du jeu jamais connu auparavant. C’est simple, le but de Zidane en 2006 est le dernier but encaissé par la Roja en match à élimination directe. Pour cette raison, la doublette de milieux défensifs sera à nouveau alignée ce soir. En face, selon les choix de Prandelli, un milieu en losange ou un milieu à trois (dans le 3-5-2). Dans les deux cas, l’Italie mettra de la densité dans l’axe, et Busquets aura un rôle majeur. Le numéro 16 devra couper le lien Pirlo-Montolivo et couvrir les espaces en cas de perte de balle de ses attaquants. S’il y a titularisation de Motta, Busquets aura également à cœur de démontrer qu’il est bien le robot tactique barcelonais que Motta aurait pu être. Sergio pourrait aussi être utilisé comme une arme psychologique, dont le rôle serait de faire commettre des fautes frustrantes à Balotelli. Une mission facile pour le joueur le plus « hated » au monde. Historiquement, l’Italie – pays de la craie et du tableau noir – a toujours battu l’Espagne sur le plan tactique. Mais ça, c’était avant le projet Busquets.
Par Markus Kaufmann
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