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Le petit pont et ses cousins des autres sports
Le petit pont, ça vaut quoi dans les autres sports ? Au football, le petit pont est sans doute le geste technique le plus connu de la planète. Et le plus humiliant aussi. Mais dans les autres sports, y a-t-il des dribbles similaires ? Nous avons enquêté.
Handball avec Michaël Guigou (international français, Montpellier) : le chabala
« Dans notre sport, le duel le plus fort, c’est tireur–gardien. Le un-contre-un, c’est un duel fort, mais c’est moins important qu’avec le gardien. Donc je dirais que c’est le chabala est le geste le plus parlant. J’en faisais beaucoup quand j’étais jeune, car c’était à la mode. J’en discutais il n’y a pas longtemps et j’en fais moins. Peut-être que là où j’en fais le plus, c’est sur penalty. C’est un geste qui est sans doute plus utilisé par les pivots, car dans l’action, ils sont souvent bousculés et le gardien peut parfois monter de manière agressive sur lui. De près, le gardien tente souvent des parades réflexes, et les pivots en profitent généralement pour tenter ce geste, qui est assez efficace pour eux. On feinte un tir en force et on lâche une feuille morte au-dessus de la tête du gardien. Quand je vois les jeunes aujourd’hui, qui reproduisent des gestes comme des roucoulettes spatiales, c’est incroyable. Le chabala, je pense qu’il y a 90% des jeunes qui savent le faire. Avant, il y en avait 2-3 qui savaient le faire au niveau international. Irfan Smajlagić, un ailier droit croate, a été un des premiers à faire des chabala qui étaient monstrueux. Je me rappelle les gardiens qui baissaient les bras (rires). Il y a (Lars) Christiansen aussi. Au tout début, pour le gardien, c’était assez humiliant. Aujourd’hui, c’est un geste un peu plus commun. Après, quand un gardien arrête un chabala, il fait parfois comprendre qu’il faut pas lui faire. Ça va forcément dans un sens et dans l’autre. Pour l’origine du nom, autant le Schwenker, je sais que ça vient d’un joueur (Uwe Schwenker, ndlr), autant le chabala, je ne sais pas. Mais si c’est le cas, il avait un nom compliqué (rires). À l’entraînement, c’est dans un moment différent, mais ça dépend aussi du gardien que tu as en face. Ça fait partie des gestes qu’on doit tenter de temps en temps en tout cas. »
(à partir de 2’30)
Volley-ball avec Guillaume Samica (international français, joue à Czestochowa, Pologne) : le service-roulette
« Le volley, c’est un sport différent du foot, car il n’y a pas de contact. Je sais de quoi je parle, je suis ancien footballeur. J’ai notamment porté les couleurs de Choisy-le-Bac (promu en CFA 2 cette saison, ndlr), où j’ai évolué de débutant à cadet deuxième année. J’ai même fait quelques apparitions en équipe régionale de Picardie. Mais j’étais trop grand, trop maigre. Et finalement, j’ai trouvé le sport qui me convient avec le volley. Pour en revenir au geste le plus humiliant du volley, je crois que c’est sans doute le service-feinte ou service-roulette, qui serait peut-être davantage considéré comme une panenka. En fait, c’est assez frustrant de ne pas réussir à défendre sur un service à 40 km/h, alors que d’habitude, on peut en recevoir aux alentours de 120 km/h. On tente en fait un service qui n’a pas de force et qui tombe derrière le filet, aux pieds des adversaires. Tout le monde sait le faire, mais c’est dur de trouver le bon moment pour le faire. Il faut aussi bien choisir sur quel joueur on le fait. C’est comme au foot, c’est plus facile de mettre un petit pont à Patrick Vieira et ses grandes jambes qu’à Fabio Cannavaro, je pense. C’est très technique, car il faut cacher la main. En Pologne, j’en ai fait deux de suite sur le même joueur. Il y a la vidéo sur Youtube. Ils ont appelé ça « Samica déjà vu » . Le mec sur qui je le fais, la deuxième fois il reste allongé par terre. Selon les pays, ça diffère aussi. En Russie, par exemple, ils n’ont peur de rien. Les arbitres laissent faire. Il y a beaucoup de mots, de provocation. En France, ça parle beaucoup, mais pas autant. En Italie, en revanche, le volley est plutôt considéré comme un sport élégant (sic), donc les mots sont mal vus. Après Argentine, Grèce, c’est très chaud. Et puis aux Émirats, il n’y a aucune limite. À cause de moi, il a failli y avoir une baston générale. Un mec me provoquait en me montrant ses couilles, je lui ai juste dit qu’il fallait être plus respectueux que ça et il est passé sous le filet. Tout le monde s’en est mêlé, mais je n’ai rien fait, car j’aurais pu être éjecté du pays sinon. »
Hockey sur glace avec Sacha Treille (international français, Straubing Tigers, Allemagne) : la ramasse
« Le truc qui pourrait ressembler le plus possible à un petit pont, je dirais que c’est le toe drags. En français, c’est ce qu’on appelle la ramasse. Ça consiste à faire tenir la palette sur la tranche de la crosse. Ce qui est beau, c’est de faire ça en passant le défenseur. Stéphane Da Costa, en KHL, est un spécialiste de ce geste, il est très bon techniquement. C’est un magicien. En match, faut vraiment avoir l’opportunité et surtout le talent pour le faire. À l’entraînement, on en fait pour se brosser entre nous. C’est vraiment un geste classe qui montre que t’as du talent et qui énerve l’adversaire. En NHL, Aleksandr Ovechkin a fait la totale en éliminant deux adversaires et en marquant juste derrière. »
Le basket avec Antoine Diot (international français, Strasbourg) : le crossover
« Pour moi, ce qui rejoint le plus le petit pont, ce serait le crossover : quand on change de main avec le ballon devant le défenseur. Et le must du must, c’est de le faire tomber. On fait droite-gauche, changement d’appuis. Certains joueurs arrivent plus facilement à le mettre, mais, au départ, c’est vraiment pour passer le défenseur. Pour ma part, c’est un rêve de faire ça. D’ailleurs, quand tu le réalises, ça veut dire que t’es en pleine confiance. Après, bien sûr, y a du chambrage. T’entends les « ouuuuhhhhh » dans les tribunes. Si t’en prends un, tu te fais aussi brancher par tes coéquipiers, surtout quand on gagne à la fin. Généralement, ceux qui réalisent ce genre de gestes, ce sont des très bons dribbleurs. Je pense que la référence du crossover, c’est Allen Iverson. C’est le plus grand. Il en a fait un nombre incalculable. Pas comme moi (rires). Je ne suis pas quelqu’un qui a un dribble extraordinaire. Pour Iverson, je me souviens surtout de deux crossovers mémorables. Un contre les Lakers, pour le shoot de la gagne. Et ensuite, il passe par-dessus son adversaire en repartant. Et puis forcément celui sur Michael Jordan. »
Crossover Iverson sur Lue (Lakers)
Crossover Iverson sur Jordan
Water-polo avec Ugo Crousillat (international français, Cercles des nageurs de Marseille) : le sombrero
« On n’a pas le droit de mettre la balle sous l’eau, donc effectivement, le petit pont, on ne fait pas. Mais ce qui s’en rapproche le plus, je pense, c’est le sombrero. C’est un geste assez rare quand même, que l’on ne voit sûrement pas aussi souvent qu’un petit pont au foot. C’est vachement risqué, car tu peux perdre le ballon et mettre facilement ton équipe en danger. Je l’ai déjà fait à l’entraînement, mais je ne l’ai jamais tenté en match. En plus, au water-polo, ça peut vite chauffer entre les joueurs, car on est quasiment constamment au contact. On se tient énormément, et le but, c’est toujours le duel, alors quand tu le perds, tu peux te faire chambrer. Si on réussit ce geste lors de Marseille-Montpellier, où il y a une très grosse rivalité, c’est que du bonus. L’objectif principal d’ailleurs, c’est de récupérer le titre. Celui qui pourrait être le spécialiste de ce geste, c’est Manuel Estiarte, un joueur des années 90. C’est une légende. Il n’était pas très physique – c’était même tout l’inverse de ça – et il compensait par sa technique. »
Rugby avec Wesley Fofana (international français, Clermont) : la feinte de passe
« Les petits ponts, les grands ponts, c’est ce que je recherchais quand j’étais petit. J’étais pourtant libéro ou milieu défensif. On prenait des risques, mais on savait qu’on avait de bons attaquants, donc ça posait pas de problèmes (rires). Aujourd’hui, au rugby, ce qu’on pourrait assimiler au petit pont, je dirais la feinte de passe. C’est assez difficile à réaliser. Il faut juste bouger les bras. Quand il y en a une qui passe, on sait que les gens autour vont réagir. Dans les tribunes, les spectateurs vont faire « ouuuuhhhh« . Et quand le gars en prend une à l’entraînement, tout de suite ça chambre. On lui demande alors : « t’es parti en tribune ? » C’est vachement difficile de réussir ce geste en tout cas, car aujourd’hui, on a affaire à des défenses resserrées, même si je pense que tous les grands joueurs arrivent à le faire. Faut juste pas le réaliser n’importe quand, en fait. Faut bien choisir le moment, car si le défenseur ne tombe pas dans la feinte, alors là il se retrouve direct face à toi et tu manges. Tu prends un bon caramel. Carlos Spencer en était un spécialiste. »
Tennis de table avec Simon Gauzy (international français, Ochsenhausen, Allemagne) : la roulette
« Ce qui se rapproche le plus du petit pont, je dirais que c’est quand on contourne le filet avec beaucoup d’effet. La balle peut sortir de la table et revenir. C’est un coup rare, assez impressionnant. Ça s’appelle la roulette, car la balle roule en fait sur la table. C’est impossible à reprendre pour le joueur adverse. Ça fait le point à chaque fois. Les joueurs n’aiment pas trop prendre ça. Comme sur la vidéo entre Tiago Apolonia et Dimitrij Ovtcharov. Ça m’est déjà arrivé trois-quatre fois de le faire en match et autant d’en être victime, donc je sais la sensation que ça fait. En fait, y a deux types de réactions à un geste comme celui-là. Soit le joueur le prend bien et il applaudit, les joueurs rigolent alors entre eux – c’est peut-être ce qu’il y a de mieux à faire, soit il est vexé. Sur la vidéo, il rigole pas… (rires) »
La page facebook de Simon Gauzy
Foot US avec Philippe Gardent (ex-international français, passé par les Washington Redskins et les Carolina Panthers, aujourd’hui consultant sur beIN Sports) : le pump fake
« Au football américain, il y a plusieurs gestes qui peuvent s’apparenter au petit pont, je trouve. Tout d’abord, il y a lorsque le quarterback parvient à lancer le ballon entre les mains levées du défenseur adverse, mais c’est peut-être un peu moins volontaire qu’au soccer, comme on dit aux États-Unis. Sinon, il y a d’autres actions encore plus frustrantes pour les défenseurs, notamment le pump fake, une spécialité de Ben Roethlisberger, le QB des Pitsburgh Steelers, qu’on surnomme d’ailleurs Big Ben. En fait, le QB se recule, lève le bras comme s’il allait lancer, il feinte la passe et continue de courir. Si le défenseur saute pour contrer la passe, alors c’est qu’il mord et c’est une grosse frustration pour lui. À l’entraînement, quand ça arrive, tout le monde se moque de lui. Enfin, y a un dernier geste, qui est davantage assimilé au rugby, c’est le cadrage débordement évidemment. C’est une frustration extrême quand tu en prends un. Il y a quelques spécialistes aussi, comme le running back Jaamal Charles de Kansas City ou le receveur Antonio Brown des Steelers aussi. En France, on peut dire que Stephen Yepmo, de Thonon-les-Bains, est aussi un habitué de ce mouvement. »
Exemple de pump fake :
Jamaal Charles
Tennis avec Julien Benneteau (international français, 28e à l’ATP) : la volée rétro
« D’un point de vue technique, le coup entre les jambes peut s’apparenter au petit pont. Si tu prends un passing gagnant entre les jambes, ça met un coup à la tête. Sinon, il y a l’amorti rétro, mais c’est rare. Ça n’arrive pas souvent. Tu n’arrives pas à l’avoir, puisque la balle repasse de l’autre côté du filet. C’est dur à encaisser ça. On n’ose pas trop regarder son adversaire dans les yeux quand on en prend une. On repart tout de suite servir ou se placer pour retourner. On ne regarde pas l’adversaire, on ne regarde rien, on demande la balle et on essaye de passer rapidement au point suivant. Sur le circuit, il y a quelques spécialistes de ce geste : Benoît Paire, le Français, qui la tente souvent et qui la fait bien. Y a pas vraiment d’autres joueurs que lui qui me viennent à l’esprit pour ce genre de gestes (rires). Y avait Fabrice Santoro qui pouvait le tenter. C’est un coup qui n’est pas facile, car il faut la bonne balle, qu’elle arrive bien vers toi et après le réussir. C’est vraiment rare de tenter ça en match. En général, pour qu’elle soit réussie, il faut qu’elle monte un petit peu en l’air et si elle monte, c’est que ça peut donner du temps à l’adversaire d’arriver. Il faut vraiment que ce soit bien exécuté. À l’entraînement, on peut le faire pour rigoler. Ça ne m’est jamais arrivé d’en subir pendant un match. D’en faire ? Je crois que la balle n’est jamais revenue dans mon terrain (rires). Mais c’est vrai qu’à la volée, sur un passing, on peut donner plus facilement un petit effet rétro à la balle. Contre Federer, à Shanghai, j’en ai fait un rétro, mais qui était latéral. Mais ça, si on devait le comparer à un geste au foot, ce ne serait pas le petit pont, mais plutôt une frappe enroulée en pleine lucarne avec une trajectoire incroyable. Sur le circuit, y a forcément des joueurs qui sont plus sujets à être « on tilt » (quand les émotions prennent le dessus, ndlr) après ça. Mais ça arrive tellement rarement que ce coup-là, si ton adversaire le réussit, à la limite, tu seras plus là à le féliciter que d’être vraiment aigri et de vouloir entre guillemets te venger. Un joueur qui prend un ou deux petits ponts, il se dit « la prochaine fois, je le tacle ou quelque chose comme ça« . Au tennis, on est plus en train de vouloir dire « bravo vieux« . »
Amorti rétro, le plus beau, celui de Sampras
Par Tanguy LE SEVILLER (@tang_foot)