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« Le Parc est passé d’un public supporter à un public client »
Alors que le Paris Saint-Germain version QSI s'apprête à toucher les cieux cette saison, Jérôme Bénadiner et William Samuel Touitou, auteurs, réalisateurs et producteurs de "PARC", rendent un hommage vibrant au Parc des Princes de l'avant-Leproux et à ses supporters historiques. Pour que l'histoire ne tombe pas dans l'oubli. Pour crier ce qu'ils estiment être la vérité. Entretien à la veille de la sortie du documentaire le plus brulant de l'été.
D’où vous est venue l’idée de faire un documentaire en hommage au Parc et à ses supporters ?
Jérôme Bénadiner : On a joué au PSG jusqu’à nos 18 ans. Le stade est en nous depuis notre enfance. Ce qu’il s’est passé ces dernières années, les embrouilles entre les Kops mais surtout le plan Leproux et ses conséquences, est beaucoup trop révoltant pour qu’on le laisse sous silence. Étant donné qu’on a monté notre boite de production, on s’est dit qu’on avait le devoir de raconter toute cette histoire.
William Samuel Touitou : Quand on a décidé de faire ce documentaire, on a pensé aux mecs qui passaient leurs nuits à peindre en hiver dans les coursives du Parc, aux mecs qui ont donné de leur personne, aux mecs qui claquaient leur oseille à faire tous les déplacements. Que le club et les médias n’aient même pas une once de considération pour ces gars-là, qui ont fait naître et vivre le PSG, c’est quelque chose qui nous a profondément dégoûtés et qui nous a donné envie de lancer le truc.
Comment le film est-il construit ?
WST : On suit un supporter lambda, de virage, d’Auteuil ou de Boulogne, on ne précise pas. Le soir du sacre de Montpellier, il ne ressent pas d’émotion particulière parce que ça fait deux ans qu’il a perdu la foi. Pour lui, le Parc est le plus beau stade du monde mais ce stade n’est plus le sien depuis le plan Leproux, le placement aléatoire en virage et la dissolution des groupes de supporters. Il nous fait alors voyager à travers le temps, de la création du club jusqu’à nos jours à la recherche de ce qui a fait l’identité si particulière du Parc des Princes. Ce fil directeur est entrecoupé d’interviews d’anciens joueurs, de journalistes, d’ex leaders d’associations, qui nous racontent leurs souvenirs de Parc et rendent l’histoire plus vivante.
Faire un documentaire sur le Parc et son ambiance, en rendant hommage à ceux qui sont souvent présentés comme des voyous, c’est prendre un engagement politique, non ?
JB : C’est forcément quelque chose de militant, même si on a toujours essayé de garder une certaine objectivité. On soulève beaucoup de questions qui dérangent comme par exemple l’implication des pouvoirs publics et du club dans l’aggravation de la situation à la fin des années 2000.
WST : C’est notre manière de participer à la lutte pour que la vérité soit connue. C’est un travail de mémoire. On sent que beaucoup avaient besoin qu’on parle de ça. Depuis qu’on a lancé la promo du film, on reçoit un mail de remerciements toutes les cinq minutes.
La question qui tue : mieux vaut un Paris Saint-Germain qui galère avec un public bouillant derrière ou un PSG qui gagne dans une ambiance moyenne ?
JB : On a des amis qui nous disent « mais comment vous pouvez ne pas être contents avec les Qataris, avec Zlatan et tout le reste« . Évidemment qu’on est contents, c’est super que le PSG se construise une équipe de rêve. Mais on vivra la chose de façon moins passionnée. Quand tu as été fan du PSG à notre époque, que tu as connu un soir de match dans un Parc en folie, tu ne peux pas totalement te réjouir de la situation actuelle. Bien sûr qu’on va kiffer la Ligue des Champions cette saison. On va se faire des super soirées canap’ pop-corn.
WST : Ça peut paraître ridicule, mais je préfèrerais un PSG en deuxième division avec le Parc comme avant. Zlatan, c’est chouette mais ça ne nous fait pas vibrer.
Que sont devenus les anciens d’Auteuil et de Boulogne ? Ils boycottent toujours ou sont-ils revenus au stade de leur côté ?
JB : Certains sont revenus, d’autres non. Ceux qui sont revenus ont souvent déjà fait leur deuil. Ils savent que ce n’est plus le même Parc et ils n’y vont plus de la même façon. On ne juge pas ces mecs-là, comme on ne juge pas non plus les supporters qui sont arrivés depuis deux ans.
C’était quoi être supporter de virage dans l’ancienne ambiance du Parc ?
JB : Des émotions folles. J’ai tout connu au Parc, j’ai vibré, j’avais la chaire de poule, je rentrais chez moi aphone. Que ça soit des matchs pour la première place ou pour la huitième place, on vibrait de la même façon. On savait que quand l’équipe marquait un but, c’était en partie grâce à nous. On avait un rôle. Nous aussi, on jouait un match. Ce qui était fou, c’était l’électricité qu’il y avait. Quand Canal, beIN ou n’importe quelle chaîne fait une bande annonce de deux minutes, elle te met une minute de fumis et de tifos. Au fond, c’est ce que les gens aiment dans le foot.
Et le nouveau public ?
WST : On est passés d’un public supporter à un public spectateur, à un public client. Le club a totalement tué l’esprit d’autrefois. Par exemple, quand tu fais une banderole, tu dois la montrer à des responsables qui te disent si tu peux ou pas la mettre. Un nouveau public est arrivé avec les bons résultats sportifs. Il n’y a plus de chants, plus d’ambiance, plus d’esprit populaire. Ça vire très rapidement à l’insulte de l’adversaire. Maintenant, quand une autre équipe vient jouer à Paris, leurs supporters peuvent crier « on est chez nous » sans se faire couvrir par le reste du stade. C’est un truc de malade.
Est-ce que vous pensez qu’un PSG sans la ferveur de ses virages puisse connaître d’autres histoires d’amour comme il en a connues avec Raï et Pauleta par exemple ?
WST : Bien sûr que non. Un lien s’était construit entre eux et les virages. Ce sont des hommes qui ont été marqués à vie par leur expérience à Paris. Pauleta nous racontait qu’aujourd’hui, quand il a un petit coup de déprime, il va sur internet et regarde des vidéos de l’ambiance de l’époque. Les mecs passaient aux locaux des assos, passaient en tribune. Ce genre de chose ne pourra plus arriver mais ce n’est pas du fait des joueurs. Un Lavezzi par exemple, avec l’ancien Parc, ça aurait sûrement été incroyable.
On dit beaucoup que le plan Leproux avait comme « objectif caché » de favoriser la reprise du club par les Qataris, parce qu’il devenait plus vendable sans ses ultras.
JB : C’est certain, mais j’irai même plus loin. Personnellement, je pense que l’arrivée des Qataris était prévue depuis longtemps. Avant le plan Leproux. Les pouvoirs publics et le club ont laissé les choses dégénérer volontairement pour pouvoir se débarrasser des ultras et des classes populaires et trouver un repreneur qui ferait un PSG business et Disneyland.
Les derniers mois durant lesquels tout a dérapé, vous pensiez quoi de la situation ?
WST : Le soir du PSG-OM où tout à dérapé (soir de la mort de Yann Laurence, ndlr), ça partait vraiment dans tous les sens. Ce qui est incompréhensible, c’est que des mecs qui sont normalement placés aux extrémités du stade, avec entre eux des grilles et des cordons de CRS, aient pu venir se taper dessus. Ça pose beaucoup de questions. A cette époque-là, moi je flippais, je n’étais pas serein du tout.
JB : Pendant les derniers mois, la haine entre les virages était devenue trop forte. Ça s’est dégradé progressivement et les assos étaient dépassées. Ces actions-là étaient faites par des indépendants, des mecs souvent incontrôlables qui n’étaient pas encartés et qui donc n’avaient pas de consignes à respecter. Des gars souvent ivres mort et « cokés » qui se chauffaient entre eux. Personne ne voulait que ça en arrive là, en particulier les assos, mais personne ne contrôlait plus rien.
Est-ce qu’il existait une solution pour mettre hors-service les mecs les plus violents sans entraîner les mêmes dommages collatéraux que le plan Leproux ?
JB : La solution, elle était en amont. Ca faisait des années qu’on avait identifié les problèmes. On connaissait parfaitement les personnes violentes. Le Parc était le stade le plus surveillé de France, avec des caméras partout. Tu regardes un reportage pourri à la télé où on te montre que les agents de sécurité peuvent lire l’heure sur la montre d’un supporter mais par contre, quand ce même mec vient en frapper un autre ou fait un salut nazi, on t’explique qu’on ne peut pas identifier les auteurs des troubles. On nous a vraiment pris pour des cons. Le pire, c’est que les mecs qui mettaient le bordel sont toujours là à tourner autour du stade…
Et le retour à l’ambiance d’avant 2010, vous y croyez ?
WST : A l’heure actuelle, non. Les dirigeants du PSG n’ont aucune intention de mettre fin à l’aléatoire. Ils ont trouvé un nouveau public qui conteste moins, qui fait moins de vagues, ils sont contents. Mais attention, si la mayonnaise ne prend pas et que, pour une raison ou pour une autre, les résultats ne sont pas là cette année, les gens ne vont rien comprendre, il va y avoir une ambiance de plomb dans le stade. Peut-être que là on dira : « Ah oui, effectivement, avant, même quand ça n’allait pas, le public soutenait l’équipe« .
JB : Les Qataris finiront bien par partir. Tout ce qu’on demande, c’est juste la possibilité de se réunir où on veut dans le stade, de faire la fête et de soutenir notre équipe. Maintenant qu’on a connu ça, on l’a dans la peau et on se battra pour le connaître à nouveau. On ne lâchera jamais l’affaire, même si on doit attendre vingt ans.
Et le transfert du PSG au Stade de France ?
JB : Ca serait évidemment une énorme connerie. Le club finirait de perdre le peu d’identité qu’il lui reste. Le problème, c’est qu’ils ont éliminé le seul contre-pouvoir qu’il y avait au club : les supporters. En 1998, quand les dirigeants ont voulu aller au Stade de France, le public a fait barrage : à chaque match une banderole, à chaque match un chant « Saint-Denis on s’en fout » et on n’est pas allés au Stade de France. Maintenant qu’il n’y a plus de contre-pouvoir, s’ils veulent mettre un maillot vert, ils le mettront. S’ils veulent aller au SDF, ils y iront. Ils pourraient même aller jouer à Marseille s’ils le voulaient.
A voir : « PARC » de Jérôme Bénadiner et William Samuel Touitou, le 8 août
Crédit Photo : When We Were Kids
Propos recueillis par Pablo Garcia-Fons