- Russie
- D1
- SKA Khabarovsk-CSKA Moscou (2-4)
Le match que vous n’avez pas regardé
En ce week-end de grands derbys européens à Rome, Londres et Madrid, il fallait bien un match loin des rivalités de clocher pour revenir au foot, le vrai. Pas un derby donc, mais une autre sorte de folklore. Parce que ce week-end, le match que vous n’avez pas regardé opposait deux villes distantes de 8000km. Direction Khabarovsk, en Sibérie orientale.
SKA Khabarovsk 2-4 CSKA Moscou
Buts : Dedechko (5e) et Marković (81e) pour Khabarovsk // Dzagoev (12e), Wernbloom (74e, 83e) et Vitinho (93e) pour le CSKA.
« Ils devraient jouer au Japon ! » lâche un homme en colère. Nous sommes en 2007, et Igor Akinfeev, portier historique du CSKA, rumine après une défaite des siens en coupe sur la pelouse de l’Energyia Vladivostok. Dix ans plus tard, le même Akinfeev faisait son retour en Sibérie orientale, mais cette fois pour un match de championnat face au SKA Khabarovsk. À peine moins loin de Moscou que la voisine Vladivostok, la ville de Khabarovsk abrite le club le plus à l’est de la Première Ligue russe de foot et de hockey. 8 380 km via la Transsibérienne, 7 heures d’avion et 5 fuseaux horaires séparent la principale ville orientale de Russie de la capitale. À trente kilomètres de la frontière chinoise, Khabarovsk et ses 616 000 habitants n’ont pourtant rien à envier aux autres métropoles russes : industrie puissante, offre culturelle complète et, depuis juillet, un club de première division de football.
Stade désert, Lénine et température polaire
Fondé en 1957, le petit club n’avait jamais atteint l’élite et dispute donc sa première saison parmi les grands. Une belle histoire qui n’a pas fait que des heureux, loin de là. Si la neige tapisse la ville entre 114 et 140 jours par an, ce n’est pas le principal problème causé par l’accession du SKA Khabarovsk en D1. Non, le problème, c’est bien sa localisation a des milliers de kilomètres de ses adversaires, et donc le décalage horaire de plusieurs heures à chaque déplacement pour ces derniers. Si, comme Akinfeev, certains se sont plaints de cette situation, ils ont oublié que pour Khabarovsk, c’est un handicap un match sur deux, et non pas une fois par an. Pendant l’été, la Fédération a même failli russianiser le cas Luzenac en n’approuvant pas les installations du club, notamment le stade Lénine. La faute, paraît-il, à son nom, trop connoté. Mais finalement, le promu a été autorisé à recevoir dans son vétuste écrin. C’est donc dans ce stade born in URSS de 15 000 places, séparées du terrain par une piste d’athlé et un cordon de neige, que le SKA Khabarovsk attendait de pied ferme le géant du CSKA. Bons derniers à la mi-championnat, les locaux n’ont engrangé que douze points, mais dix à domicile. L’ogre moscovite était prévenu.
De son côté le CSKA débarquait serein à l’autre bout du pays : en embuscade au pied du podium, les Moscovites sont aussi engagés dans une course avec le FC Bâle pour voir les huitièmes de finales de C1. Sur le papier donc, la rencontre était quasi jouée d’avance. D’ailleurs les locaux débutent en 5-4-1 face à l’ambitieux 3-5-2 des visiteurs. Mais c’était sans compter les cinq heures de décalage horaire et surtout les -17°C au coup d’envoi. Bienvenue en Sibérie orientale. Alors que les quelques centaines de spectateurs enfilent chapkas et écharpes, sur la pelouse certains joueurs ont opté pour une simple paire de gants quand d’autres, à l’image des arbitres, ne laissent poindre que leur visage. Des précautions qui n’améliorent pas la visibilité d’une rencontre où les Bleu et Rouge affrontent des Rouge et Bleu dans un stade bleu et rouge. Épileptiques s’abstenir. C’est donc dans ce contexte polaire que Khabarovsk cueille le CSKA à froid (logique) dès la cinquième minute par une tête piquée un peu moche du cousin ukrainien de notre sélectionneur : Dedechko. Mais dans un pays où la moindre opposition est sévèrement réprimée par les puissants, ce n’est pas étonnant de voir les Moscovites égaliser à peine six minutes plus tard par Dzagoev qui faisait preuve d’un tout aussi froid réalisme. Le piège semble alors déjoué.
Des points et des larmes
Mais à la vingtième minute, le CSKA se fait rattraper par ce froid, allié à la pelouse synthétique, quand son défenseur Alexeï Berezutski sort en pleurs sur civière après avoir paumé sa cheville sur un tacle anodin. Une fausse note dans une première mi-temps enlevée, emballée et séduisante, résumée par la domination sans partage du CSKA, seulement inquiété par les contres éclair de Khabarovsk. Après cette belle première période qui convaincrait presque d’investir dans les droits TV du championnat russe, les joueurs reprennent sur un rythme plus fidèle à ce que l’on s’imagine du foot local avant que la supériorité technique du CSKA ne fasse la différence. Alors que le thermomètre chute à -19°C, les Moscovites harcèlent la défense d’une équipe aussi acculée que dangereuse en contre. Sur un centre rasant, Wernbloom fait enfin craquer le rideau de fer de Khabarovsk et pense mettre le CSKA à l’abri à un quart d’heure de la fin.
Dans la foulée, Milanov récupère la civière Berezutski, qu’il avait remplacé une heure plus tôt. Vaillant, le défenseur insiste pour reprendre, mais s’écroule une fois lâché par les soigneurs. Deuxième blessé du jour pour le CSKA. Khabarovsk en profite pour, sur un copier-coller parfait du second but moscovite, égaliser à la surprise générale grâce à une feinte inspirée de Kazinkov pour Marković. Presque totalement vide, et amputé par le froid, le stade Lénine peine à enorgueillir ses troupes, un comble. Mais telle une œuvre de Tchekhov ou une partition de Tchaïkovski, le scénario ne pouvait être aussi simple. Alors le CSKA sort les muscles et reprend l’avantage trois petites minutes plus tard par Wernbloom, avant que le Brésilien Vitinho n’achève Khabarovsk dans le temps additionnel (2-4). Une fin de match folle qui permet au CSKA de s’emparer de la troisième place du championnat avant de recevoir Benfica en C1. Cette fois, Igor Akinfeev a dû apprécier le voyage.
Par Adrien Hémard