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Le football guadeloupéen, condamné à stagner ?

Par Kevin Charnay
7 minutes
Le football guadeloupéen, condamné à stagner ?

Le 28 juin 1635, la Guadeloupe devenait une colonie française. Aujourd'hui, l'île est un département d'outre-mer, et son football peine à progresser. Un championnat à part entière dont les clubs participent à la Coupe de France, une sélection affiliée à la CONCACAF, mais pas à la FIFA : la Guadeloupe est entre deux eaux.

Thierry Henry, Lilian Thuram, Marius Trésor, Olivier Dacourt, William Gallas, Louis Saha et même Pascal Chimbonda… La Guadeloupe a énormément apporté au football et au sport français de par son réservoir de joueurs. Dans l’autre sens, le retour d’ascenseur est moins évident.

Une sélection en perte de vitesse

En 2007, la sélection guadeloupéenne, les Gwada Boys, crée l’exploit en se hissant en demi-finale de la Gold Cup, la compétition continentale qui regroupe les sélections d’Amérique du Nord, d’Amérique centrale et des Caraïbes. Emmené par un Jocelyn Angloma tout feu tout flamme, 41 ans et buteur lors du quart de finale contre le Honduras (2-1), le groupe est composé de jeunes talents locaux et de professionnels évoluant en métropole. L’autre buteur de ce quart, Richard Socrier, qui joue maintenant au Paris FC, se souvient : « On voulait juste bien faire. On n’avait pas eu de grosse préparation, mais on voulait tellement défendre ce maillot de la Guadeloupe. » Les Gwada Boys seront finalement éliminés par le géant de la compétition, le Mexique, sur le score honorable de 1-0.

Depuis cette épopée, les résultats de la sélection guadeloupéenne n’ont fait que chuter. Quart de finale en 2009, éliminés au premier tour en 2011, non qualification en 2013 et 2015. Pourtant « le réservoir de joueurs n’est pas moins bon et le staff non plus » , assure Joseph Séné, le président de la Ligue guadeloupéenne. « Le problème, c’est que les clubs métropolitains refusent de libérer les joueurs comme Nangis, Beauvue ou Nabab. » La Ligue parvient à récupérer les joueurs de CFA ou de National, mais dès qu’on arrive au niveau Ligue 2, ça bloque. Par exemple, en 2009, Châteauroux a rappelé David Fleurival en pleine Gold Cup pour préparer le début du championnat. Même chose pour Livio Nabab, qui n’a pas pu disputer les éliminatoires en 2015 : « L’AJ Auxerre m’a empêché d’y aller parce que je sortais de blessure et qu’ils ne voulaient pas prendre de risque. Moi, je me sentais prêt. »

Une affiliation à la FIFA pour l’instant impossible

Le plus surprenant, c’est que les Guadeloupéens évoluant hors des frontières françaises, en Angleterre, en Italie, en Espagne ou au Portugal, ont plus de facilités à être libérés par leur club. « Les clubs étrangers estiment qu’ils doivent représenter la Guadeloupe, alors que les clubs français estiment que les joueurs sont leurs propriétés » , soulève Joseph Séné. Normalement, un club peut refuser de libérer un joueur pour une sélection seulement pour les matchs amicaux. Sinon, selon les textes de la FFF et de la FIFA, « un joueur retenu en équipe nationale est à la disposition de la Fédération » . Sauf que la sélection guadeloupéenne n’est pas affiliée à la FIFA, et n’a donc aucun pouvoir de subordination. Les clubs peuvent donc faire ce que bon leur semble. Pourtant, depuis 2013, la Guadeloupe est un membre à part entière de la CONCACAF, confédération sous l’égide de la FIFA.

« On a déjà envisagé d’être affilié à la FIFA et on a déjà fait les démarches dans ce sens depuis que nous sommes à la CONCACAF » , explique Joseph Séné. L’Assemblée générale des clubs s’est d’ailleurs réunie à ce sujet et a voté « oui » , un courrier a été adressé à la FFF et un entretien avec Noël Le Graët et le ministre de la Ville, de la Jeunesse et des Sports a eu lieu. D’ailleurs, ce n’est pas la FFF qui a posé son véto au projet, mais bien Patrick Kanner. « Il n’a pas trop donné d’explication. Son dernier argument était : si la Guadeloupe se qualifie pour la phase finale et qu’elle se retrouve en poule contre la France, on fait quoi ? » , se souvient le président de la Ligue. Eh bien, on va jouer un match de foot, c’est tout Monsieur le ministre. En plus, il n’y aurait pas de souci pour les sélectionneurs puisqu’un joueur qui a porté le maillot de l’équipe de France en compétition officielle durant les cinq dernières années ne peut pas être sélectionné par la Guadeloupe. « Et puis, la France serait doublement représentée ! » , s’étonne Joseph Séné.

Un championnat bloqué en DH

Le statut si particulier de département d’outre-mer condamne le championnat guadeloupéen à rester totalement amateur. Dans l’appellation, le championnat de Guadeloupe, c’est niveau DH. La Ligue de Guadeloupe étant une ligue régionale de la FFF et la division d’honneur étant l’échelon le plus haut des ligues régionales. En matière de niveau de jeu, « on se situe plutôt au niveau de la CFA, voire du National pour les meilleures équipes » , détaille Joseph Séné, alors que Richard Socrier et Livio Nabab s’accordent à dire que c’est « niveau CFA2 » . Le CS Moulien domine le championnat depuis plusieurs années, mais ne l’écrase pas. S’ils ont remporté quatre des cinq dernières éditions, il a fallu attendre la dernière journée et une victoire contre l’Arsenal de Petit-Bourg pour être sacré champion. Mais les disparités de niveau entre les équipes sont grandes. « Il y a des joueurs de qualité, mais la différence de niveau entre les équipes empêche d’avoir un championnat vraiment consistant » , lâche le défenseur du Paris FC.

Les meilleurs clubs guadeloupéens ne peuvent pas accéder à la CFA2, et ce n’est d’ailleurs pas leur objectif. « Ça voudrait dire quoi ? Un déplacement en métropole tous les quinze jours ? Financièrement, c’est impossible » , explique le président de la Ligue. Alors, là où les clubs guadeloupéens peuvent affronter ceux de la métropole, c’est pendant la Coupe de France, qui reste avant tout une compétition de début de saison comme pour toutes les équipes amateurs. Là encore, le football guadeloupéen se détache du football français et demande à s’illustrer dans les Caraïbes. « On souhaiterait surtout une aide financière pour que les meilleurs clubs de l’île puissent participer et bien figurer à la Champions League des Caraïbes » , précise Joseph Séné. La compétition est ouverte à tous les champions et vice-champions des championnats membres de l’Union caribéenne de football, mais la Guadeloupe n’a pas souvent les moyens d’y inscrire ses équipes. Elle n’a pu le faire qu’en 1998 et en 2015.

Des moyens ultra-limités

Une aide financière serait alors la bienvenue pour améliorer des infrastructures pas vraiment à la pointe du progrès. « Rien que les terrains, c’est vraiment injouable. Il doit y avoir deux ou trois terrains potables grand max. Les mecs là-bas n’ont pas de formation pour l’entretien » , raconte Livio Nabab, formé à Arsenal. « C’est le plus gros problème de la Guadeloupe. Les infrastructures ne sont vraiment pas au niveau. Après notre Gold Cup 2007, on s’est dit que ça allait mettre un focus sur le foot guadeloupéen et que la Ligue allait mettre plus de moyens. On a été très déçu. C’est même de pire en pire, je trouve. Lors des rassemblements de la sélection pour les éliminatoires, on ne sait pas sur quel terrain on va s’entraîner, on n’a pas de matériel, pas tous les mêmes maillots… Les gens qui s’occupent de la sélection manquent de formation. Ça craint, on joue une compétition internationale contre de grosses équipes, on ne peut pas prendre les choses à la légère comme ça » , déplore Richard Socrier. Des moyens encore plus limités que le rival martiniquais. En onze éditions de la Ligue Antilles (une compétition entre les quatre meilleures équipes des deux îles), dix ont été remportées par des équipes martiniquaises. « Ils ont plus d’argent que nous, notamment le Club Franciscain, qui rafle tout » , juge Nabab. Socrier est plus sévère encore : « Ils sont clairement en avance sur nous au niveau du professionnalisme. »

Pour disposer d’équipes plus compétitives par rapport au reste de la zone Caraïbes, la Guadeloupe doit continuer d’améliorer sa formation. « Il y a quelques années maintenant, des conventions avec des clubs professionnels ont été mises en place, un vrai centre de formation a été créé, ce qui a permis de sortir des joueurs comme Lenny (Nangis, ndlr) » , explique le joueur de l’AJ Auxerre. C’est le point fort des Guadeloupéens. Son coéquipier en sélection abonde dans ce sens : « Là, le travail est de qualité, les éducateurs font un super boulot. Mais il faut continuer dans ce sens pour que les jeunes puissent rester plus longtemps en Guadeloupe. » Pour mieux se préparer à affronter la métropole ? Il semble que oui. Sauf que si la Guadeloupe obtient gain de cause auprès de la FIFA, les Gwadas Boys peuvent espérer voir revenir leurs plus beaux fruits mûrir sous leur soleil. Aujourd’hui, c’est peut-être tout ce qu’il reste de la possibilité d’une île.

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