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  • Économie du foot

La vérité sur le business des ventes de maillots

Par Eric Carpentier
6 minutes
La vérité sur le business des ventes de maillots

À chaque gros transfert, l'idée revient : « La vente de maillots couvrira le prix ! » Une affirmation quelque peu péremptoire, mais qui traduit aussi le fonctionnement d'un système plus global. Détricotage des maillots de foot et de leur business, sans laisser traîner la pelote.

« Les ventes des maillots d’Ibrahimović ont remboursé la moitié du transfert de Pogba » ; « 345 000 maillots floqués James Rodríguez ont été vendus par le Real Madrid dans les 48 heures suivant l’arrivée du Colombien » ; « L’AS Roma a rentabilisé les 18 millions d’euros du transfert de Nakata en 2000 grâce au produit généré en Asie par la vente de ses maillots » : oubliez cela, tout est faux. « Maillots » , « maillots » , « maillots » , le mot revient en boucle lorsqu’il s’agit d’évoquer les arrivées de grands joueurs dans les meilleurs clubs, et surtout de justifier les sommes investies. Sauf que cela ne correspond à aucun élément tangible, à aucun chiffre précis. En bref, l’histoire ne colle pas à la réalité. Alors, pourquoi cette affirmation existe-t-elle encore ? Retour sur une légende urbaine, entre fantasmes et simplifications.

James Rodríguez, c’est 10 millions de maillots

« Légende urbaine, c’est le mot ! » répondent en chœur Michel Desbordes et Romain Grandi. Le premier est professeur à l’université Paris-Saclay et co-auteur du Marketing du Football ; le second bosse à l’agence de marketing Troisième Ligne, qui collabore notamment avec Rennes, Nantes ou Lille. Deux approches de l’économie du football, mais un même constat : les ventes de maillots sont largement insuffisantes pour compenser le prix d’achat d’un joueur. En préliminaires, Romain Grandi évacue l’immense majorité des transferts réalisés : « Il n’y a que les très grands joueurs qui font varier significativement les ventes. Et les volumes doivent être très importants, seuls les clubs évoluant sur un marché mondial sont concernés. » Exit, donc, l’arrivée de Benoît Assou-Ekotto à Metz. « Les gouffres sont gigantesques » , rappelle le troisième ligne. « Même en Premier League. Regardez le cas de Leicester, récent champion et qui n’était pas distribué en Europe par Puma ! »

Mais même pour le Barça ou Manchester United, l’épreuve des chiffres donne des résultats décevants. Romain Grandi poursuit en détaillant le parcours des bénéfices récupérés par un club sur chaque maillot vendu : « Le partenariat avec l’équipementier implique une redevance, un pourcentage récupéré par le club sur le maillot. Mais ce pourcentage est calculé sur le prix fait au distributeur. Quand vous connaissez les marges de la grande distribution, cela réduit considérablement la base. Ensuite, étant donné le montant des partenariats, le versement des redevances peut être assujetti à un certain volume de vente. » Et même si les clubs peuvent récupérer la marge distributeur dans leurs boutiques officielles, on reste alors loin du compte. Car, sur un maillot vendu 60 € – le prix de vente moyen d’un maillot, selon le cabinet allemand PR-Marketing – 10 à 15 %, au maximum, tombent dans les caisses du club. Soit, grosso modo, 8 €. Il faudrait alors que le Real Madrid vende 10 millions de maillots supplémentaires suite à l’arrivée de son petit Colombien pour amortir le coup de son transfert. En divisant le chiffre par le nombre d’années de contrat, cela tient carrément de la science-fiction.

Maillots, logos et survêtements Chelsea

Car une autre valeur tend à être largement exagérée : celle du nombre de maillots vendus. Chaque année, l’agence de marketing sportif Euromericas établit ainsi un chart des ventes. Selon la dernière édition, le Barça aurait vendu plus de trois millions de liquettes, le PSG 2,2 millions. Problème, les sources sont inconnues, les équipementiers rechignant à dévoiler leurs chiffres. Et quand ESPN appelle Adidas à ce sujet, la firme allemande tacle sévèrement l’agence à l’origine du classement. Ou alors, les chiffres jouent avec les mots : « On peut inclure les maillots, mais aussi tout ce qui appartient à la ligne officielle équipementier, du survêtement aux chaussettes » , note Romain Grandi. Peut-être est-ce la multiplication des ensembles Chelsea ou Real Madrid dans les rues ? Quoi qu’il en soit, les meilleurs vendeurs tournent plus sûrement autour de 1,5, voire 2 millions de ventes annuelles. Ainsi, en 2014, le PSG annonçait 475 000 ventes de « kits hors training » . Bien loin des 2,2 millions annoncés deux ans plus tard.

Même un littéraire comprendra que la vente de tissu rapportera, au meilleur des clubs dans le meilleur des mondes, autour de 15 à 20 millions d’euros annuels. Reste à intégrer au maillot les deux choses qui lui donnent le plus de valeur : le logo de l’équipementier, et celui du ou des sponsors. Encore une fois, un club lambda sera à peine concerné : une part non négligeable de clubs de Ligue 1 ne reçoivent ainsi rien d’autre que le matériel de la part de leurs équipementiers, et ne verront pas les montants de leurs partenariats changer du jour au lendemain. Pour les autres, l’arrivée d’un joueur bankable est généralement perçue comme un avantage à même de faire gonfler les contrats d’équipement ou de sponsoring. Surtout si le joueur est lui-même signé par l’équipementier, ou si les droits d’images du joueur sont récupérés par le club.

Un marché de huit milliards de dollars

S’il n’oublie pas le rôle obscur joué par Nike dans la signature de Ronaldinho à Barcelone, par exemple, Romain Grandi tient cependant à nuancer l’impact d’une arrivée dans un contrat : « Ce sont des contrats à long terme, comme celui d’Adidas avec Manchester United qui court sur dix ans. Ils ne sont pas renégociés du jour au lendemain suite à une signature. » A contrario, que Cristiano Ronaldo soit un athlète Nike dans un club Adidas, ou que Messi suive le chemin inverse, n’a pas fait fuir les équipementiers des clubs concernés. Et il n’existe aucune corrélation directement observée entre le montant des contrats signés et l’arrivée de stars dans un club. La tendance est tout simplement à une hausse généralisée, quelle que soient les orientations données par les dirigeants d’un club. L’exemple type est Manchester United, qui n’a pas attendu d’avoir une politique de recrutement galactique pour signer le plus gros contrat d’équipement de l’histoire avec Adidas, portant sur près d’un milliard d’euros sur dix ans. Mais il reste vrai aussi qu’une arrivée médiatique fera toujours plaisir aux partenaires qui sauront, à terme, valoriser l’effort.

Alors, à qui profite le crime ? L’étude de PR-Marketing chiffre les bénéfices retirés par l’équipementier, sur chaque vente faite en grande distribution, à environ 12 €. Ou 36 € pour une vente en direct, via son propre réseau de distribution. Si Adidas vend 1,5 millions de maillots United, cela donne un profit maximum de l’ordre de 54 millions d’euros annuels, très loin des quasi 100 millions d’euros versés au club. Mais en fait, pour l’équipementier, le maillot n’est que la partie émergée du business. Une vitrine. Les crampons, les sweat-shirts et l’ensemble des produits représentent un volume autrement plus important. L’ensemble du marché dominé par le swoosh, les trois bandes et les griffes du Puma est ainsi estimé à huit milliards de dollars. Pour le faire prospérer, les sportifs professionnels, et pas seulement les footballeurs, sont les meilleurs hommes-sandwichs. Finalement, les ventes de maillots font mieux que rentabiliser tel ou tel transfert : elles font tourner une économie toute entière. Sinon, il reste toujours le recyclage.

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