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  • International – 22 juillet 1979 – Le jour où…

La triste fin de Sándor Kocsis

Par Régis Delanoë
5 minutes
La triste fin de Sándor Kocsis

Avec Ferenc Puskás, Sándor Kocsis a formé la paire d'attaquants axiaux la plus prolifique de l'histoire du football de sélection. C'était pour la Hongrie dans les années 50, avant l'exil à Barcelone, où il a d'abord fait briller son exceptionnel jeu de tête, avant de se jeter du quatrième étage de l'hôpital où il avait été admis pour soigner un cancer. C'était à la veille de ses 50 ans, le 22 juillet 1979, il y a 36 ans jour pour jour.

Sándor Kocsis aurait dû fêter ses cinquante ans le 21 septembre 1979. Nul doute que la fête aurait été belle dans le restaurant qu’il tenait depuis quelques années à Barcelone, sa ville d’adoption. Un établissement qu’il avait appelé « Tête d’or » , en français dans le texte, en mémoire de son surnom de l’époque où il était footballeur, l’un des meilleurs de son époque. Mais non, il n’a jamais célébré son demi-siècle. Peut-être que s’il avait laissé la maladie le ronger, il aurait tenu jusqu’à cette ultime fête. Peut-être. Mais à quoi bon ? Sándor Kocsis a décidé de prendre les choses en main. Admis dans un hôpital de la ville alors qu’il venait d’apprendre qu’il était atteint d’un cancer de l’estomac, à un stade avancé, Sándor a fait ce qu’il a cru bon de faire. Ce qu’il a toujours su faire en tout cas, en remarquable attaquant qu’il était : suivre son instinct. Et cette fois, son instinct lui disait d’attendre d’être seul dans sa chambre, de quitter son lit, d’ouvrir la fenêtre, peut-être de se rembobiner une dernière fois le fil de sa vie, ou bien peut-être, au contraire, d’essayer de faire le vide, de ne penser à rien, avant de sauter. Ce qu’il a fait. Sándor Kocsis a préféré devancer l’irrémédiable et se défenestrer ce 22 juillet 1979. Le plus jeune du onze magique de la sélection hongroise du début des années 50 est un des premiers à rejoindre les étoiles. Le dernier des survivants, le latéral droit, Jenő Buzánszky, a disparu en janvier dernier à l’âge de 89 ans. De l’équipe en or magyare, « Aranycsapat » en version originale, il ne reste aujourd’hui plus personne de vivant.

« Le meilleur joueur de tête que j’ai jamais vu »

Ce 22 juillet 1979 signe donc la fin pour un prodige aujourd’hui injustement méconnu, qui a eu à la fois le bonheur de pouvoir rayonner au sein de l’une des plus belles équipes de l’histoire du football, et le malheur d’évoluer en attaque à côté du monstre Ferenc Puskás, qui lui prenait toute la lumière. Kocsis a pourtant eu de meilleures statistiques en sélection que le « Major galopant » , avec un affolant ratio de plus de 1,1 but par match de moyenne sur un total de 68 capes ! Un record encore inégalé. Avec le maillot de l’équipe nationale, le grand gaillard au physique imposant a ainsi marqué à 75 reprises, des deux pieds et surtout de la tête – pendant longtemps le meilleur au monde dans cet exercice – d’où ce surnom de « Tête d’or » , ou parfois de « Casque d’or » . N’en déplaise à Antoine Kombouaré. Puissant, opportuniste, plein de sang-froid dans la surface adverse, il était le parfait complément du déroutant Puskás. Les deux larrons sont au centre de l’ambitieux (et inédit pour l’époque) dispositif offensif mis en place par le sélectionneur Gusztáv Sebes : un 4-1-1-4 avec Czibor et Budai sur les côtés – les quatre évoluaient ensemble au club de l’armée, le Budapest Honvéd – avec en soutien l’expérimenté milieu offensif Hidegkuti, du MTK Budapest, le club de la police. « Puskás avait le meilleur pied gauche et Kocsis était le meilleur joueur de tête que j’ai jamais vu, témoignait, il y a quelques années, László Budai pour le site de la FIFA. D’un côté, c’était un peu embêtant. Chaque fois qu’on centrait, l’un des deux était forcément déçu, puisque le premier voulait la balle à terre et l’autre la voulait en l’air. En même temps, c’était bien : pour peu qu’on réussisse le centre, neuf fois sur dix, le ballon se retrouvait ensuite au fond des filets. »

Du 4 juin 1950 au 30 juin 1954, la sélection hongroise va cumuler 32 matchs sans défaite – un record, là encore – dont 28 victoires et quelques déculottées mémorables : le 6-3 à Wembley en 1953 face aux arrogants inventeurs du football, puis la revanche, avec des Anglais fessés encore plus violemment un an plus tard, 7-1 à Budapest ! Il y a eu un titre aussi, l’or aux Jeux olympiques d’Helsinki en 1952. Mais le graal suprême fut perdu lors du fameux Miracle de Berne le 4 juillet 1954 : l’Allemagne de l’Ouest, pourtant largement dominée en phase de poules par la Hongrie 8-3 (avec un quadruplé de Kocsis !), s’offre le sacre mondial et prend sa revanche face à une équipe lessivée par les choix du sélectionneur, Sebes, qui ne faisait jamais tourner son effectif. Regrets éternels pour cette incroyable génération et maigre consolation pour « Tête d’or » , qui termine meilleur buteur de la compétition en faisant trembler onze fois les filets en seulement six matchs, dont sept fois de la tête. Deux ans plus tard, lui et d’autres joueurs du Honvéd, dont Puskás, décident de profiter d’une tournée en Europe et au Brésil pour se faire la belle, alors que la Hongrie voit sa révolution avorter et les Soviétiques envahir le pays. Quand son compère rejoint le Real, lui est accueilli par le grand rival barcelonais.

Une deuxième finale perdue à Berne

C’est en Catalogne que Sándor Kocsis va passer ses dernières années de footballeur, en contribuant à faire gagner quelques beaux titres à son club d’adoption : le championnat, la Coupe du Roi, la Coupe des villes de foire, mais pas la Coupe des champions. La faute à cette finale manquée face à Benfica en 1961, encore à Berne… Finale jouée par trois Hongrois côté Barça (Kocsis, Czibor et Kubala), tandis que les Portugais étaient entraînés par l’orgueilleux Béla Guttmann, sorte d’ancêtre de José Mourinho. C’est dire l’influence de la Hongrie dans le football à l’époque… D’ailleurs, un an plus tard, ce même Benfica conservera son titre européen face au Real, malgré le triplé d’un certain Puskás ! En 1966, Kocsis range ses crampons à l’âge de 37 ans. Il entraîne un peu, mais ce métier n’est pas fait pour lui. Une belle gueule, un physique d’acteur, il se lance pourtant dans la restauration au milieu des années 70. Mais ne verra pas la décennie suivante, de même qu’il ne fêtera donc jamais ses cinquante ans. Enterré au cimetière de Montjuïc à Barcelone, son corps a été rapatrié en Hongrie en 2012, à la demande de la famille et des autorités, parfaitement conscientes qu’on parle là d’un trésor national. Sándor Kocsis repose désormais à la basilique Saint-Étienne de Pest à Budapest, juste à côté de Ferenc Puskás, disparu en 2006. Le duo d’attaque réuni pour l’éternité, comme à la belle époque.

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