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La métamorphose de Lucas Biglia

Par Markus Kaufmann, à Buenos Aires
5 minutes
La métamorphose de Lucas Biglia

Avant le Mondial, Lucas Biglia était un milieu de terrain stérile venu du championnat belge et destiné à une fin de carrière sans héritage. Mais depuis le Brésil, l'Argentin est un autre joueur. Titulaire aux côtés de Mascherano dans le milieu de l'Albiceleste, Biglia est aussi devenu l'homme fort du milieu de terrain de la Lazio de Stefano Pioli.

Lorsqu’il arrive au Brésil pour disputer la Coupe du monde cet été, Lucas Biglia se fait discret. Du haut de ses 13 sélections à 28 ans, le milieu n’atteint même pas un tiers du nombre de capes du titulaire Fernando Gago. D’ailleurs, il n’a ni la classe, ni le talent, ni le palmarès de son concurrent direct. Son (seul) truc, à lui, c’est l’effort et la récupération, et il se trouve qu’Alejandro Sabella est déjà bien garni avec Javier Mascherano. Et Biglia ne fait même pas l’unanimité au pays. Sabella a laissé les frissons d’Ever Banega et de Javier Pastore à la maison. Et forcément, les doutes sont épais autour de l’utilité de la platitude du jeu de l’ex d’Anderlecht. Et cela se ressent dès le début de la compétition. En poule, Biglia grapille les minutes et bouche les trous. Il entre à la 87e minute contre la Bosnie, à la 94e contre l’Iran et à la 91e contre le Nigeria. Biglia n’est alors qu’un pompier, et ce rôle lui va bien. Docile, serviable et efficace, mais sans prétention. Mais le 1er juillet 2014 à São Paulo, l’Argentine affronte la Suisse en huitième de finale. À la 75e minute, Palacio remplace Lavezzi. À la fin du temps réglementaire, à 0-0, Biglia est encore chaudement assis sur le banc, loin du spectacle, de la bataille et des critiques. Basanta remplace Rojo à la fin de la première moitié de la prolongation. Toujours rien. Et encore 0-0. Et puis, le déclic…

Déclic suisse

À la 106e minute, les pieds sérieux de Biglia prennent la place des jambes capricieuses de Fernando Gago. Sabella transforme son 4-3-3 et décide de sacrifier la virtuosité de ses attaques au nom de l’équilibre défensif. Dix minutes plus tard, Di María qualifie les Gauchos en quarts. Sabella installe Biglia aux côtés de Mascherano et met en place un 4-4-2 de rigueur. Le joueur de la Lazio ne ratera pas une minute du reste de la compétition. Le soir de la finale, il est parfait. Avec la note de 7, le quotidien Olé en fait un héros : « Une seule fausse note en 120 minutes ne nous empêchera pas de dire qu’il a tout bien fait. Biglia n’a pas seulement fait avorter les mille tentatives allemandes dans sa zone, il a aussi lancé de nombreux contres, qu’il a mis en marche à l’aide de son attitude, sa capacité physique et son intelligence pour couvrir les espaces. Le meilleur Argentin de la finale. » Tout là-haut.

Le monde s’étonne alors, de Buenos Aires à Rio de Janeiro en passant par Bruxelles et Rome. Biglia avait quitté l’Argentine à seulement 20 ans, après deux saisons dans l’élite sous les couleurs d’Argentinos Juniors et d’Independiente. Pour sa coupe de cheveux, certains parvenaient à y percevoir une allure à la Fernando Redondo. Pour son jeu, celui d’un cinco classique, rigoureux et habile, mais sans fantaisie, personne ne prévoyait un niveau international. Trois millions d’euros plus tard, et quelques essais manqués en Espagne, Biglia atterrit à Anderlecht. En Belgique, le milieu reste bien plus longtemps que prévu : sept saisons ! Le temps de se faire la réputation d’un milieu défensif solide, capable de dessiner toutes les géométries du milieu de terrain, sans jamais vraiment dominer le jeu. Mais après le grand saut vers la Serie A et une saison à la Lazio, Biglia se fait une autre réputation, plus amère : celle d’un homme incapable de créer le jeu et de mener les siens vers l’avant. Adepte de la sécurité avant tout, l’Argentin ennuie l’Olimpico et symbolise à lui tout seul la déception de la Lazio. La même allergie que Bacary Sagna à l’audace, mais au cœur du jeu…

Métamorphose romaine

Mais depuis son retour du Brésil, tout a changé. Au départ, les sceptiques étaient à nouveau au rendez-vous. Forcément, aux côtés de Javier Mascherano, c’est facile d’avoir l’air sûr de soi, pensaient-ils. Mais aujourd’hui, la Lazio est lancée à toute allure vers la deuxième place de la Roma, et Biglia y est pour beaucoup. Dans les schémas variables de Stefano Pioli, l’Argentin est une constante : que ce soit entre Parolo et Lulić dans un 4-3-3 ou seul avec Parolo, Cataldi ou Onazi dans un 4-2-3-1, Biglia a pris le jeu à son compte. D’une part, et ça n’étonne plus personne, l’Argentin a atteint une vraie maturité en phase défensive. Omniprésent à la récupération, le numéro 20 est le deuxième joueur à réussir le plus de tacles en Serie A (3,8 par match) derrière Allan de l’Udinese. Il se trouve aussi dans les dix milieux à intercepter le plus de ballons (2,3 par match). Mais c’est en phase offensive que Biglia a changé de catégorie.

Autrefois lent et prévisible, Biglia a donné du volume à ses manœuvres. Cinquième milieu à réaliser le plus de passes dans tout le championnat italien – derrière Valdifiori (Empoli), Pirlo, Medel et Pjanić – Biglia est devenu un distributeur mobile de ballons (71 passes par match). Un vrai meneur de jeu reculé. Pour montrer à quel point Biglia a pris le jeu à son compte, il suffit de voir le nombre de passes par match de ses coéquipiers : Parolo est à 44, Lulić à 34, Candreva à 33 et Felipe Anderson à 27. Si ces hommes courent autant et si bien, c’est parce qu’ils sont bien lancés. Là où Biglia étonne le plus, enfin, c’est par sa faculté à créer des occasions. Avec 1,5 passe clé par match, l’Argentin est au niveau de Candreva (1,6). Le 9 mars dernier, Pioli a infligé à Montella « la pire défaite de sa carrière » à l’Olimpico : 4-0. Ce soir-là, Biglia fait face à ce qui se fait de mieux au milieu de terrain en Italie, et il est seulement accompagné par Cataldi. La Lazio domine son sujet comme jamais, et Biglia règne au milieu. Il ouvre même le score d’une reprise bien sentie à l’entrée de la surface. À la demi-heure de jeu, il effleure le doublé d’une reprise de volée zidanesque déviée sur le poteau par le bout des gants de Neto. Une action encore inimaginable il y a quelques mois… Aujourd’hui, la Lazio en est à six victoires consécutives en championnat et fonce sur sa rivale rouge et jaune. Merci Sabella ?

Dans cet article :
Chez les entraîneurs, des nerfs à manager
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Par Markus Kaufmann, à Buenos Aires

À visiter :
Le site Faute Tactique
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