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La France, championne d’Europe de l’exportation
La récente étude démographique du CIES révèle qu’avec 269 représentants à l’étranger, la France est le deuxième exportateur mondial de footballeurs. Une tendance qui ne va qu’en augmentant au fil des années. Comment l’interpréter ? Éléments de réponse.
269. C’est le nombre de joueurs français qui évoluaient à l’étranger en 2012, selon l’étude annuelle menée par l’Observatoire du football du Centre international des études du sport (CIES). Il s’agit donc du deuxième total mondial, derrière l’intouchable Brésil et ses 515 expatriés. Seulement, là où le leader mondial marque le pas, la France ne cesse d’exporter ses footballeurs. Elle est même devenue la nouvelle Yougoslavie, principal pays exportateur en Europe dans les années 80. En 2012, ils étaient donc 24 de plus que l’année précédente, et l’augmentation devrait suivre en 2013. Il n’y a qu’à regarder le bilan de ce mercato hivernal, et constater que six Frenchies se sont tirés en Angleterre, deux autres en Russie ou en Chine, pour ne citer que les plus célèbres. Bref, en attendant l’été et de très probables nouveaux départs, reste à se questionner sur cette dynamique. Pourquoi les joueurs français décident-ils de ne pas s’éterniser dans leur pays ? Pourquoi de nombreux clubs étrangers, sans distinction de nationalité, se penchent-ils sur la France pour y faire leurs achats ?
Des questions légitimes, qui ramènent aux débats de l’affaiblissement du championnat français, et de la motivation, économique ou sportive, d’un footballeur. Mais il convient, avant toute chose, de relativiser les statistiques. « Il faut prendre les chiffres avec une certaine précaution. Il y a les joueurs qui évoluent en Premier League, Serie A, Bundesliga ou Liga. Et ceux qui évoluent dans des championnats au niveau sensiblement inférieur. De ceux qui évoluent dans les championnats majeurs, sur les 269 cités, il doit y en avoir une petite partie » , prévient Bruno Satin, agent de joueurs. Et il fait bien. Car d’un chiffre important, on peut rapidement effectuer des soustractions intéressantes. Ils sont donc seulement 64 à fouler les pelouses européennes les plus prestigieuses : 32 en Premier League (première nation étrangère représentée, devant l’Irlande), 14 en Serie A, 13 en Liga, 5 en Bundesliga. Soit, à peine 25% du total des expatriés français. Où sont les autres ? Pas besoin d’aller chercher bien loin, ces derniers sont massivement implantés dans les pays francophones. La Suisse accueille 12 ressortissants, la Belgique 30, le Luxembourg… 80. Avant de dresser un quelconque bilan ou lancer l’analyse, autant être clair : l’exode – si on peut employer le mot – ne date pas d’hier, et ne concerne pas uniquement les grands championnats ou paradis fiscaux.
Vendre pour survivre
Le fait est que la France se trouve dans un cercle non vertueux. Qu’on pourrait résumer de cette manière : premièrement, les clubs sont en déficit. Ils doivent équilibrer les comptes, alléger les masses salariales. Conséquence : ils vendent leurs meilleurs éléments, et piochent dans leurs centres de formation pour équilibrer les effectifs. Conclusion : les joueurs, révélés plus tôt, partent de plus en plus jeunes. « À entendre l’entraîneur de Newcastle, j’ai l’impression que ce qu’on peut faire en centre de formation plaît à l’étranger. Il y a un modèle français qui tient encore la route » , pointe Patrick Rampillon, directeur du centre de formation du Stade rennais. Une formation de qualité, une grande place accordée aux jeunes, avec des exemples « comme Maupay de Nice, ou Jean de Troyes, titulaires dans leurs clubs malgré leur âge » , sont deux composants qui valent à la France d’être observée.
Il y a aussi le poids de l’histoire avec un grand H, celle qui révèle que le Français s’adapte bien. Après tout, à la suite de l’arrêt Bosman de 1995 (facilitant les transferts vers l’étranger), toute une génération dorée a soulevé des trophées en Italie, Espagne, Allemagne, Angleterre. Les titres internationaux aidant, le footballeur français est devenu hype. Et s’il l’est encore aujourd’hui, c’est que les expatriés ont confirmé la règle, que les générations se succèdent, que le talent demeure. Mais l’argent aussi, motive les clubs étrangers. Car les joueurs français « sont aussi très abordables financièrement » , selon Bruno Satin. Crise oblige, les dirigeants ne sont pas farouches en affaires, et pas question pour eux de laisser filer les millions quand ils se présentent. « À l’image de ce mercato, les clubs français sont en difficulté financière, on vend les joueurs par nécessité, et non par intérêt sportif » , poursuit quant à lui Patrick Rampillon. Avant de balancer une belle conclusion : « L’appétit vient avec les chiffres et les virgules, placés là où il faut. »
Joueurs en quête de visibilité… et de pognon
Reste tout de même à préciser que le système convient à tout le monde. Joueurs de talent à bon prix pour les uns, ressources financières pour les autres. Mais le principal intéressé, dans tout ça ? Le footballeur ? Beaucoup ont été surpris, durant ce mercato hivernal, par les choix des expatriés de Premier League, par exemple. Beaucoup ont pointé du doigt ces joueurs, qui pour certains ont troqué la lutte d’un titre en France contre celle du maintien en Angleterre. Dit comme ça, vrai que le choix sportif peut paraître étrange. Mais tout est question de visibilité, et Bruno Satin de l’illustrer : « Pour eux, c’est l’opportunité de se montrer. Il y a des coups de billard. Rappelez-vous le cas Demba Ba, qui, il y a deux ans, débarque à West Ham depuis Hoffenheim. Il y fait six mois, le club descend, il part à Newcastle, aujourd’hui il est à Chelsea. Donc pour le mec qui a un peu de réussite et qui performe, tout peut aller très vite. » Loïc Rémy, et sa clause qui stipule qu’il pourrait quitter QPR dès la fin de saison en cas de relégation, ne serait sûrement pas contre un destin à la Demba Ba. Et puis, point important qui pèse dans la décision d’un Français, la question du salaire : « En France, il y a une fiscalité plus importante qu’ailleurs. Quand pour un club, le joueur coûte la même chose, et que l’intéressé prend 30-40% en plus, bah, il a vite fait ses calculs. Ça, c’est un élément fondamental. Le sportif passe parfois au second plan » continue Satin.
Passés la visibilité et le salaire, le joueur peut également s’extasier devant l’environnement d’un autre championnat : les stades, la renommée, la culture foot… Et/ou, la culture tout court. On en vient au fameux argument du « choix de vie » , celui qu’un joueur peut énumérer lorsqu’il gagne une contrée lointaine, prétextant le changement radical de mode de vie. Argument souvent balayé par une large majorité, qui préfère y voir une volonté pécuniaire. Sans doute faudrait-il juger cas par cas (âge du joueur, palmarès, ambition…), le jugement n’étant pas toujours juste.
L’exemple brésilien
En tout cas, il apparaît difficile, après tant d’éléments, d’imaginer que la courbe va s’inverser. À moins que l’arrivée d’investisseurs fortunés ne vienne sauver les clubs français – le PSG, vous l’aurez compris, n’entre pas vraiment dans le sujet – ou que la crise s’arrête brutalement, que le pays connaisse une croissance phénoménale et que les gens se rameutent au stade tous les dimanches, oui, cela paraît difficile. Pour prendre un exemple opposé, le Brésil, leader mondial en matière d’exportation, voit son nombre d’expatriés diminuer d’année en année. Du fait d’une belle croissance économique, qui permet aux clubs de proposer des salaires compétitifs à leurs joueurs (Neymar), tout en rapatriant bon nombre de compatriotes au pays (Ronnie, Pato…). Un contexte que la France aimerait sans doute connaître, pour conserver ses talents et améliorer ainsi la qualité du championnat. Mais puisque l’heure est davantage au départ, il ne faudra plus s’étonner, dans un avenir proche, au hasard d’un passage à l’étranger dans un supermarché, de trouver entre une boîte de cassoulet et un roquefort, un bon vieux footballeur tricolore. Prix négociable, forcément.
Par Alexandre Pauwels