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L’affaire Kabananga
Le club d'Anderlecht pourrait-il être prochainement interdit de recrutement ? Suspecté de fraude par la FIFA, le RSCA est en tout cas sur le point de perdre le litige qui l'oppose depuis quatre ans au petit club kinois des Aigles verts, au sujet des indemnités de formation dans le dossier Junior Kabananga.
Les temps changent, mais certaines choses restent immuables. Au petit jeu des transferts frauduleux, le club belge d’Anderlecht fait preuve d’une constance remarquable depuis des années. Déjà inquiétés dans le cadre du transfert controversé de Chancel Mbemba, les dirigeants du RSCA sont cette fois dans le viseur de la FIFA au sujet de l’international congolais Junior Kabananga Kalunji. Recruté en 2010, l’attaquant âgé de 25 ans n’a jamais vraiment convaincu dans la capitale bruxelloise et évolue désormais au Cercle Bruges, en Jupiler League. En tout et pour tout, il n’a joué que sept matchs chez les Mauves dans toute sa carrière, pour un seul but marqué. Mais son influence sur la destinée du club belge pourrait bientôt dépasser le cadre du terrain, à mesure que les verdicts combinés de la chambre des litiges et de la commission de discipline de la FIFA se profilent dans le plus grand secret, après plus de quatre ans de procédure, d’esquives et d’entourloupes.
Le réseau belge en RDC
Pour bien comprendre l’histoire, il faut retourner dix ans en arrière, à l’époque où Junior était encore adolescent. Licencié au petit club CS Aigles verts, il fait ses gammes dans les artères poussiéreuses et colorées de la capitale Kinshasa. « Kabananga est notre joueur, c’est nous qui l’avons formé » raconte Jean-Pierre Bongwalanaga, le secrétaire sportif des Aigles, en marchant d’un pas vif sous la moiteur ambiante : « Il a joué près de quatre saisons chez nous avant de partir » . D’avril 2001 à novembre 2005, pour être précis, comme le prouve le passeport du joueur fourni par la Fédération congolaise (FECOFA). À l’âge de 15 ans, le joueur quitte le club pour enchaîner trois saisons sèches au FC Okinawa, à l’AS Vita club et au FC Ngwena, basé à Lubumbashi. C’est à ce moment que son destin va basculer : il est alors repéré par Max Mokey, un homme d’affaires aux méthodes troubles, président du MK Étanchéité.
Récemment sorti de prison, Max Mokey est avant tout connu pour être le fournisseur d’Anderlecht en République démocratique du Congo. Surnommé « le mafiateur de Kinshasa » , il observe et recrute les talents potentiels avant de les confier à l’agent de liaison Fabio Baglio, qui réside en Belgique et passe à l’occasion en RDC. Bien rodé, le duo s’est déjà illustré dans le cadre du transfert de Chancel Mbemba, dont l’âge a été grossièrement trafiqué lors de son passage au club kinois. Enregistré en décembre 2008, Junior Kabananga ne passe qu’une année de transition au MK avant d’être rapidement recruté par Anderlecht, dont il étrenne pour la première fois le maillot le 16 octobre 2010. « Dès qu’il a eu la possibilité de partir en Europe, il n’a pas hésité, peu importent les conditions » explique Jean-Pierre, satisfait de voir son ancien protégé réussir au plus haut niveau : « Forcément, pour lui, signer en Belgique, c’est une bénédiction » . Une bonne nouvelle aussi pour ses anciennes équipes : comme le stipule le règlement FIFA, tout club acquéreur doit s’acquitter des indemnités de formation lorsqu’il achète un joueur.
Un salaire pro de 40 centimes d’euro
Nous sommes en juillet 2011 quand la première lettre des Aigles verts parvient sur le bureau d’Herman van Holsbeeck, le manager des Mauves. Peu habitué à recevoir des demandes venant du continent, quelle n’est pas sa surprise en découvrant, à l’intérieur, une demande d’indemnités de 100 000 euros. « Je ne sais pas pourquoi les autres équipes congolaises n’ont pas demandé leur part. En général, ils n’ont pas connaissance des lois, ou n’ont simplement pas les moyens de faire des réclamations. Il faut bien comprendre qu’ici, nos moyens de communication sont limités, les clubs européens en profitent. On est obligés d’aller au cyber-café pour envoyer des fax à la FIFA » explique Jean-Pierre, décidé à aller jusqu’au bout : « Nous sommes une petite équipe sans moyens, et cette indemnité est primordiale pour que nous puissions nous financer et nous développer à l’avenir » . Il faut pourtant croire qu’il est plus aisé de payer un club européen qu’un petit club africain anonyme, facilement arnaqué. Peu consentant, Herman van Holsbeeck snobe la requête avant de mettre au point avec Laurent Denis, l’avocat du club, un stratagème plus ou moins brillant pour éviter de payer.
À l’époque, la tactique du manager belge est très simple : il s’agit de contester le statut amateur du joueur au moment du recrutement, afin de se dégager de toute responsabilité. Pratique et efficace. Pour cela, Van Holsbeeck se base sur le salaire mensuel prétendument perçu par le joueur au MK Étanchéité, quand il était sous contrat avec Max Mokey. En août 2011, Anderlecht stipule en effet que le joueur recevait la somme mirifique de 250 francs CFA, « nonobstant des indemnités diverses et des primes de matchs » . Avant d’ajouter, sans la moindre honte : « Il s’agit donc indubitablement d’un contrat professionnel en ce que l’article 2.2 du règlement FIFA précise qu’un joueur qui perçoit une indemnité supérieure au montant des frais effectifs qu’il encourt dans l’exercice de l’activité du football est considéré comme un professionnel » . Dommage pour Anderlecht, 250 francs CFA correspondent en réalité à 40 centimes d’euro : pas de quoi vivre de son métier. « Ils se sont rendu compte qu’ils ont merdé et ont alors expliqué que ce n’était pas 250 CFA, mais 250 dollars » enfonce Paulo Teixeira, l’agent CBF mandaté par les Aigles verts pour suivre le dossier : « Mais c’est encore faux parce qu’en République démocratique du Congo, de toute façon, on utilise des francs congolais » .
Quatre ans de procédure
Décidé à faire valoir ses droits, Jean-Pierre Bongwalanaga s’engage alors dans une « procédure terriblement longue » , soutenu et conseillé par l’agent congolo-brésilien basé au Portugal. Après plusieurs invectives sur internet, une plainte est officiellement déposée à la commission des litiges de la FIFA en octobre 2011. Cette dernière va mettre très longtemps à aboutir, entre changement de juristes répétés, gains de temps de la part du club belge et précisions à fournir sur différents aspects du dossier. Après quatre ans d’embrouille administrative, les choses se sont soudain débloquées en juillet dernier, quand la FIFA a annoncé l’ouverture officielle d’une enquête. Sommé de payer par l’instance internationale, le RSCA va pourtant persister dans son déni et envoyer en novembre une correspondance de plus de 200 pages, pour étayer les raisons de son refus. Convaincue par le plaidoyer de Laurent Denis, la FIFA clôt alors l’investigation. Le problème, c’est que dans la correspondance se trouve un faux document, grossièrement trafiqué et falsifié, fourni selon toute vraisemblance par Fabio Baglio. « Un truc aberrant, fabriqué sur photoshop par un amateur distrait » , condamne Paulo Teixeira, avant d’ajouter : « Si Anderlecht n’a pas vu que le contrat de travail du joueur est un faux, ce que je ne crois pas personnellement, mais qu’on peut admettre comme hypothèse dans l’absolu, il y a de quoi se remettre en question au service juridique du club » .
Forcément, les Aigles verts s’en aperçoivent et contactent à nouveau Anderlecht, qui se mure dans le silence. « Anderlecht a commis beaucoup d’erreurs dans ce dossier, mais pour moi, la plus grave, c’est qu’ils ont sciemment ignoré l’alerte que les Aigles verts leur ont envoyé, preuve de la Fédération à l’appui » ajoute Paulo Teixeira. Sollicitée, la FECOFA a en effet envoyé à la FIFA le 17 décembre dernier une lettre dans laquelle elle confirme que le contrat de travail fourni par Anderlecht est un faux, sans aucune hésitation possible. Dans la foulée, « la FIFA a demandé à Anderlecht de présenter l’original du contrat de travail » étaye Jean-Pierre, particulièrement remonté : « Mais malgré deux délais de quinze jours, ils ne l’ont toujours pas présenté, tout simplement parce qu’ils ne l’ont jamais eu en leur possession » . Désormais, le club belge semble embarqué dans une voie sans issue. « On les a prévenus et ils ont eu tort de ne pas régler le problème avec nous à ce moment précis » , explique Paulo Teixeira, qui a porté plainte en mars dernier devant la commission de discipline de la FIFA : « Maintenant, ils sont coincés. Ils ne pourront pas dire demain qu’il n’étaient pas au courant de la contrefaçon, parce qu’il y a eu une correspondance de club à club » .
Vers une interdiction de recrutement ?
A priori, ce qui attend Anderlecht n’a rien de réjouissant. Actuellement, deux dossiers sont étudiés par la FIFA dans la plus grande discrétion. Le premier, porté devant la commission des litiges, concerne le règlement des indemnités. Malgré le report du jugement en février dernier, les Aigles verts semblent pratiquement assurés de l’emporter sur ce point dans un futur proche. Mais le plus grave est que ce qui était à l’origine une simple embrouille sur le règlement des indemnités de formation, comme la commission en reçoit des centaines chaque jour, se transforme maintenant en enquête disciplinaire pour présentation de documents falsifiés dans le cadre d’un transfert. En effet, l’article 61 du code disciplinaire de la FIFA invoqué par l’agent CBF stipule noir sur blanc que « celui qui, dans le cadre d’une activité liée au football, crée un titre faux, falsifie un titre, ou utilise un titre faux ou falsifié ayant une portée juridique sera sanctionné d’une amende » avant de préciser dans son cinquième paragraphe : « Un club peut être tenu responsable d’une violation telle que définie à l’alinéa 1 du présent article commise par l’un de ses officiels et/ou joueurs. Dans un tel cas, outre une amende, le club concerné peut être sanctionné de l’exclusion d’une compétition et/ou d’une interdiction de transfert » .
À l’image du FC Barcelone, récemment interdit de recrutement, le RSCA peut donc légitimement s’inquiéter des retombées à venir. Une fois saisie, la commission de discipline n’offre aucune autre alternative que le jugement, et la procédure est irréversible. « Cette histoire, c’est un peu celle de David contre Goliath » philosophe Paulo Teixeira, qui attend désormais le dénouement des deux chambres avec impatience : « Quand je pense qu’un grand club européen du standing d’Anderlecht a produit un faux document pour ne pas payer une commission de 100 000 euros à un petit club africain, c’est terrible. Bien sûr, il faut attendre le jugement de la FIFA, mais je pense qu’ils vont tomber de haut » . Plus que jamais menacés, Herman van Holsbeeck et consorts se terrent dans le silence le plus absolu, et n’ont pas souhaité s’exprimer malgré nos sollicitations répétées. « Nous sommes clairement en présence de faussaires, qui pillent le continent africain sans se soucier des règles depuis trop longtemps » , reprend l’agent congolais dans un dernier souffle : « Je suis confiant quant à l’issue du jugement, mais maintenant cela ne dépend plus de moi. Nous avons donné tous les documents à disposition. Franchement, si des têtes ne tombent pas cette fois-ci, elle ne tomberont jamais » . Dans la Bible, en tout cas, la tête de Goliath a bien été tranchée.
Par Christophe Gleizes, à Kinshasa
Tous propos recueillis par CG. Malgré nos demandes, Max Mokey, Fabio Baglio et les dirigeants du RSC Anderlecht n'ont pas souhaité s'exprimer.