Bonjour Jocelyn. Explique-nous un peu ce que tu fais aujourd’hui…
Je ne fais rien du tout ! Je suis sur Paris en ce moment, et j’essaie de voir si je peux intégrer une équipe en tant que scout. J’étais entraîneur en Guadeloupe, à l’Étoile de Morne-à-l’Eau, et je reviens en métropole aujourd’hui pour passer mes diplômes officiels. J’ai 50 ans maintenant, mais il n’est jamais trop tard comme on dit !
Ce soir, c’est Danemark-France, une équipe que tu as bien connue à l’Euro 1992. Comment avais-tu vécu la rencontre depuis le banc des remplaçants ?
Pour nous, le Danemark arrivait en tant qu’invité surprise suite aux problèmes internes en Yougoslavie (guerre et embargo, ndlr). On pensait être capables de remporter ce match, mais à l’arrivée, ce n’était pas le cas. L’équipe était accrocheuse et s’est révélée pendant ce tournoi, avec notamment Brian Laudrup. Cette défaite nous a fait mal.
Vous réussissez à accrocher la Suède, le pays hôte, puis l’Angleterre, favorite du groupe avec vous. Avec le recul, ce match contre le Danemark, dernier du groupe à ce moment-là, était un cadeau empoisonné ?
C’était un cadeau empoisonné, exactement. Nous étions les favoris parce qu’on avait survolé les qualifications avec des joueurs de renom : Papin, Cantona, Blanc… Il y avait du monde ! Mais à l’arrivée, c’est toujours le terrain qui montre la vérité. Il aurait fallu se décarcasser beaucoup plus. Pendant ce tournoi, nous avions perdu notre jeu. Et la qualification nous a échappé.
Vous êtes virtuellement qualifiés avant le deuxième but danois… Que s’est-il passé dans les têtes ?
Même en étant sur le banc, je voyais l’équipe continuer à jouer. Mais il fallait être plus tranchants, comme lors de nos qualifications. La vérité, c’est qu’entre la fin des qualifications et le début du tournoi, beaucoup de choses s’étaient passées. Il y avait un conflit entre Papin et Canal +, Cantona forte tête… Il y avait trop d’éléments en dehors du football qui font que ce n’était pas suffisant.
Voir le Danemark passer en quarts alors qu’il était repêché à la place de la Yougoslavie à la base, c’était quelque chose de difficile à encaisser ?
Tu sais, ils se sont qualifiés sur le terrain. Le fait d’être repêché ou non, finalement, ça importe peu. Mais cela prouve que le football tient à peu de choses. Leur préparation était plus courte que la nôtre pour le tournoi, et ils passent en quarts de finale. Ils sont venus libérés, ils ont joué leur football sans se prendre la tête, c’est passé. Je pense que ça remet les idées en place, c’est une bonne leçon d’humilité. On est rapidement rentrés à la maison.
Pourquoi cette génération Cantona-Papin n’est jamais parvenue à briller sur la scène internationale à ton avis ?
C’est dans les grandes compétitions que l’on voit les grandes équipes. Pendant les qualifs, on était vraiment au top. Mais pendant cette phase finale de 1992, on a connu un grand choc. Encore une fois, pour les qualifications au Mondial 1994, il y avait trop de problèmes extra-sportifs. Des contrats publicitaires par-ci, des tensions entre joueurs par-là. À cette époque, la rivalité entre Paris et Marseille était très vive… Et toutes ces choses-là font que lorsque les meilleurs joueurs se réunissent, le collectif n’est pas forcément au rendez-vous. Et en plus de cela, il nous manquait de l’expérience dans les grands tournois. La France n’avait pas su surfer sur la vague Platini et la grande période de 1984… Avec du recul, c’était une grosse déception, mais cela nous a permis de travailler différemment ensuite.
Revenons un peu plus sur ta carrière chez les Bleus maintenant. Que retiendras-tu de tes années sous le maillot de l’équipe de France ?
Des souvenirs magnifiques. J’ai passé six ans avec cette équipe, à travailler avec les meilleurs : Cantona, Papin, Boli d’une part, et puis Zizou de l’autre pour son premier tournoi en 1996, avant qu’il explose. Ce sont des moments que l’on ne peut pas oublier. Si je devais retenir un seul match, ce serait l’Espagne à Séville, pour les qualifications de 1992. On nous avait promis le feu, et c’était le cas. Heureusement, Luis Fernandez marque un superbe but avec reprise de volée digne d’un tir de l’Aigle. Il faut le voir !
Ensuite, je me souviens aussi des premiers buts de Zizou, c’était à Bordeaux contre la République tchèque. Je m’en souviens bien, parce que c’est moi qui tire le corner sur le deuxième but (rires) ! On me le rappelle souvent celui-là, parce que vu sa carrière derrière, c’est normal qu’on cherche à se souvenir de ça.
Tu t’imaginais déjà porter le maillot français un jour en Guadeloupe ?
Je suis resté là-bas jusqu’à mes 20 ans quand même… Pour être franc, oui, je me voyais bien porter ce maillot. Nous avions un modèle ici, c’était Marius Trésor. On avait ce référent, bien que pour nous les Guadeloupéens, la France reste très éloignée. Mais à l’arrivée, j’ai pu honorer mes origines à travers ce maillot français.
Comment s’est passée ta jeunesse là-bas ?
Je suis de Morne-à-l’Eau, où nous avons un cimetière très visité. Je suis issu d’une famille avec 11 frères et sœurs (rires) ! Aujourd’hui, ça n’existe plus trop, mais en Guadeloupe, c’était fréquent. Je suis le septième de la famille, avec 6 sœurs et 4 frères.
Tu débarques à la métropole, à 20 ans. Tu échanges le climat tropical contre la bonne pluie bretonne… C’était un gros changement, non ?
J’arrive en plein mois de novembre à Rennes… J’ai passé un essai concluant et j’ai tout de suite signé. Mon adaptation à la vie métropolitaine, ça allait. J’étais déjà venu à travers la Guadeloupe en cadets, pour jouer le tournoi de Vichy, puis avec mon club en Coupe de France contre Saint-Étienne, en 1985. J’avais déjà un aperçu du football professionnel. Au bout de trois mois, je jouais déjà avec l’équipe pro, c’était important pour moi.
Puis tu enchaînes avec trois années à Lille. Qu’est-ce que tu recherchais de plus qu’à Rennes ?
Je voulais continuer à apprendre les rudiments du foot. J’avais été approché par Paris, par Lyon, mais j’ai voulu signer à Lille. Pour l’environnement déjà, et pour jouer plus souvent aussi. C’est vraiment dans ce club que je me suis fait un nom.
Tu signes ensuite au PSG. Comment se passe ton année là-bas ?
Aller à Paris, ça me plaisait, d’autant que là, je venais comme titulaire. C’était top. C’est l’année où j’ai joué tous les matchs de championnat, où j’ai commencé à être appelé en équipe de France… Et puis bon, le Parc des Princes, c’est quand même spécial ! C’est une chose que je souhaitais faire, parce que la communauté antillaise est fortement représentée sur Paris. Je voulais retrouver du monde, de la chaleur, même si ce n’était pas trop le cas niveau température (rires) !
Et puis tu signes chez le rival marseillais, en 1991. Tu ne t’es pas fait beaucoup de copains sur le coup…
Non, même pas ! Ce n’était pas dur pour le club de me laisser partir. Déjà, l’OM proposait à Paris trois joueurs plus une somme d’argent en échange. Bruno Germain, Laurent Fournier et Bernard Pardo sont parti à Paris, je pense que le deal était pas mal ! Et puis du côté de Paris, on ne m’a pas donné trop le choix. Moi, je venais d’avoir mon premier enfant, on était bien dans la capitale. Mais c’est vrai que l’offre de Marseille, le club qui gagnait tout à cette époque, ça ne pouvait pas se refuser. Donc les nouveaux dirigeants de Canal + m’ont dit d’attendre un peu, qu’il y avait une proposition me concernant… Mon départ s’est fait sans animosité, parce qu’à Paris aussi, de grands joueurs allaient arriver.
Et ton arrivée à Marseille, comment ça s’est passé ?
Quand je suis venu à Marseille, j’y allais aussi parce que Bernard Tapie était un homme couronné de succès. Et puis bon, on avait des supporters à Marseille… Il fallait être un peu fou pour jouer dans cette équipe (rires) ! C’était une pression très forte de jouer à l’OM à cette époque, un peu comme au PSG actuellement. Mais il me fallait ça, ce style de club, pour continuer à grandir par la suite.
Ton plus beau souvenir à Marseille, on imagine bien qu’il était en 1993 contre Milan, non ?
Oui, même si sur ce match, je me fracture la jambe ! Au bout d’une heure, le tibia gauche s’est rompu. Les gens retiennent que j’étais là, mais ils ne se souviennent pas comment je termine. On va dire que le sentiment était partagé : je n’ai pas pu faire la fête, je n’ai pas pu aller serrer la main de François Mitterrand aux Champs-Élysées… Donc beaucoup de frustration quand même.
Et le match contre le PSG, trois jours plus tard ?
À la maison ! J’ai regardé le match à la télévision, avec l’attelle, le plâtre, j’ai raté toutes les grosses festivités. C’était une énorme déception, quand tu passes tous ces bons moments avec des potes comme Basile, Marcel, Abedi ou Deschamps, rater ce match où Basile a explosé le stade… Mais bon, même devant la télé, j’ai vibré. Comme un supporter marseillais (rires) !
L’affaire VA-OM plombe ton avenir à Marseille. Pourquoi avoir opté pour le Torino ?
J’avais deux clubs qui me voulaient. Paris semblait intéressé, mais ce n’était que des informations qui circulaient dans les journaux. Les deux vraies offres, c’étaient la Reggina et le Torino. Il faut savoir que j’avais prolongé à l’OM, mais le club ne pouvait pas suivre ses engagements. Donc j’ai dû renoncer à continuer à Marseille et je suis parti au Torino. C’était surprenant parce que le club était fraîchement promu en Serie A, mais c’est tout ce que j’avais. J’ai sûrement souffert d’un manque de médiatisation dans ce championnat, et puis je devais être le quatrième ou cinquième joueur à débarquer là-bas. Il y avait Papin, Desailly, Sauzée et Blanc avant moi.
Tu signes ensuite à l’Inter Milan. C’était encore plus impressionnant que ton époque à l’OM d’arriver dans un club comme celui-là ?
Oui, clairement. Déjà par la passion des supporters italiens. Le club avait un grand palmarès, même si cela faisait longtemps qu’il était à la recherche d’un titre. Et puis j’arrivais avec Youri Djorkaeff pour côtoyer Zamorano, Winter, Ince, Zanetti, Bergomi… Avec la Juve et le Milan AC, j’étais dans le top 3 d’Italie.
Vous faîtes un beau parcours en Coupe UEFA, où vous éliminez Guingamp puis Monaco, pour finalement tomber contre Schalke 04 à San Siro, en finale au bout des penaltys… Comment avais-tu vécu cette saison à l’Inter ?
Je fais une belle année où je joue tout le temps. Comme à l’OM, j’avais l’impression que rien ne pouvait m’arriver. Les médias étaient avec moi aussi, parce que sur le terrain, j’étais performant. Il faut le dire, j’étais très fort à ce moment. Roy Hogson avait été critiqué parce que les résultats de l’équipe étaient moyens, c’était une saison sans titre et il a dû partir. Mais cela n’avait pas influé dans mon choix de quitter le club la saison suivante.
Tu côtoies aussi Youri Djorkaeff là-bas. Vous avez noué une relation d’amitié à Milan ?
On était proches oui, parce que la langue nous unissait. Et puis avec mes années au Torino, je parlais déjà couramment l’italien. Donc on s’est rapprochés, même si on s’est perdu de vue ensuite. On faisait quelques restaurants et quelques soirées aussi, à Milan c’est normal. La fashion week à Milan, je la faisais de mon côté, en revanche (rires) !
Et puis tu pars à Valence où Valdano te recrute. Tu vois ensuite passer Claudio Ranieri et Héctor Cúper sur le banc. Quel était ton point de vue sur ces entraîneurs ?
Je dois dire que Valdano voulait à tout prix que je vienne. Cela m’avait surpris, car je ne connaissais pas vraiment Valence, et l’Espagne ne me connaissait pas beaucoup non plus. Mais son discours m’avait plu, il savait que j’avais une certaine expérience du haut niveau. Avec l’arrivée de Ranieri, on a su avoir une équipe compétitive et remporter le premier titre du club depuis un bon moment (Intertoto en 1998, ndlr). Nous avions des joueurs de qualité comme Romário, Ariel Ortega… Il y avait déjà des noms. Cúper, c’était avant tout un acharné du travail. Très bosseur, notamment derrière où il recherchait vraiment une défense de fer. Ensuite, il avait des qualités de meneur, il savait ce qu’il voulait. Il ne rigolait pas trop avec nous, mais il savait nous parler football. C’était un mec très professionnel et très passionné.
Quel sentiment avais-tu sur la finale de C1 perdue en 2000, contre le Real Madrid (3-0) ?
Juste avant la finale, le Real avait perdu à domicile pendant que nous avions gagné à Saragosse. Tous les médias nationaux nous imaginaient remporter ce match. Mais ce soir-là, je crois que nous avons démarré la rencontre avec trop de pression. Beaucoup ne savaient pas quelle était l’atmosphère d’une finale de Ligue des champions, tandis que chez eux, pas mal avaient déjà joué une finale. Le Real était plus serein, et je pense que c’est là que s’est jouée la rencontre.
Et celle contre le Bayern Munich, l’année suivante ?
On était prêts pour cette finale, la défaite sèche contre le Real de l’an passé nous avait servi de leçon. On avait vraiment tout fait pour mettre le plus de chances de remporter cette compétition. On débute bien la rencontre, on mène au score, mais on se fait rejoindre en début de deuxième période. Le Bayern n’a rien lâché jusqu’aux tirs au but. La séance est longue, interminable même… Les penaltys, c’est la loterie. Il faut avoir un peu de chance et des nerfs d’acier. Quand tu fais match nul en finale contre le Bayern, on peut dire que tu as déjà gagné. Mais au final, il ne doit en rester qu’un seul, et à la fin, Valence termine deuxième. Nous avions une équipe capable de gagner cette Ligue des champions, Valence aurait dû gagner ce soir-là.
Après l’Espagne, tu reviens à l’Étoile de Morne-à-l’Eau. C’était un petit clin d’œil pour ta fin de carrière ?
J’étais sur Paris à ce moment-là. C’était la Coupe de France, et l’Étoile recevait Romorantin. Un ami de longue date m’avait contacté pour me proposer de venir jouer ce match avec eux. À partir de là, j’ai fait les démarches pour passer de professionnel à amateur, trois jours avant le match je suis rentré et j’ai intégré le club. J’avais déjà fait construire ma maison, j’ai ramené ma femme et mes enfants sur place. Une fois qu’on a fait le tour, on ne pense qu’à passer des bons moments (rires) !
Tu as fêté tes 50 ans cet été… Comment se sont passées les festivités ?
L’envie, c’était de partir avec ma femme et mes enfants, qui sont aujourd’hui bien grands. On est partis pendant trois jours pour visiter Rome. Quand j’étais en Italie, je n’avais pas eu le temps de faire du tourisme. Donc là, c’était le Colisée, la fontaine de Trévi, et aussi profiter de la bouffe italienne que j’aime bien. Des bonnes pâtes, avec de la sauce tomate, bourrées de parmesan, un filet d’huile d’olive et c’est le top ! Ah non pardon, j’oublie le verre de vin rouge avec.
Chez les entraîneurs, des nerfs à manager