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Jean-Pierre Caillot : « Aujourd’hui, être paternaliste, ça fait vieux con »
En treize ans de présidence du Stade de Reims, Jean-Pierre Caillot a vu son club descendre en National, puis remonter en Ligue 1, embauché puis remercié Pierre Ménès et Luis Fernandez, dit adieu à Raymond Kopa, collecté les maillots de Beckham, Sergio Ramos, Kader Mangane et 997 autres, dépensé huit millions d’euros pour un nouveau centre d’entraînement et, probablement, perdu un peu de son espérance de vie. Pas mal, pour un type qui avait commencé par collectionner les maquettes de camions.
On le dit toujours en avance. Pourtant, sa berline s’arrête de biais sur le parking du centre de vie Raymond Kopa avec quarante-cinq minutes de retard. Le président Caillot en émerge un œil sur son téléphone. Il a officialisé la veille le rachat d’une grande entreprise de transports de la région, et son temps se consume plus vite que les cigarettes qu’il fumait autrefois. Il est tôt, lui a déjà parlé à la presse, reçoit des textos, consulte son emploi du temps. Costard noir, bedaine de bon vivant, gouaille tendre de vieux loup des affaires, vanne d’entrée au moment de serrer la pince. Détendu : « Vous avez prévu combien de temps ? » Une heure ou deux ? C’est long, il grimace. L’homme cultive un style de vie chronophage qu’il compare à celui de ses amis chasseurs, « la bave aux lèvres » , mais prend le temps de faire visiter son musée aux mille maillots. Il y a moins de deux ans, le Stade de Reims était relégué de Ligue 1, et est aujourd’hui largement favori pour y remonter. La montre est oubliée, plus un regard au portable. Tout va vite avec Jean-Pierre Caillot, sauf lorsqu’il est question de parler du club de sa vie.
Vous prenez encore du plaisir au stade ?J’en reprends. Je n’en prenais plus du tout, c’était même devenu une souffrance extrême. La grosse difficulté du foot par rapport au monde de l’entreprise, c’est que le business-plan est remis en cause toutes les semaines. Franchement, c’est la première année depuis que je suis président où je prends du plaisir, où je suis moins stressé. Je suis conscient que c’est juste un moment dans ma vie, et que très vite, dès l’intersaison, il y aura des décisions à prendre, une saison à préparer…
Il paraît que le foot vous a rendu superstitieux.Ce qui est ridicule, c’est que je n’ai jamais été superstitieux dans la vie. J’ai toujours pensé que la vie était programmée telle qu’elle était, sans doute parce que j’ai très vite pris conscience que je gérais bien ma vie, que j’en étais véritablement acteur. Et dans le foot pour la première fois, ce n’est pas le cas. Je peux tout faire du mieux possible, il y aura toujours des facteurs que je ne peux pas gérer. Alors je passe par les mêmes chemins pour aller au stade, j’ai toujours le même rituel en entrant sur la pelouse, des tenues similaires…
Laquelle ?Je mets toujours la même veste pour aller jouer à l’extérieur.
Vous mangez combien de chewing-gums en 90 minutes ?Un paquet entier. Je coupe la moitié des tablettes en deux et j’avale tout d’un coup, ça me fait une grosse boule de chewing-gums qui me tient toute la mi-temps. Une moitié en première mi-temps, l’autre moitié en seconde. C’est même pas une marque que je transporte, alors je suis obligé de les payer. (Rires.) Il m’est arrivé d’oublier la plaquette, de m’en rendre compte trop tard, et quand ça démarre, je vois bien que ça court moins vite sur le terrain.
Vous faites ça pour ne pas fumer ?Je me suis remis à fumer au début de ma présidence, à cause du stress. Et puis un jour, en tribune présidentielle, un journaliste de L’Union me voit en train de fumer un cigare, parce que j’aimais bien ça. Il fait un papier pour me descendre : « Les dirigeants, ces riches… » Du coup, je suis juste repassé aux clopes. Sauf que ma femme me mettait les filles dans les pattes en me disant que je sentais le tabac, alors je leur ai promis que si on se maintenait en Ligue 2 à la fin de la saison (2004-2005), j’arrêtais. Le dernier match, on gagne 3-0 contre Clermont, je suis dans le rond central, je vois ma femme dans les tribunes (il lève le bras droit) et j’écrase mon paquet. Depuis ce jour-là, je n’ai plus retouché. Alors, ces histoires de patchs, là…
Dans quelle mesure votre présidence déborde dans votre vie personnelle ?(Rires.) C’est bien simple. Mon temps est affecté à 50% entre mes activités professionnelles et à 50% dans le foot, le Stade de Reims et les instances. Donc je n’ai pas le temps de faire du golf ou de la chasse.
Ça laisse 0% pour la famille, ça.C’est difficile d’avoir une vie de famille et de faire tenir un couple si on ne l’associe pas dans l’histoire. Quand j’ai discuté de la possibilité de reprendre la présidence du club avec mon épouse, elle a tout de suite dit : « Je veux bien, mais je veux y être associée, sinon je vais être complètement larguée. » . Donc ma femme est ma première ambassadrice à Delaune, pour accueillir les invités par exemple. Elle vit l’histoire avec moi. Quand elle sait que je suis stressé par un résultat, elle le partage avec moi. Quand on rentre à la maison après un match perdu et qu’on a la tête toute retournée parce qu’on est malheureux, elle est la première qui est là pour me soutenir. C’est d’ailleurs la seule.
Votre femme aimait le foot à la base ?Non, mais elle aime son mari. (Rires.)
Vous êtes né à Reims. Vous avez repris l’entreprise familiale à Reims. Vous êtes président du stade de Reims et vous habitez à moins de dix minutes en voiture du centre-ville de Reims. Il y a un endroit sur Terre que vous préférez ?J’aime bien Melbourne, puisque mes deux filles et mes petits-enfants y habitent.
Mais Reims, c’est mieux.Il n’y a pas le Stade de Reims à Melbourne. (Rires.)
Quels sont vos premiers souvenirs du Stade de Reims ?(Il coupe) Je vous coupe avant que vous ne soyez désagréables, ce n’était pas l’époque Kopa et Fontaine, hein, mais plutôt les années de Carlos Bianchi et des frères Lech ! Si je travaillais bien à l’école, ma récompense, c’était d’aller voir un match à Delaune. Mais je ne suis pas du tout né dans une famille de footeux, je suis fils unique et mon père était plutôt vélo. Il aurait même pu être coureur cycliste, mais comme il était orphelin, c’était plutôt compliqué pour lui et il a dû vite travailler. Et d’ailleurs, je fais passer un message : même si mon père est disparu et que, évidemment, j’adorais mon père, comme il travaillait comme un fou, il me disait : « Tiens, on va voir tel match. » Puis, le moment venu, il était épuisé et c’était quelqu’un d’autre qui m’emmenait. Donc l’expérience que j’aurais voulu avoir et que beaucoup de jeunes ont avec leur père ou leur grand-père, je ne la partageais pas avec le mien. C’était une frustration.
Ça ne vous a jamais découragé ?Ah, ça non ! J’étais tellement dingue de foot que j’avais demandé à mes parents de me mettre au pensionnat du Sacré-Coeur parce que les « chers frères » emmenaient les pensionnaires voir les matchs. J’habitais en périphérie de Reims, mais je voulais quand même y entrer en troisième. Et ils m’y ont inscrit ! (Il sourit.)
C’est quoi la différence entre un président-supporter comme vous, et un président dit « parachuté » , qui n’a pas de lien personnel avec le club ?Je ne partage pas trop le terme de « président-supporter » , je préfère qu’on dise que je suis un président passionné, proche de sa région. Mais oui, il y a aujourd’hui un certain nombre, de plus en plus d’ailleurs, de président dits professionnels, placés par des actionnaires. Avant, c’était surtout des « notables locaux » comme on les appelait, ou des gens placés par les municipalités quand l’économie était différente concernant les clubs. Et, effectivement, ces nouveaux présidents, même s’ils sont sensibles aux résultats de l’équipe, peuvent parfois passer d’un club à l’autre sans que ça ne leur fasse ni chaud ni froid. Je respecte et je comprends, mais c’est vrai que je ne me reconnais pas du tout dans ces présidents-là.
Il y a une quarantaine de clubs pros en France, donc une quarantaine de présidents de clubs pros. Vous vous connaissez tous. Est-ce qu’il y a une cassure entre ces deux types de présidents, dans les relations ou les affinités ?Pas dans les relations. Je vous donne un exemple : Vincent Labrune était typiquement à ranger dans l’autre catégorie de présidents que la mienne. Et pourtant, c’est un ami, on a passé des moments exceptionnels ensemble.
On dit que vous êtes un président proche de ses sous, alors que le nouveau centre d’entraînement vous a coûté huit millions d’euros. Ça vous agace ?C’est vrai que je suis un peu atypique dans le foot, dans le sens où je ne dépense pas ce que je n’ai pas. Pierre Ménès m’appelait même « Oncle Picsou » . Humainement, c’était marrant avec lui. Il avait toujours des bons mots, donc c’était un de ses bons mots. Oncle Picsou… Je n’ai pas trop lu Pif Gadget (sic), donc je n’ai pas vraiment le descriptif, c’était peut-être un peu excessif, mais comme il sait l’être dans ses déclarations et ses analyses. En tout cas, je suis très fier qu’on soit cité régulièrement en exemple à la DNCG. Certains clubs ont fait n’importe quoi par moment. Ils ont obtenu des résultats sportifs et tout le monde se gaussait de leur réussite, mais ça n’a pas duré. La première année où on est en National (en 2003-2004), on n’avait rien, même pas de terrains d’entraînement. On se faisait accueillir chez un copain qui avait le club de Murigny pour qu’on puisse s’entraîner. Heureusement que le premier entraîneur qu’on a choisi était Ladislas Lozano, qui venait du monde amateur et pour qui ce n’était pas inconcevable de travailler comme ça. Avec certains entraîneurs que j’ai eus depuis, ça aurait été juste impossible.
Pardon, mais au-délà de Pierre Ménès, vous avez une réputation de radin…Ouais, mais ce n’est pas grave. Ça, c’est un truc que j’ai découvert, parce que je n’étais pas du tout préparé à une présidence de club de foot et à tout le buzz médiatique qu’il peut y avoir autour d’une telle fonction. Je le dis souvent à mes amis : j’étais le dixième entrepreneur de la Marne et personne ne me connaissait. Depuis que je suis président, tout le monde me connaît. Ils peuvent dire que je suis radin, ce n’est pas le cas. Je le sais. Tous mes amis le savent. Je suis économe. Après, c’est quoi la définition du mot radin… ? Je fais passer le message à mes équipes, et tous les gens ici sont faits dans le même moule. Dans le foot, si un certain nombre de personnes n’avaient dépensé que ce qu’ils avaient gagné, ils n’auraient pas eu les problèmes qu’ils ont connus. On a vu disparaître, ou en tout cas tomber bien bas ces dix dernières années, des clubs qui étaient bien plus en avance que Reims.
Comment on fait pour ne pas se laisser griser ?Vous savez, je suis le quatrième président en ancienneté dans la fonction. J’en ai vu passer, des mecs. La première fois que vous êtes confronté à des gens comme Jean-Michel Aulas dans une réunion, c’est comme si vous retourniez à l’école de commerce, hein. Vous demandez où est la caméra. Soit vous ne dites rien et vous faites la potiche sur votre machin, soit vous voulez exister dans la réunion et vous avez intérêt à savoir de quoi vous parlez. Intellectuellement, ça permet de phosphorer. Donc j’ai vu des collègues arriver, qui ne connaissaient personne et qui me posaient des questions à moi parce que je suis plus abordable. Puis, au bout de deux ans, trois ans, par l’emballement médiatique, ils perdent le sens des valeurs. Il faut savoir que sur un transfert, tu peux changer l’économie de ton club. Certains clubs – que je ne citerai pas –, tous les ans, ils engendrent un déficit d’exploitation et, tous les ans, ils sont condamnés à vendre des joueurs pour compenser. Ouais, sauf que l’année où les Anglais ne sont pas là, où le mec se tord la cheville, ils font comment ? Bah ils sont dans la merde. Et ça, ce n’est pas acceptable ici.
« On a une personnalité, elle est ce qu’elle est. Il y a des gens qui m’aiment pour ça et d’autres que je dérange. » C’est de vous. Qu’est-ce qui dérange chez vous ? (Silence) Ce qui dérange dans la vraie vie, je ne sais pas. Mais dans le foot en particulier… C’est quand même toujours un peu feutré, l’utilisation de la langue de bois à outrance, tout le monde est amis, mais il ne faut surtout jamais se retourner… Peut-être parce que je suis issu d’un secteur d’activité réputé pour être un secteur d’hommes – pardon, il ne faut pas que je me foute les femmes à dos –, dans le sens où c’est un métier où la parole a beaucoup d’importance. Donc moi, je dis ce que je pense. Ça plaît, ça plaît pas. Je me suis mis des collègues à dos, des mecs qui n’avaient jamais participé à une réunion de travail, mais qui ne voyaient que l’intérêt de leurs clubs. J’ai des idées, je défends mes idées. Donc, effectivement j’ai du caractère, mais avec les années, on s’arrondit aussi. Je m’arrondis même physiquement. (Il tapote sur son ventre.) Je suis moins frontal que je l’aurais été il y a vingt ans. Je n’ai pas de problème d’ego et c’est déjà une grande chance, parce que je n’ai pas besoin du foot pour vivre. D’ailleurs, je me fais un point d’honneur à ne jamais prendre un euro au club. Au moins, on montre l’exemple.
Vous insistez régulièrement sur le côté familial du Stade de Reims, ce n’est pas un mot galvaudé ?Il y a des mots comme ça… Aujourd’hui, être paternaliste, ça fait vieux con. On peut très bien être paternaliste, c’est une qualité. « Familial » , c’est pareil. Mais ce n’est peut-être pas le bon mot, je vais dire « humain » . On n’est pas dupes, ce n’est pas le monde des bisounours. On travaille avec des professionnels qui ont des carrières à gérer… Il y a des frictions de temps en temps, mais, malgré tout, ils ont des vrais dirigeants qu’ils peuvent identifier, avec lesquels ils peuvent parler, qui sont à tous les déplacements, même quand c’est un peu compliqué. Ce côté humain se transforme dans un certain nombre de cas en affection. Ce sont tous des jeunes joueurs, ils ont tous leurs conseillers et, par moment, c’est pas mal – eux qui ont quitté leur famille ou qui l’ont laissée sur un autre continent – qu’ils puissent avoir quelqu’un à qui demander des conseils. Notamment les Africains. Comme ils disent : « On est tous papas et tontons. » J’ai eu des relations avec les Africains qui étaient un peu dans ce style-là. Quand Kossi Agassa, qui devait faire 1,96m, un monstre physique, venait dans mon bureau à la société de transport pour me dire : « T’es mon deuxième papa » , au fond de moi c’était super important.
Dans la voiture pour aller à votre musée tout à l’heure, vous nous disiez que le club avait pu souffrir sportivement d’être « trop gentil » . Ce n’est plus le cas aujourd’hui ? On est peut-être trop sérieux… (Il sourit.) Mais vous savez, quand ça marche bien, on ne sait pas trop pourquoi. Et quand ça marche mal, on ne sait pas trop pourquoi non plus. (Rires.)
Steven Defour disait que quelques salopards dans une équipe, c’est parfois utile.Ouais ! Mais là aussi, par expérience, quand on est en phase de recrutement et qu’on s’adresse à ses entraîneurs en disant qu’untel à la réputation d’être un cassos, ce n’est jamais un problème pour eux. Ils veulent le joueur. Et puis quand, effectivement, le mec se révèle être un cassos, ils se tournent vers les dirigeants en disant : « Gérez votre gars ! » On n’a pas envie de faire du social à outrance, alors on essaye quand même de se border en recrutant des mecs bien. Après, il y a des clubs qui sont capables de gérer ces gars-là. On ne se comporte pas de la même façon dans un club du nord de la France que dans un club corse. Nous, on est à 45 minutes de Paris. Donc si les gars veulent aller faire la fête à Paris, ils peuvent le faire. Si le mec est à Gueugnon, c’est plus compliqué. Il y a des contextes où les joueurs vont être plus faciles à canaliser.
Votre autre passion, c’est les camions…(Il coupe.) Non, c’est la logistique, c’est pas les camions ! Je n’ai jamais conduit de camion de ma vie.
Vous avez dit un jour : « Parfois, les joueurs africains ont besoin d’un vieux camion, alors je leur prête. » On déclasse souvent du matériel dans les entreprises. Et quand on a des vieux camions, on leur donne ou on leur vend dans des conditions avantageuses. Le but, c’est de leur faire plaisir, pas de prendre un vieux camion pour se déplacer dans Reims. Ils les récupèrent et les ramènent au bled. Et comme ce sont des malins – parce que les Africains sont des malins pas possible ! – ils se mettent bien avec mon chef de garage qui leur donne tous les pneus qui ne leur servent plus à rien. Les vieilles batteries aussi. Ils remettent ça dans le camion, et au bled, ça vaut son pesant d’or. Que ce soit Bocundji Ca, un Guinéen, ou Kossi, qui était togolais. Eh bien dans ces pays-là, il y a des camions avec une bâche Caillot qui tournent ! (Rires.) C’est aussi ça, le côté famille.
Propos recueillis par Théo Denmat et Kevin Charnay, à Reims