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« Jean-Michel Lesage, c’est Lucky Luke »
Ce soir à Clermont, Jean-Michel Lesage n’aura rien à prouver. C’est pour le plaisir et rien que pour le plaisir que le capitaine de Créteil s’attachera à confirmer qu’il possède toujours, à 36 ans, l’une des plus belles frappes de balle de France.
Jean-Michel Lesage est plus un « joueur lfp.fr » qu’un « joueur youtube » . Parce que la Ligue 2 est un championnat de petites préfectures, les récents exploits du capitaine cristolien sont restés cloisonnés dans une certaine confidence. Les exploits, parlons-en. En cinq jours, le natif de Bourg-la-Reine a marqué deux fois de quarante mètres : d’abord face à Istres (2-2) d’un amour de lob, ensuite à Lens en Coupe de la Ligue (3-4), histoire d’achever un match dont il avait déjà fait sa chose en transformant un penalty et en offrant une passe décisive à Marcel Essombé d’un extérieur du pied gauche expédié depuis sa propre moitié de terrain. « Contre Metz (3-2), il m’a donné la même. Il était en bout de course dans notre camp, on le pressait, mais il m’a trouvé quand même. Pourtant, mes appels sont parfois mauvais, je pars trop vite. Lui s’adapte et du coup, on a l’impression que le timing de mon appel est parfait » , se réjouit Faneva Andriatsima, le goleador malgache de la formation cristolienne.
Auteur d’un violent coup franc en lucarne à Nîmes dès la 1re journée, Lesage (4 buts et 3 passes en 6 matchs) a conscience que le cocktail spectacle-efficacité auquel il carbure cet été fait de lui le favori pour le titre de meilleur joueur de Ligue 2 du mois d’août. À Créteil, on ne s’étonne pas de l’identité de l’homme providentiel. « Avant le début du championnat, on a constaté qu’à lui seul, Jean-Mi comptait plus de matchs en Ligue 2 que tout le reste de notre effectif » , indique Boris Mahon de Monaghan, latéral droit de l’équipe et coéquipier depuis 2010. « Ce qui peut surprendre, c’est qu’il joue dans un couloir alors qu’à son âge, on a tendance à dire que c’est plus raisonnable d’évoluer dans l’axe » , remarque Andriatsima. « Il a quinze ans de carrière, mais je suis obligé de le freiner, de lui demander de sauter des séances d’entraînement, car si ça ne tenait qu’à lui, il en ferait plus que les autres » , pousse son entraîneur Jean-Luc Vasseur, qui avance la thèse de la nature pour expliquer la longévité de son capitaine : « Au-delà de son mental à toute épreuve, physiquement, il est au top. Il peut manger des cochonneries, ça n’affectera pas son corps. Il n’a pas un poil de graisse ! »
« Une goutte de vin le fait grimacer »
C’est pourtant plus le goût que le professionnalisme qui amène Lesage à rester fidèle à son régime. « Son secret, c’est qu’il se nourrit comme un enfant, dévoile Mahon de Monaghan. Il mange tout le temps des Twix et des Mars. Avant l’entraînement, je l’ai déjà vu des bonbons plein les poches. Les piquants rouges là, il adore ça. » Et alors, on n’a pas le droit d’être un épicurien ? « À table, tu ne lui feras pas bouffer autre chose que du riz ou des pâtes. Inutile d’essayer de lui faire avaler des tomates ou de la salade. Pour ce qui est de l’alcool, il va tremper ses lèvres dans un verre pour faire plaisir aux autres, mais une goutte de vin le fait grimacer » , rigole Mahon, partenaire de chambre d’hôtel officiel qui « commence à connaître l’animal » , au point d’être devenu un ami de la famille Lesage.
Reste à se poser la bonne question : Jean-Michel Lesage n’est-il qu’un pied gauche ? Thierry De Neef, également apôtre de la frappe appuyée et coéquipier au HAC de 1998 à 2002, tranche : « Jean-Mich a toujours eu une frappe assez lourde, mais il n’a que ça ! N’empêche, quelle gâchette c’était… » Lesage, meilleur buteur de l’histoire du Havre AC (76 unités) a quant à lui déjà traité le sujet de manière définitive : « Je préfère avoir un très bon pied gauche que deux pieds moyens. » Cette facette d’unijambiste explique peut-être le fait que le joueur n’a fréquenté la Ligue 1 que deux saisons et demie. Thierry Uvenard, entraîneur du HAC les deux années où Lesage a terminé meilleur buteur de L2 (2006 et 2007), vole à son secours : « Il a eu la possibilité de partir. Je ne parle pas des six mois à Auxerre, mais d’autres opportunités. Mais Jean-Michel est un sentimental. Il était heureux au Havre, alors il y est resté. S’il avait fait d’autres choix, il aurait peut-être disparu de la circulation et ne serait pas là où il est aujourd’hui. D’ailleurs, ce n’est pas étonnant qu’il soit retourné à Créteil, le club de ses débuts. Il est très fort quand il se sent chez lui. » Voilà pourquoi à Créteil, Vasseur donne carte blanche à l’inspiration de son leader technique : « Quand il tire de quarante mètres, et croyez-moi, ça lui arrive très souvent, c’est lui et lui seul qui a pris la décision. Vous croyez que quand Cavani ou Ibrahimović tente un coup du foulard, c’est une consigne de l’entraîneur ? On ne peut qu’être flatté d’avoir des Rothen, Leroy et Lesage en activité en Ligue 2. Ils vont moins vite, mais ils voient plus vite qu’avant. »
Ne pas croire que c’est l’expérience qui donne à JML le droit de dégainer comme un bourrin du rond central quand ça lui chante. « Il a toujours été comme ça, c’est un joueur d’instinct. Il était même un peu plus foufou quand il était jeune et rebelle, une époque où quand on lui parlait, le gamin de la région parisienne qu’il était se sentait agressé. Avec le temps, il a compris plein de choses. Mais même jeune, il a toujours tiré plus vite que son ombre. Jean-Michel Lesage, c’est Lucky Luke. C’est contrôle et vlan. Et le contrôle est facultatif. Sans s’emballer, on peut dire qu’il a encore aujourd’hui une des plus belles frappes de France » , estime Uvenard, actuel entraîneur-adjoint à Toulouse.
Jean-Michel Lesage a deux visages. L’un est amoureux de Haribo et adore prendre en photo ses coéquipiers quand ils dorment la bouche ouverte, l’autre est un joueur sous-coté qui profite de son come-back dans son jardin de L2 pour rappeler qu’il a toujours été un joueur suffisamment étonnant pour se surprendre lui-même. « Il m’arrive de me dire : « Mais comment t’as pensé à faire ce geste-là ? » »
Par Matthieu Pécot