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Granit, Taulant : à Xhaka son « pays »
Dans la famille « on n'a pas le même maillot, mais on a le même sang », on connaissait Kevin-Prince et Jérôme Boateng, Steve et Parfait Mandanda, ou encore Paul d'un côté, Florentin et Mathias Pogba de l'autre. Aujourd'hui, place à la fratrie Xhaka, avec le cadet Granit qui a choisi la Suisse, tandis que l'aîné Taulant a préféré l'Albanie. À défaut, pour les deux, d'avoir pu opter pour le Kosovo.
Depuis janvier 2014, l’équipe de football du Kosovo, bien que non reconnue par la FIFA, a gagné le droit de disputer de « vrais » matchs amicaux. L’aventure des Dardanët (les Dardaniens) a donc commencé en mars de cette année, face à Haïti. Score final : 0-0. Un score très terre-à-terre, mais qui n’empêche pas de rêver. Ainsi, quelques semaines avant le premier match des Kosovars face au pays des joueurs-prénoms (Jean-Eudes Maurice, Jean-Jacques Pierre…), le journal belge La Meuse s’est amusé à créer une équipe type avec les joueurs d’origine kosovare qui évoluent pour d’autres sélections. On retrouve Lorik Cana en défense centrale, Valon Behrami en 6, Xherdan Shaqiri sur l’aile, Adnan Januzaj derrière l’attaquant de pointe… Bref, du joli monde. Mais cela n’arrivera probablement jamais. D’une part, rien ne dit que la sélection du Kosovo sera un jour reconnue par la FIFA, d’autre part, Pristina ne veut pas causer de problèmes à ses enfants avec leurs équipes nationales respectives. Et du coup, les frères Xhaka, Granit et Taulant, qui ont beau s’adorer – au point de partager une page Facebook pour faire leur comm’ –, continueront à faire leur petit bout de chemin chacun de leur côté.
La tête dure comme du granit
Pour le moment, c’est le cadet, Granit, qui s’en sort le mieux. Nuance : qui a tout fait pour mieux s’en sortir. Arrivé à l’âge de 19 ans au Borussia Mönchengladbach en 2012 avec l’étiquette du joueur hyper talentueux, le natif de Bâle a mis du temps à justifier le prix de son transfert (8-9 millions d’euros). S’il est vrai qu’il a de l’or dans les pieds, Granit a surtout la tête dure. Sûr de son talent, le milieu de terrain n’a pas toujours compris pourquoi Lucien Favre ne le faisait pas toujours jouer. Si le technicien suisse est un grand amateur du turnover, il a également dû prendre en considération l’impact du plus jeune des frères Xhaka dans son équation. À son arrivée, Granit a montré qu’il avait du ballon, pas de doute là-dessus. Mais il a aussi montré qu’il avait ses absences dans le jeu, qu’il ratait des passes faciles qui mettaient immédiatement ses coéquipiers en danger. Au-delà de ça, Granit n’a pas toujours su canaliser son énergie. On parle d’un mec qui, en début de saison dernière, est devenu le joueur qui s’est fait suspendre le plus rapidement en Bundesliga pour cause d’accumulation de cartons, à force d’engagement, de fautes surtout. On parle aussi d’un mec qui a insulté publiquement l’arbitre Peter Gagelmann après une défaite 2-4 face à Fribourg. « Si après ce que j’ai fait il y a deuxième jaune, l’arbitre n’a rien à faire en Bundesliga. […] Il ne devrait plus arbitrer. J’ai l’impression d’avoir été roulé dans la farine. C’est honteux. »
Le petit prince de Gladbach
De prime abord, on pourrait penser que Granit Xhaka n’est qu’un petit con, qui se prend pour ce qu’il n’est pas. En vérité, c’est juste un garçon qui ne sait pas toujours contrôler ses émotions. À son arrivée à Gladbach, il avait donné une interview où il s’était légèrement épanché sur le fait qu’il avait un vrai problème à faire semblant de ne pas voir quand quelqu’un est dans le besoin. De même, il avait déclaré que l’injustice le rendait dingue. A priori, on pourrait penser que ce sont des phrases bateaux, faites pour fendre encore un peu plus le cœur de ses nouveaux fans. C’est peut-être le cas. Mais quand on sait que le père Xhaka a été enfermé pendant trois ans et demi dans une prison yougoslave pour raisons politiques ( « Parce qu’il avait de fermes convictions » , dixit le fiston) et que par la suite, la famille a dû quitter son Kosovo pour se rendre en Suisse, on comprend un peu mieux les propos du jeune homme. Sous la couche de Granit, il y a un cœur. Et aussi un cerveau. Finis les tacles dans tous les sens. Xhaka a appris à gérer son énergie, et a compris qu’il était capable d’organiser le jeu des Fohlen. Résultat : depuis le début de la saison, il est le seul joueur de champ (avec Martin Stranzl) à avoir joué tous les matchs de Gladbach. Et, guidé par l’amour que lui portent ses coéquipiers, le staff et les supporters, Granit Xhaka a tout pour devenir une espèce de Günter Netzer des temps modernes. En tout cas, il a un goût très prononcé pour les jolies voitures. Tout comme le légendaire numéro 10 allemand. C’est déjà ça.
Taulant, l’ « autre »
Si la « Hache suisse » a été enterrée et fait place au « Petit Einstein » , il y a un autre Xhaka qui aime beaucoup la découpe : le grand frère, Taulant. Moins talentueux que son cadet, Taulant compense par un engagement sans faille. C’est simple : celui qui est né à Pristina n’a peur de rien. Quand il va au contact, ce n’est pas pour faire mal, « mais c’est à la limite, et je le sais » . Juste ce qu’il faut pour impressionner l’adversaire. Quand on lui reproche son manque de créativité, il rétorque : « Est-ce que mon job est d’être créatif ? Est-ce que je dois faire un, deux passements de jambe avant de faire une passe ? Non, mon job constitue à récupérer la balle et faire une bonne passe rapide. » Bien que capable d’évoluer comme latéral, c’est devant que Taulant s’exprime le mieux. Malheureusement pour lui, son petit frère l’a mis à l’amende, jouant quatre fois plus que lui durant leurs saisons communes au FC Bâle. Et, alors que Granit est parti franchir un palier en Bundesliga, Taulant est resté tondre les pelouses de la Super League suisse, du côté des Grasshoppers, le temps d’un prêt. Ce qui explique pourquoi Granit a connu les joies de la Nati (dont il est en passe de devenir un des cadres), là où Taulant ne s’est vu proposer « que » l’équipe d’Albanie. Et bien qu’il essaye de faire le fâché ( « Un coup de fil aurait suffi, mais il n’est pas venu. Oui, la Suisse m’a déçu. » ), Taulant a de la peine. Il ne jouera pas avec Granit en sélection. S’ils se sont croisés en octobre 2013 lors des qualifications à la Coupe du monde (victoire de la Suisse en Albanie, 2-1), Taulant et Granit ne se sont pas encore affrontés. Peut-être que ça n’arrivera jamais. Et peut-être bien qu’un jour, ils seront réunis sous le même maillot, celui du Kosovo. Et pourront ainsi faire plaisir au daron.
Par Ali Farhat