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- Il y a 40 ans, la Coupe du monde 1966
Goddam ! On a volé la Coupe du monde !
Le trophée Jules Rimet, qui récompense tous les quatre ans le vainqueur de la Coupe du monde de football, avait été dérobé en plein cœur de Londres à quelques semaines du Mondial 1966. Scotland Yard sur l’affaire, une fausse rançon, une course poursuite rocambolesque, une enquête qui s’enlise, le précieux trophée retrouvé par un chien nommé Pickles, et pour finir une série d’étranges malédictions… L’histoire est digne d’une aventure de Blake et Mortimer.
Dimanche 20 mars 1966, Westminster Central Hall, en plein cœur de Londres. Il est un peu plus de midi et l’agent de surveillance George Franklin va reprendre son poste dans une vaste pièce d’exposition où se tient depuis la veille la plus grande manifestation de philatélistes du pays. Dans les vitrines, il y en a pour plusieurs millions de livres de timbres rares collectés partout dans le monde par des passionnés, dont l’organisateur en chef, président de la Stanley Gibbons’ Stamp Company. Un privilège rare lui a été accordé pour animer son exposition : offrir aux visiteurs la vue du trophée Jules Rimet, que la FIFA a remis en début d’année à la Fédération anglaise de football. Cette coupe en argent fin plaquée or, représentant Niké, la déesse grecque de la victoire, est remise depuis 1930 au vainqueur de la Coupe du monde de football. Propriété depuis 1958 du Brésil, le trophée s’apprête à être remis en jeu au mois de juillet de cette année 1966. En janvier, la Fédération se voit donc confier le trophée en sa qualité d’organisateur et doit logiquement le garder précieusement dans un coffre jusqu’au début des festivités. Mais devant l’insistance des organisateurs de cette fameuse expo philatéliste – une grosse affaire, la philatélie, à l’époque –, les dirigeants anglais du foot finissent par céder et prêtent le précieux objet pour les quelques jours de la manifestation.
Un homme louche aux lèvres minces recherché
A priori il n’y a aucun risque : le trophée Jules Rimet a été placé dans une vitrine, sous la surveillance de cinq gardes, dont deux doivent être présents H24 à portée de vue. Un dispositif pareil doit pouvoir dissuader les voleurs. Le problème, c’est qu’en ce dimanche 20 mars, un office religieux doit se tenir au sein même de ce hall, avant que l’exposition n’ouvre ses portes au public. Alors pour respecter l’office – une encore plus grosse affaire que la philatélie, la religion à l’époque –, il est décidé de relâcher un minimum la surveillance des collections de timbres et du trophée Jules Rimet. Question de respect. Mais quand George Franklin va reprendre son service à la mi-journée une fois la messe terminée, horreur ! La Coupe du monde a disparu. Rien d’autre n’a été volé, seulement cette coupe. La police est prévenue et se rend immédiatement sur les lieux pour les premières constatations. La vitrine semble avoir été aisément forcée et une porte à l’arrière du bâtiment présente des traces de passage récent. Aucun témoin de la scène, seulement la description d’un homme louche, qu’auraient aperçu plusieurs personnes la veille aux heures d’ouverture de l’exposition, au niveau de la cabine téléphonique près des sanitaires. Les descriptions divergent, mais un profil est tout de même recherché : homme, la trentaine, taille moyenne, cheveux noirs, lèvres minces, possible cicatrice sur le visage. Scotland Yard est chargé de la délicate enquête.
Une demande de rançon de 15 000 £
Avant même que le vol ne soit révélé publiquement par la presse le lendemain, la Fédération anglaise de football décide en premier lieu de se rendre chez un orfèvre de la ville, nommé George Bird, pour confectionner une réplique du trophée dans la plus grande discrétion, au cas où on ne retrouverait pas l’original… Car la recherche de l’homme louche ne donne rien et aucun indice ne permet de remonter le moindre début de piste. Jusqu’à ce que le lundi 21 mars, le président de la Football Association, Joe Mears, ne reçoive un coup de téléphone. À l’autre bout du fil, un homme qui se fait appeler « Jackson » . « J’ai ce que vous cherchez » , dit-il. Pour le retrouver, il faut suivre les instructions qui arriveront dans un colis livré au siège du club de Chelsea (dont Mears est aussi le président). Et surtout, n’appelez pas les flics ! Mears n’entend pas cette dernière instruction et déballe tout au directeur d’enquête, un certain Charles Buggy. Le colis arrive, avec une demande de rançon : 15 000 livres, en billets de 1 et de 5. Puis « Jackson » rappelle : finalement, il veut la somme en billets de 5 et de 10 !
Chasse au fuyard dans Londres
Buggy prend le relais de Mears, qui est de santé fragile. Le flic se fera passer pour un certain « McPhee » , assistant du président de la fédé. « Jackson » tique, mais finit par accepter la rencontre avec ce dénommé McPhee à Battersea Park le 25 mars. L’échange trophée contre rançon doit avoir lieu. À la place des 15 000 livres, de faux billets sont placés dans une valise, avec seulement une mince couche de vrais au-dessus des piles pour faire croire au magot. Discrètement, des policiers sont positionnés tout autour du parc, tandis que McPhee retrouve Jackson comme prévu. Ce dernier récupère la valise, ne constate pas la supercherie, mais annonce à McPhee qu’il n’a pas la coupe avec lui. Il faut prendre la voiture, dit-il. McPhee accepte, les deux hommes s’engagent dans la circulation londonienne, chacun avec sa voiture. Soudain, Jackson accélère et tente de semer McPhee. Bientôt bloqué par le trafic, il abandonne son véhicule et poursuit sa fuite à pied, mais il finit par être rattrapé par Buggy/McPhee, habitué à ce genre de course poursuite. Direction le commissariat de Kennington où Jackson est finalement démasqué. Son vrai nom, c’est Edward Betchley, un ancien de la Seconde Guerre mondiale, vendeur de voitures d’occasion, petit délinquant notoire. Le trophée Jules Rimet, il ne l’a pas, assure-t-il. D’ailleurs il ne l’a jamais volé, il était seulement chargé de récupérer la rançon pour un commanditaire surnommé « The Pole » (littéralement le poteau). Mais son témoignage paraît peu crédible et toute l’enquête est de retour à zéro.
« Chérie, j’ai trouvé la Coupe du monde ! »
Elle va rebondir et se conclure d’une étonnante manière. Le dimanche 27 mars, soit exactement une semaine après le vol, un jeune marin d’une barge de la Tamise nommé David Corbett sort de son domicile du Sud londonien. Il a un coup de fil à passer à la cabine se trouvant au jardin public en bas de chez lui. Il en profite pour sortir son chien, un gentil bâtard nommé Pickles âgé de 4 ans. Ce dernier s’en va fureter dans le parc comme il en a l’habitude et pique de la truffe vers un bosquet. Curieux, son maître jette un œil dans la direction et s’aperçoit que git par terre un objet soigneusement emballé dans du papier journal, retenu par de la ficelle. Bizarre, bizarre. Il pense d’abord à une bombe, mais décide finalement de déballer le paquet. « J’ai vu que c’était une sorte de statuette, racontera-t-il au Guardian en 2006. Une femme tenant une sorte de plat au-dessus de sa tête et sur le socle les noms de l’Allemagne, de l’Uruguay, du Brésil. J’ai vite compris de quoi il s’agissait. Je suis allé voir ma femme, qui n’y connaît rien en sport, et je lui ai dit : « J’ai trouvé la Coupe du monde ! J’ai trouvé la Coupe du monde ! » » À la Gypsy Hill Police Station de Crystal Palace où il se rend, on le pense d’abord coupable du vol. Il est longuement interrogé et finalement disculpé : le jour du rapt, il a un alibi. L’objet retrouvé dans un parc du Sud de Londres est bel et bien identifié comme étant le fameux trophée Jules Rimet.
Happy end… et malheurs à la chaîne
L’enquête se poursuit pour essayer de démasquer le ou les auteurs du vol, mais on ne saura finalement jamais comment le trophée s’est retrouvé dans ce parc, emballé dans du papier journal. Frustration du côté de Scotland Yard, soulagement du côté des organisateurs de la Coupe du monde et joie du côté de David Corbett, qui reçoit au total une récompense de 6 000 livres. Il est également invité avec son chien Pickles à la cérémonie de victoire de l’Angleterre, le 30 juillet face à l’Allemagne de l’Ouest (4-2). Le gentil bâtard devient même un héros national l’espace de quelques mois. Une célébrité de courte durée : il meurt accidentellement dès 1967, s’étranglant avec sa propre laisse en voulant poursuivre un chat. Une sorte de malédiction entoure d’ailleurs cette fameuse histoire de vol de trophée. Le président de la Fédération Joe Mears, celui-là même qui avait reçu le coup de fil anonyme, meurt dès le 30 juin 1966 à 61 ans. La cause ? Une attaque cardiaque provoquée par un trop plein de stress lié aux dernières semaines, concluent les médecins. Le mythomane Edward Betchley disparaît lui aussi prématurément à 49 ans d’un emphysème, après avoir fait un peu de prison. Quant au trophée Jules Rimet, il est encore volé, et définitivement cette fois, le 19 décembre 1983 au siège de la Fédération brésilienne de football à Rio, où il était exposé (le trophée à la déesse Niké était propriété permanente du Brésil depuis la Coupe du monde 1970, l’actuel trophée doré avec le ballon signé de l’artiste italien Silvio Gazzaniga le remplaçant à partir de l’édition 1974). Protégé par une vitre pare-balle, il a été subtilisé en forçant l’arrière de la cage en bois, au pied de biche. Quatre hommes d’une favela de la ville seront arrêtés et condamnés, mais jamais on ne retrouvera le trophée, qui a probablement été fondu peu après le vol. Du trophée Jules Rimet, ne reste donc plus aujourd’hui que la réplique fabriquée à la hâte en ce 20 mars 1966 et exposé au National Football Museum de Preston. Espérons-le sous bonne garde cette fois.
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