- Rétro
- Les 20 ans du drame de Furiani
Furiani, 20 ans après, le combat continue
20 ans après la tragédie du 5 mai 1992, qui avait vu une tribune du stade Furiani s'effondrer, un collectif continue de se battre pour qu'on n'oublie jamais cette date.
« Et soudain, 20h20. » Le 5 mai 1992, une tribune de 10 000 places, installée à la hâte la semaine précédente, s’écroule comme un château de cartes à Furiani, juste avant la demi-finale de la Coupe de France entre le Sporting Club de Bastia et l’Olympique de Marseille. Le bilan est catastrophique. 18 personnes décèdent et plus de 2 000 sont blessées. Des scènes apocalyptiques visibles en direct à la télévision. Si des millions de Français sont choqués par ces images, le peuple corse est touché au coeur. Habitant à Bordeaux au moment du drame, Olivier, un des responsables de Bastia 1905, le principal groupe de supporters bastiais, se rappelle : « Je me souviens, j’étais à table devant ma télévision. 20h20, c’était quelque chose… Comme tout le monde se connaît sur l’île, tu aperçois rapidement un visage familier. Et tu te sens impuissant devant ta télé. Ne pas être présent physiquement, c’est quelque chose de terrible, quelque chose de très dur… »
Vingt ans après, la douleur est toujours aussi vive. Un procès en 1994, toujours considéré comme « une insulte » pour les familles des victimes (seule une personne sera condamnée à de la prison ferme pour homicides et blessures involontaires), et une promesse non-tenue pendant des années de ne plus disputer de match pro un 5 mai en France ont poussé les supporters bastiais à se mobiliser en masse pour ce vingtième « anniversaire » .
Pétition
Il y a un an, Lauda Guidicelli (dont le papa est décédé lors du drame de Furiani) apprend que l’édition 2012 de la finale de la Coupe de France est programmée le… 5 mai ! Immédiatement, sa sœur Josepha (accompagnée de plusieurs amis et membres de la famille) commence à écrire des courriers à la Fédération française de football et au Ministère des Sports. « Très rapidement, on a pu obtenir le report de la finale. Mais, dans la foulée, la Ligue de football professionnel a planifié une journée de Ligue 1 à la place. Du coup, on a de nouveau écrit des lettres à la LFP et au Ministère des Sports. » Devant l’absence de réponse, le « collectif du 5 mai » décide de monter une pétition* sur Internet.
En une semaine, 10 000 personnes ont déjà signé. Du côté des supporters, le projet séduit rapidement. « Nous avons toujours commémoré à notre manière le drame de Furiani. Et dans le courant de l’hiver, on a vu cette pétition sortir un peu de nulle part. Après renseignements, on a su que c’étaient les filles d’un journaliste décédé lors du drame. Le groupe a appuyé la démarche, primordiale et importante, et essayé d’apporter sa pierre à l’édifice. On est plus un groupe de terrain qu’un groupe de communication. Alors on a essayé de relayer la pétition, on a fait les banderoles « Pas de match le 5 mai » ,un battage médiatique pour que la France n’oublie pas… » , explique Olivier de Bastia 1905.
Cinq minutes de silence
Le succès est au rendez-vous. Plusieurs journalistes, supporters et clubs français reprennent l’appel, les médias commencent à en parler et le « collectif du 5 mai » obtient une entrevue avec Jean-Pierre Louvel, président du Havre et de l’UCPF (Union patronale des Clubs Professionnelle de Football). « Au début, il était farouchement opposé à la demande que l’on avait formulée dans la pétition. Pour lui, il fallait jouer le 5 mai avec une minute de silence et un brassard noir. Et après l’avoir rencontré, lui avoir expliqué pourquoi on faisait ça, il s’est rendu compte qu’un fossé s’était creusé entre les victimes de Furiani et les instances du football. Il n’avait pas pris la teneur de ce qu’on pouvait ressentir… » , assure Lauda Guidicelli. Quelques temps après, c’est au tour de Noël Le Graët de recevoir le collectif à Paris. Et le verdict tombe : pas de match le 5 mai. Une surprise ? Pas tant que ça. « On ne voyait pas d’autres issues parce qu’on s’est vraiment investis, et je ne parle pas que de Bastia 1905, là-dedans et c’était inconcevable pour nous qu’il y ait un match le 5 mai. Donc pas vraiment une surprise, mais plutôt l’aboutissement d’une volonté légitime » , raconte Olivier.
A l’occasion du match Bastia – Metz de mardi dernier, tous les supporters bastiais ont rendu un hommage absolument exceptionnel aux victimes de ce drame. Cinq minutes de silence avant l’entrée des joueurs. Poignant, très « émouvant » pour Lauda Guidicelli, et qui continuera jusqu’à la minute de silence officielle. Pour Olivier aussi, c’est « beaucoup d’émotion » . « De nombreuses personnes ont eu les larmes aux yeux ou même pleuré. Au-delà du silence, je crois que tous les présents avaient une pensée pour ce drame » , poursuit le responsable de Bastia 1905.
« C’est quelque chose qui fait partie de notre histoire »
Mais au-delà de l’hommage, les Corses savent que le combat n’est pas terminé. Car si aucun match ne va se dérouler aujourd’hui en France, le « collectif du 5 mai » n’a aucune assurance concernant les dates futures: « On espère vraiment. Des promesses faites il y a vingt ans n’ont jamais été tenues. Donc là, je pense que les instances du football devraient un peu redorer leur image et sacraliser ce 5 mai. Sur les 38 années à venir, il y a que 8 dates où il peut potentiellement y avoir un match de foot le 5 mai. On espère qu’ils vont comprendre qu’on a besoin de ce jour pour se recueillir… A l’heure actuelle, on nous dit qu’il y a des problèmes avec le calendrier et que nous rajouterions une contrainte. »
Quoi qu’il en soit, Bastia et la Corse, eux, n’oublieront jamais. Olivier : « Il y a toujours eu un devoir de mémoire à travers ce drame. L’ensemble des supporters a inculqué aux jeunes le drame de Furiani qui est imprégné en nous. C’est quelque chose qui fait partie de notre histoire et qui le sera sans doute à jamais. On ne peut pas ne pas le savoir, ne pas être touché. Et la Corse est petite, on se connaît tous. On connaît facilement une famille qui a perdu un proche ce jour-là, quelqu’un qui est tombé. C’est vraiment marqué dans notre chair. »
Par Antoine Aubry