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Franco, Atléti et Real : mythes et réalités
Si la relation du général Franco avec le football alimente aujourd’hui encore les débats les plus enflammés, elle ne peut pas se réduire à son seul rapprochement du Real Madrid. Loin du petit club des pauvres de la capitale, l’Atlético aussi a servi aux desseins du dictateur.
Qu’on le veuille ou non, la politique et le football ont toujours été étroitement liés. De leurs nombreuses rencontres, on ne retient que les plus emblématiques. Celles qui ont changé l’histoire du sport et du pays concerné. Celles semblables au transfert du génie Alfredo Di Stéfano au Real Madrid, alors même qu’il avait déclaré vouloir jouer pour le FC Barcelone. Pour les Catalans, aucun doute n’est permis : le général Franco a tout fait pour que la légende rejoigne son club favori, son formidable outil de propagande qu’était la Maison-Blanche.
Depuis, le monde entier associe Los Merengues au dictateur, n’hésitant pas à faire de cette relation la seule que Franco ait jamais entretenue avec le monde du football. Parallèlement, le public a construit l’image d’un Atlético « pur » , représentant les classes pauvres de la capitale et souffrant d’une injustice chronique face au Real Madrid, club chouchouté par les élites. Pourtant, et comme c’est toujours le cas lorsqu’on parle d’histoire, les choses ne sont pas si simples. Pendant un temps, le général s’est aussi servi de l’Atlético et de ses succès pour affirmer une certaine idée de l’Espagne.
Guerre civile et fierté militaire
En 1903, des étudiants basques de Bilbao résidant à Madrid décident de créer un club de football parent de l’Athletic Bilbao. L’Athletic Club de Madrid est né. Le préfixe est le même, tout comme la couleur des maillots. Dans les années 1920, le club de Madrid prend ses distances avec son homologue basque et commence à glaner quelques trophées régionaux. Vainqueurs à trois reprises du Campeonato del Centro, ceux qui commencent à se faire connaître comme les Colchoneros se font un nom et sont invités à participer à la saison inaugurale de la Liga, en 1928. Commence alors une décennie compliquée pour le club, qui passe le plus clair de son temps à prendre l’ascenseur entre la première et la seconde division (relégation en 1930, promotion en 1934, relégation en 1936). La guerre civile espagnole donne toutefois au club de la capitale une opportunité inespérée : au début de la saison 1939-1940, le Real Oviedo est contraint de laisser sa place dans l’élite, ne disposant plus de stade dans lequel jouer (ce dernier avait été bombardé pendant les premières années du conflit).
Sauf que l’Athletic Madrid n’existe alors plus. La guerre civile a poussé le club à fusionner avec le Club Aviación Nacional, créé en 1939, qui représente l’armée de l’air espagnole. C’est à ce moment précis que le général Franco jette son dévolu sur ce club, l’Athletic Aviación de Madrid, qui devient, pendant un court laps de temps, le favori du nouveau gouvernement autoritaire. Il faut dire que la nouvelle équipe est composée majoritairement de « héros » de l’aviation civile, aussi victorieux sur les champs de bataille que sur les terrains. En 1939-1940, puis la saison suivante, les premiers protégés de Franco remportent à deux reprises le championnat espagnol. Franco semble enfin disposer d’un outil de propagande massif : un club qui écrase la concurrence comme lui le fait avec l’opposition. Seul bémol, le terme « Athletic » renvoie à la langue basque alors même que le général veut imposer le castillan comme seule langue valable. En 1947, le club abandonne donc son nom et le remplace par l’actuel : Club Atlético de Madrid. La même année, les Colchoneros écrasent le Real Madrid (5-0) au Metropolitano. De quoi garder les faveurs du dictateur un peu plus longtemps.
Dictateur footix
Plusieurs historiens et experts l’affirment, Franco n’était en réalité pas un grand fan de football. Son intérêt n’était que factice et lui permettait simplement de profiter de la cote de popularité de telle ou telle équipe. Difficile de capter l’attention du public sans les victoires et les trophées. En 1953, lorsque l’Atlético doit se séparer de son coach, Helenio Herrera, le club doit laisser passer le Real Madrid et le FC Barcelone devant lui dans la hiérarchie des clubs influents. Franco laisse alors son attachement de façade pour l’Atlético de côté et se montre plus enclin à apprécier les performances d’un des deux autres clubs. Seulement, le dictateur ne peut pas se lier aux Catalans du FC Barcelone, lui qui rêve d’une Espagne unie et ultra centralisée. C’est donc logiquement la Maison-Blanche qui commence à bénéficier des « faveurs » de Franco. Ce dernier est d’abord rapidement conforté dans son choix. Le Real remporte, entre 1955 et 1960, cinq titres de champion d’Europe et trois titres de champion national. Non seulement le club brille sur la scène nationale, mais il permet aussi à Franco de montrer au reste de l’Europe que l’Espagne brille partout.
Aujourd’hui encore, les traces du fascisme sont visibles à Madrid. Le Real Madrid a conservé son image de grand club favorisé par les élites, tandis que l’Atlético a bénéficié d’un revirement de situation pour devenir le petit club des classes pauvres. Plus personne ne parle de l’Atlético comme d’un ancien favori du régime fasciste. Pour beaucoup, et surtout pour les supporters du Rayo Vallecano, l’Atlético de Madrid usurpe son identité de « petit club » alors qu’il partage avec le Real Madrid une histoire et quelques soucis, notamment en tribunes (cris de singe envers Marcelo en février 2015, « puisse ton père mourir » entonné dans les travées du Vicente-Calderón à l’encontre du fils du défenseur, etc). Bref, il ne s’agit pas de discréditer l’Atlético, le Real ou un quelconque autre club. Il convient simplement de remettre l’histoire au cœur des débats, sans en omettre les petits détails. Ce soir, ce ne sont pas « le grand club des riches » et « le petit club des pauvres » qui s’affronteront, mais bien deux anciens outils, malgré eux, au service de la propagande de Franco.
Par Gabriel Cnudde