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Franck Ribéry, vu d’Allemagne
Critiqué en France, adulé en Allemagne: c’est la vie de Franck R. Une nouvelle fois impérial en Ligue des Champions avec le Bayern Munich, Ribéry montre de semaine en semaine qu’il est bien à même de porter le même titre que Franz Beckenbauer, quand il est mis six pieds sous terre dans son pays. Au fond, lui a l’air de s’en foutre, parce qu’outre-Rhin, il a trouvé ce dont il avait le plus besoin: de l’amour.
C’est une histoire que l’on connaît tous. L’histoire du mec qui adore faire la fête, adore s’amuser avec des gens qui l’aiment et qu’il aime. Seulement, le type habite encore chez ses parents. Et quand il rentre se coucher et qu’il se réveille le lendemain à 15 heures du matin, il arrive qu’il se fasse sermonner par sa maman: « Nan mais c’est à cette heure-ci que tu rentres? Où t’étais, encore? En train de faire n’importe quoi, hein? T’as cru que c’était un hôtel ici? Non, mais regarde toi, ça allait bien pour toi, et depuis quelque temps, tu as changé. Tu sors, tu rentres à pas d’heure, tu ne nous parles presque plus… Mais qu’est-ce qu’il t’arrive, enfin? »
Depuis quelques années, l’histoire entre Ribéry et la France, c’est un peu ça. A chaque fois qu’il apparaît dans les médias, il est décrié, détesté, moqué. C’est limite si certains n’ont pas envie de cracher sur leur télé rien qu’à sa vue. Mais que lui reproche-t-on au juste ? Ah oui, c’est vrai: le fameux combo Zahia/Knysna/claquettes/caprices en sélection/parler la France mal. On pourrait ajouter le fait qu’il s’appelle aussi Bilal suite à sa conversion à l’islam et qu’il ait ouvert un bar à chicha, quelque part, ça peut ne pas beaucoup plaire au téléspectateur qui n’y connaît rien, au mec qui pourrait s’extasier sur les commentaires de CJP devant son assiette de coquillettes et son poulet froid.
De la différence des mentalités
De l’autre côté du Rhin, c’est autre chose. Allemagne n’a pas mis beaucoup de temps à l’adopter suite à son arrivée en 2007 en Bavière. Que quelques mois, en fait. Le temps que Bild le renomme « Kaiser Franck » , n’en déplaise au « vrai » , Herr Beckenbauer. Très vite donc, Franck Ribéry et ses blagues à la con deviennent cultes. Son football aussi. « Ce n’est pas pour rien que Ribéry est le joueur préféré des supporters du Bayern. Il n’y a jamais de sifflets à son encontre; à chaque fois qu’il sort, c’est standing ovation pour lui » , explique Karlheinz Wild, journaliste à Kicker et qui suit le Bayern depuis deux bonnes décennies déjà. Si le joueur cartonne du côté de l’Allianz, c’est parce qu’il a trouvé un environnement qui lui convient parfaitement. Des fans qui l’aiment, donc, mais des dirigeants qui le chérissent également. « Il a le soutien d’Uli Hoeness, c’est très important. Hoeness est prêt à tout pour le défendre. Il l’a d’ailleurs défendu dans l’affaire Zahia » , dixit Wild.
Mais d’ailleurs, qu’est-ce qu’ils en pensent, les Allemands, de cette histoire? « Rien. Absolument rien. Cette affaire n’a jamais posé de problème ici » . Ah, d’accord. Donc en fait, si Ribéry est autant aimé en Allemagne, c’est parce qu’il remplit parfaitement son rôle, en fait. Il fait ce qu’on lui demande de faire: jouer au foot. Le reste importe peu. Ce qui renvoie à quelques clichés. On le sait, les Allemands, ce sont des Anglo-Saxons; donc, ce qu’ils demandent, c’est d’être performants, rien à faire de ce qu’une peut faire/être à l’extérieur. Les compétences priment avant tout. On parle ici d’un pays où un punk à l’ancienne avec sa crête, sa caisse de bière et son chien dirige des mecs en costard (véridique). On parle d’un pays où un mec qui détient le record du monde de piercings peut travailler tranquillement à la Deutsche Telekom.
En France, pays latin par excellence, la mentalité est tout autre: beaucoup de choses se jouent déjà au niveau de l’apparence. Sinon, comment expliquer que, lorsqu’on postule pour un job (ou même lorsqu’on bosse dans une branche qui ne l’exige pas forcément, mais que voulez-vous, il y a des codes), on doive se trimballer avec un costume trois-pièces dont la valeur représente la tranche mensuelle du salaire que l’on négocie en entretien? Et c’est peut-être ça, le vrai problème de Ribéry en France: sa gueule. C’est vrai que l’expression « beau gosse » n’est pas forcément adaptée à lui. C’est peut-être d’ailleurs pour ça qu’en 2006, sa belle histoire était en fait une façon de le prendre en pitié. Le mec qui vient d’un coin paumé dans le Nord et qui se retrouve à jouer au côté de Zidane, c’est trop mignon, il est sur son petit nuage, et tout le tintouin. Sauf que depuis, la « belle histoire » a tourné au vinaigre. On ne lui pardonne pas ses performances en équipe de France, on ne veut pas lui pardonner ses comportements extra-sportifs. C’est bien connu, à toutes les époques de l’histoire, le vilain a toujours eu tort. « Je trouve d’ailleurs ça extrêmement dégueulasse qu’on juge quelqu’un à son physique. D’ailleurs, regardez, Messi est moins beau que Ronaldo mais il sera toujours plus fort » , toujours Wild. Si on ajoute à ça les problèmes affectifs qu’ont les Français pour l’Allemagne…
Parce qu’il le rend bien
Beau ou pas beau, Ribéry, au fond, s’en tape. En Allemagne, plus précisément en Bavière (ce qui est complètement autre chose pour les Allemands), il a réussi à trouver des gens qui l’aiment. Des gens qui ne le jugent pas à son physique. Des gens qui ne jugent pas ses fautes d’allemand non plus. A vrai dire, là-bas, on s’en fout que le verbe soit à la fin de la subordonnée ou non. Tout ce qu’ils veulent, c’est qu’il joue bien. Et pour cela, les Allemands ont trouvé la solution: lui donner de l’amour. « C’est quelqu’un de très professionnel, déjà, qui sait qu’il doit bosser pour bien jouer, mais c’est également quelqu’un qui fonctionne beaucoup à l’affectif. Regardez, avec Van Gaal, c’était n’importe quoi à la fin. Depuis que Heynckes est là, Ribéry va mieux. D’ailleurs, il le rend bien » .
Grâce à tout cet amour qu’on lui donne, Ribéry, c’est 66 buts et 92 passes décisives en 179 matchs avec le Bayern, toutes compétitions confondues. « C’est l’un des meilleurs, sinon le meilleur joueur de Bundesliga. J’en ai vu passer des joueurs au Bayern, et il fait assurément partie des plus forts » , conclut Wild. Une fois de plus, l’expression « Nul n’est prophète en son pays » trouve tout son sens. Remarque, comme disait le bouquin d’Erich-Maria, « A l’Ouest, rien de nouveau » . Outre-Rhin, en revanche…
Par Ali Farhat, à Bonn