Quand as-tu découvert le Stade rennais ?
J’ai eu la chance, tout petit, d’aller voir des matchs en tribune de presse, avec mon père, Gilbert Bousquet. Je ne viens pas d’une famille de musiciens, je suis issu d’une famille de sportifs. Je suis donc le vilain petit canard qui est passé de l’autre côté, avec une guitare. Enfant, j’allais voir les matchs avec la femme du gardien de l’époque, Daniel Bernard. J’avais accès aux joueurs… C’était l’époque des tribunes en bois, au début des années 1970, avec une espèce de buvette qui sentait la Gitane Maïs. J’ai le Stade rennais dans le sang.
Quels sont tes souvenirs les plus marquants ?
J’ai des souvenirs de Laurent Pokou, mais je serais incapable de remettre les têtes ; ce sont plutôt des noms qui résonnent dans mon esprit. Le Rennes des années 1970, avec Hervé Guermeur, Alain Cosnard, Robert Rico. J’ai vécu l’époque où tu commences à faire du rock, en pleine période New Wave, Cold Wave. Je me cachais pour lire L’Équipe… Quand tu faisais de la musique, il ne fallait surtout pas aimer le foot, c’était le truc le plus ringard du monde ! Je suis assez content qu’il y ait aujourd’hui une espèce de revanche, avec des groupes qui revendiquent cette passion, qui disent : « J’adore le foot, je fais de la pop, du rock et je vous emmerde ! »
De qui étais-tu fan ?
J’étais fan des Cure et de Robert Smith, qui est lui-même un fan de foot, alors que la plupart des gens qui écoutaient les Cure détestaient le football : tu ne pouvais pas lire Baudelaire et aimer le foot. Dans cet univers, j’étais une espèce d’ovni. Aujourd’hui, c’est différent. Avec mes potes des Superets, on adore aller au stade ensemble.
Dans les années 1980, quels sont les joueurs dont tu te souviens le mieux ?
Mes vrais souvenirs datent du début des années 1980, l’époque où Rennes jonglait entre la D1 et la D2. J’ai des souvenirs de Van den Bogaert, un buteur hollandais qui nous avait fait monter en D1. Mais le souvenir le plus marquant, le plus imprégné, c’est vraiment cette buvette, du côté de la rivière, qui puait la Gitane Maïs, à l’époque où tout le monde fumait partout. Ça puait le pastis aussi. À chaque fois que je ressens cette odeur, mélangée, je repense à ces souvenirs d’enfance. C’est un peu ma madeleine.
C’est le portrait du Stade rennais d’avant François Pinault ?
Avant Pinault, c’était un Stade rennais qui monte et qui descend. C’était d’ailleurs la grosse blague des Nantais : « Qu’est-ce qui est rouge et noir, qui monte et qui descend : le Stade rennais. » On se faisait bien chambrer, puis on s’est vengés ensuite, pendant quelques années… avant que les Nantais ne remontent en Ligue 1.
Puis François Pinault est arrivé…
L’arrivée de Pinault coïncide avec l’élaboration du nouveau stade, et l’arrivée de Paul Le Guen en tant qu’entraîneur, après avoir mis un terme à sa carrière de joueur international. Dès lors, on a des joueurs internationaux qui arrivent à Rennes, comme François Omam-Biyik, qui plante des buts en Coupe du monde avec le Cameroun. Il y a aussi deux Suisses, Marco Grassi et Christophe Ohrel, qui jouent en équipe de Suisse, et qui participent eux aussi à la Coupe du monde. On sent que du pognon arrive dans le club, et que le club s’installe progressivement, tout en devenant un peu riche. Ce que nous n’étions vraiment pas avant.
Le Stade rennais, c’est la lose, et c’est ce que j’aime dans ce club.
Quand tu étais plus jeune, quels ont été les transferts les plus incroyables auxquels tu as pu assister ?
Dans mes années d’enfance, j’ai vu des trucs incroyables. On allait chercher un joueur israélien sur vidéo, soi-disant un super avant-centre. Sur place, le mec avait les pieds carrés. Face au but, il mettait le ballon 4 mètres à côté. Il y avait un Bulgare, aussi, qui devait fumer 4 paquets de clopes par jour. Le mec, recruté sur vidéo lui aussi, était une tanche ! Mais, en tant que supporter, j’ai toujours eu beaucoup de recul, ça me faisait trop rire. J’ai toujours aimé les losers, j’ai toujours eu vachement d’affection pour les mecs nuls.
Il y a aussi eu des joueurs qui ont flirté avec l’équipe de France…
J’ai le souvenir du fiasco Yannick Stopyra. Il était l’une des stars du moment mais, à Rennes, il n’en mettait pas une. On a eu plein de mecs comme ça qui sont arrivés sur le retour, comme François Grenier, qui n’était pas loin de l’équipe de France lui aussi, et qui ne mettait pas un pied devant l’autre. Pendant 10 ans, à Rennes, on a récupéré des joueurs comme ça. Comme Franck Gava, au début de l’ère Pinault. Le mec vient de Lyon, à l’époque où Lyon commençait à tout cartonner. Il était en équipe de France. En tout, il a joué un mois, avant de se blesser sérieusement. Il avait coûté une fortune au club. Rennes, c’est plein d’histoires de lose. C’est un club, tu peux lui mettre tout ce que tu veux, même de l’argent, jamais on gagne.
Comme en finale de Coupe de France, en 2009, contre Guingamp…
C’est l’exemple le plus représentatif. On joue Guingamp, et on se fait peigner. On marque à la 70e minute et, derrière, on se prend deux buts en 10 minutes. Au retour, la route Paris/Rennes ne m’a jamais parue aussi longue. Mais le Stade rennais, c’est la lose, et c’est ce que j’aime dans ce club. Je crois qu’on ne gagnera jamais rien, qu’on fera des exploits comme contre Paris l’année dernière, mais c’est tout.
Dans les gradins, tu es quel genre de supporter ?
Je participe à l’opération Tribune Rouge, pour que les gens chantent et mettent plus d’ambiance pendant les matchs. Je pars du principe que, même si notre équipe perd, ce n’est pas si grave. Pour ça, j’aime les stades anglais ou écossais, où les gens chantent, où on peut se prendre une raclée et se dire que ce n’est rien. On peut parfois être fier de perdre. Ce n’est pas nous qui jouons. Si les mecs ont pris une cuite la veille, moi je trouve ça drôle. À la limite, on peut les siffler à la fin de la rencontre, s’ils ont été vraiment minables, mais pas pendant le match.
Le Stade rennais 2013/2014, il te plaît beaucoup ?
Déjà, je suis super content qu’il y ait un entraîneur intelligent aux manettes. Frédéric Antonetti, c’est quand même un gros bourrin. Je préfère un mec comme Philippe Montanier. On se prendra des raclées mais, au moins, il y a un projet de jeu. Depuis le début de la saison, je suis les championnats sud-américains, et j’étais super content de voir arriver Silvio Romero dans le club. Le gars arrive de Lanús. Pour un club comme Rennes, qui l’a toujours dans le cul, je trouve ça pas mal. Il n’y a que Rennes pour recruter un mec qui vient de Lanús. J’aime les Argentins, j’aime ce pays, ils ont la grinta, ils se mettent par terre. Le mec peut gagner 1 million d’euros par mois, il va se battre comme un chiffonnier sur le terrain. Je suis super content de voir un Argentin évoluer à Rennes. J’aime cette vision du foot. Tu verras jamais ces mecs tricher. Un Argentin, ça ne triche pas ; un Uruguayen, ça ne triche pas non plus, ça joue.
EXPØ, ep EXPØ-øn, disponible (Last Exit Records)
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