- Les 25 ans de Ferguson à Manchester United
Et Ferguson révolutionna Manchester
Ce n’est plus un exploit, c’est un cas unique : ce samedi, Alex Ferguson fête ses vingt-cinq ans sur le banc de Manchester United. Une saga qui tient à la fois du miracle et de l’évidence.
Beaucoup cherchent encore l’acte de naissance mancunien de celui qui deviendra sir Alex Ferguson. Ici, la victoire en FA Cup en 1990. Là, le premier titre de champion de son Manchester United en 1993. Mais au vrai, le jour qui a peut-être, plus que tout autre, scellé la destinée hors-norme de l’Ecossais à MU est le 8 avril 1990 lors d’un match où son équipe ne jouait même pas. En demi-finale de la Coupe d’Angleterre, Liverpool, l’ogre absolu de cette époque, en route vers un dix-huitième titre tellement tranquille qu’il en annonce une palanquée d’autres, affronte le futur relégué Crystal Palace pour ce qui s’annonce comme une simple formalité sur la route d’un doublé aussi rare outre-Manche qu’inéluctable pour ces Reds plus Mighty que jamais. Pourtant, à la surprise générale, Steve McMahon et ses potes se plantent incroyablement dans un match totalement dingue perdu 3-4 face à une bande de tâcherons où on note malgré tout la présence d’un buteur prometteur, un certain Ian Wright. Toujours est-il que devant son poste, Ferguson lâche un immense soupir de soulagement.
Laborieux quinzièmes du Championnat d’Angleterre (qui ne s’appelle pas encore la Premier League), les Red Devils doivent absolument arracher un trophée pour sauver la tête de leur entraîneur qui n’a rien réussi de bon depuis son arrivée un soir de novembre 1986 pour remplacer au pied levé Ron Atkinson. Forcément, pour cette ultime chance de sauver la mise, Manchester United a bien plus de chances face à Palace que face à Liverpool dont il est devenu la chose au cours de ces années 80 désastreuses pour les Diables Rouges et invariablement fastes pour l’ennemi rouge. Oui, si Liverpool n’avait pas déconné plein pot ce 8 avril, il aurait probablement enlevé une nouvelle Cup et fait prendre la porte à Ferguson histoire qu’il ait tout le temps de regarder d’en bas le putain de perchoir des Reds d’où l’Ecossais avait promis de les faire descendre. Tout aurait été alors différent. Pour Liverpool, comme pour Manchester…
Longtemps impérial en Angleterre, navrant en Europe
C’est fou comme un destin tient parfois à pas grand-chose. Car derrière, c’est peu de dire que Fergie a enchaîné, mais par étape toujours, à l’exception notable de cette Coupe des vainqueurs de coupe 1991 (face à Barcelone 2-1) enlevée dans la foulée de son succès miraculeux en Cup. Une exception car avant de conquérir l’Europe, Ferguson aura d’abord dû dompter l’Angleterre. En 1992, MU rate de peu le coche face à Leeds mais on pressent que ce n’est qu’une question de temps. Déjà parce que son escouade commence à avoir une vraie gueule autour d’un Bryan « Captain Marvel » Robson vieillissant mais toujours vaillant. Ensuite parce que, déjà doté d’un flair hors-norme, Ferguson arrache Eric Cantona à son bourreau. Enfin parce que, pas mal servi par la chance après plusieurs années de déveine, Fergie n’a pas plus à affronter la concurrence de Liverpool, Arsenal ou Everton, les top teams de la décennie précédente, soudain sur le déclin.
Le titre de 1993 est à la fois un aboutissement et un départ. Car il sonne le glas de la génération Robson, l’arrivée de Roy Keane la saison suivante résonnant comme un passage de témoin évident. Mais dans les pas de Ryan Giggs, il annonce une nouvelle ère : celle où MU va installer une dynastie avec ossature de plus en plus « faite maison ». Chaperonné par Keane, inspiré par Cantona, les Beckham, Scholes, Neville et autres se pointent comme la génération peut-être la plus exceptionnelle jamais produite par un club anglais. Mais si MU défonce aux quatre coins du royaume, il n’est qu’un agitateur mal dégrossi sur le continent. Une proie presque facile tant les Fergies’ Boys sont touchants de naïveté. A cette époque la Premier League est une compétition aussi spectaculaire qu’archaïque sur le plan tactique, la plupart des équipes faisant dans le sommaire pour ne pas dire le primaire. Et fatalement, MU accuse quelques classes de retard quand il fait connaissance avec le cynisme continental qui le fesse systématiquement. Jusqu’à la victoire miraculeuse en finale de Ligue des champions 1999 face au Bayern. Tellement miraculeuse que jamais plus cette génération emmenée par Keano ne sera en position de bisser leur exploit.
Une perte de foi et ça repart !
Banalisant les titres en Angleterre mais régulièrement en échec en C1 depuis leur succès insensé dans les arrêts de jeu de la finale de Barcelone, Ferguson perd la foi en même temps que son équipe commence à perdre son identité. L’Ecossais annonce même sa retraite imminente en 2002 avant d’être reboosté par son épouse Cathy qui ne veut tellement pas entendre causer ballon à la maison qu’elle pousse son coach de mari à rester dans le circuit. Pourtant, le mentor mancunien est face à un drôle de défi. Car Roy Keane approche de la fin et la génération Beckham n’a pas d’héritière au sein de l’Academy. Alors que Ferguson n’a plus sous la main, il va aller le chercher ailleurs, en allant racketter d’autres nurseries comme celle du Sporting (Cristiano Ronaldo) ou Everton (Wayne Rooney). Avec ses deux prodiges, guidés par Giggs et Scholes en gardiens du temple, MU retrouve une équipe capable de regarder l’Europe droit dans les yeux, même si, comme pour la première épopée, il faut se prendre quelques leçons comme face à Milan en 2007. Avant de toucher encore le Graal, là encore au miracle, tout droit sorti des crampons mal vissés de John Terry qui dérape sur le tir au but décisif pour trouver le poteau lors de la finale à Moscou face à Chelsea en 2008.
Mais au fond, on ne sait pas ce qui est le plus miraculeux : les deux succès « impossibles » en Champions’ ou bien cette foi incroyable de Ferguson dans sa capacité à repartir au combat, à se réinventer tactiquement lui qu’on a longtemps pris pour meneur d’hommes exceptionnel mais stratège faiblard, à avoir retrouvé un équilibre savant entre des anciens, de jeunes stars venues d’ailleurs (Nani, Chicharrito, Young) et une production locale de nouveau à la hauteur (Smalling, Cleverley…), à relever tous les défis, du grand Liverpool au Chelsea d’Abramovitch, en passant par l’Invincible Arsenal, et même de continuer à croire que faire chuter le Barça est dans ses cordes après deux authentiques leçon de football. Et surtout de sourire au moindre pion de son équipe, fut-il marqué en Carling Cup. Comme s’il s’appliquait à lui-même plus qu’à n’importe qui d’autres cette ultime sentence avant chaque match : « Enjoy the game » . Et ça fait un quart de siècle à Manchester que ça dure.
Par Dave Appadoo