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« Domenech m’a fait jouer un an latéral droit alors que j’étais attaquant »
Ce soir, Saint-Étienne affronte le FC Bâle en Ligue Europa. L'occasion de prendre des nouvelles d'un ancien des deux équipes : Nestor Subiat. Hyperactif, celui qui a connu trois nationalités cumule aujourd'hui trois boulots. Pour trois passions : le foot, les voyages et le vin.
Bonjour Nestor, alors qu’est-ce que vous devenez maintenant ?J’ai trois activités. Depuis quelque temps maintenant, j’ai monté mon entreprise. J’organise des voyages en Argentine autour de la gastronomie et du vin. Des fois, souvent même, je pars moi-même faire le guide pour certains groupes. Je suis rentré d’Argentine il y a quinze jours, là. J’ai encore de la famille là-bas. Ma femme tient une agence de voyages. Donc en gros, moi, je conçois les voyages en Argentine, et elle, elle les vend. Ensuite, depuis trois mois, je travaille aussi pour un grossiste de vin. J’ai ma petite clientèle que je vais voir tous les jours à travers la Suisse pour leur vendre du vin italien, français ou suisse. Je vends à des professionnels, des hôtels et des restaurants. Et puis le mercredi et le vendredi, c’est le football pour moi. Je suis entraîneur des attaquants, dans le staff de Fabio Celestini, à Lausanne. J’y vais deux fois par semaine. Mon rôle, c’est plus du coaching avec les pros, je ne leur apprends pas à shooter (rires). C’est plus un rôle de conseiller, de motivation, je suis très pote avec eux en fait.
Vous le connaissiez avant, Fabio Celestini ?Bien sûr, je le connaissais déjà de l’époque où j’étais joueur. On a joué l’un contre l’autre, jamais ensemble. On s’est un peu croisés en équipe nationale, car il est plus jeune, il a dix ans de moins que moi. Quand je suis rentré en Suisse il y a un an et demi, le président et Fabio m’ont contacté pour que j’apporte ma pierre à l’édifice en entraînant les attaquants. Tout simple. Et une fois par semaine, je m’occupe du football élite des U15, ici.
Avant d’être suisse, vous avez été argentin, puis français.Oui, je suis né en Argentine, j’étais encore argentin jusqu’à mes 16 ans. J’avais sept ans quand je suis arrivé en France. J’ai suivi mon père qui était footballeur professionnel. Il est venu jouer à Sochaux quelque temps, avant de finir sa carrière à Mulhouse. Du coup, on était installés là-bas, et j’ai commencé à jouer à Mulhouse tout de suite. J’ai fait toutes mes gammes là-bas, le sport étude, le centre de formation. Et puis, Raymond Domenech m’a fait démarrer avec l’équipe première dès mes 18 ans.
Vous avez commencé défenseur avant d’être avant-centre, c’est ça ?C’est vrai, mais seulement en pro. Domenech m’a fait débuter les deux ou trois premiers matchs au milieu de terrain, et ensuite il a voulu faire de moi un arrière latéral droit et j’ai joué une saison et demie à ce poste. Mais j’ai toujours eu l’âme d’un attaquant, j’étais très porté vers l’avant. J’ai toujours été attaquant de formation, même si quand on est jeunes, on joue un peu partout. Et puis, j’étais un joueur assez complet, capable de jouer à tous les postes, sauf dans les buts peut-être. Et puis, ce qu’il s’est passé, c’est que je ne jouais plus en tant qu’arrière latéral. Claude Fichaux, Dieu le bénisse (rires), l’adjoint de Rudi Garcia maintenant, m’a piqué ma place. C’était un très grand défenseur, j’ai joué avec lui à Mulhouse donc, mais aussi à Saint-Étienne. C’est devenu un très bon ami. Bref, je ne jouais plus, mais de toute façon je n’aimais pas ce poste, j’y ai toujours joué à contre-cœur.
Et comment vous devenez l’attaquant de l’équipe première ?Il arrive un moment où il n’y a plus d’attaquant en équipe première. Je dis à Domenech de me tester, parce que je cartonne avec la réserve en pointe. C’est Georges Prost, un très grand formateur qui est passé par Lyon, Marseille et l’Angleterre, qui m’a lancé en tant qu’attaquant en réserve. Premier match, j’avais marqué au bout de cinq minutes, et puis j’ai enchaîné. Je marquais tout le temps, pendant que l’équipe première ne marquait jamais. Au bout d’un moment, Domenech s’est décidé à me tester à ce poste, il a été un peu forcé. Mais attention, ce n’est pas son idée, il ne faut pas lui en attribuer le mérite (rires). En revanche, après, une fois que j’étais installé, il m’a toujours défendu devant les journalistes aux moments où je ne marquais pas. Je n’ai plus jamais quitté ce poste.
Après Mulhouse, il y a un court passage à Strasbourg, et puis c’est le grand départ pour la Suisse…Oui, à Lugano. La Suisse, c’est vraiment le pays où j’ai pris le plus de plaisir footballistiquement, plus qu’en France. J’y ai trouvé la considération. Et les titres. Dès que j’arrive à Lugano, on gagne la Coupe de Suisse en 1993. C’est une saison où j’ai beaucoup marqué, j’en plante deux en finale d’ailleurs. Du coup, on a commencé à jouer la Coupe d’Europe. J’ai été naturalisé suisse dans la foulée, parce que j’étais marié à une Suissesse. Je m’y sentais très, très bien.
Vous étiez déjà marié avec elle avant de partir en Suisse ?Bien sûr. Ah non, non, non, je te vois venir toi, ce n’était pas un mariage arrangé, hein (rires) ! Je suis avec elle depuis maintenant 28 ans, depuis 5 ans quand j’arrive jouer en Suisse. Il ne me fallait plus qu’une année de mariage pour pouvoir obtenir la nationalité suisse. Donc un an après mon arrivée, j’ai été naturalisé.
Revenons à Lugano où vous jouez la Coupe d’Europe. Quel souvenir vous en gardez ?Contre le Real Madrid, c’est mon plus grand souvenir. Et puis, j’ai eu le bonheur de marquer contre eux. Quelle joie ! Mais bon, le but de Fernando Hierro est un petit peu plus beau que le mien (rires). À la fin de cette saison-là, je suis élu meilleur joueur du pays par mes pairs. Je suis sélectionné avec l’équipe nationale par Roy Hodgson et je pars faire la Coupe du monde aux États-Unis en 1994. C’était magique, un rêve qui se réalise pour tout joueur de football. L’ambiance était fantastique, les stades pleins, c’était une ambiance bon enfant, fair-play. En plus, on a fait un beau parcours puisqu’on arrive jusqu’en huitièmes de finale. Le plus grand moment de ma carrière, à coup sûr.
Avant le Mondial, vous signez au Grasshopper. C’est encore un palier de franchi, non ?Clairement. C’était la grosse équipe dominante. En quatre ans là-bas, on a été trois champions, j’ai joué deux fois la Ligue des champions. On a battu Auxerre, le champion de France. Ma première saison là-bas, c’était le top de ma carrière. J’avais 28 ans, j’avais la maturité. Je faisais tout ce qu’il fallait, je faisais attention à tout, à ne pas trop sortir, à ne pas dire trop de conneries dans la presse (rires).
On voit où vous voulez en venir…Ouais, ça me fout en l’air de voir des trucs comme ça. Sincèrement, mais quel abruti ce Serge Aurier, il n’y a pas d’autres mots. Connaissant Laurent Blanc, je ne sais pas ce que je ferais à sa place. Cette génération-là, sincèrement, elle n’a pas inventé l’eau chaude. Je n’arrive pas à comprendre ce genre de trucs. Ça montre un peu le manque de respect latent de cette génération. Ça fait du mal au football français, tout le monde les prend pour des abrutis. Peut-être qu’ils ne le sont pas, mais ils font tout pour qu’on le croit. Même moi, en tant qu’ancien footballeur, j’ai un peu honte. Les gens me voient et me disent « dis donc, vous les footballeurs, regardez-vous » . C’est la honte.
Vous trouvez que c’est un mal français, ou il y a la même chose en Suisse ?On n’a pas trop ce genre de soucis pour l’instant. Le Suisse est assez poli, bien éduqué, plus tranquille. Il y a moins de dérapages. J’ai l’impression, et c’est personnel, que les footballeurs français ont tendance à se la raconter. Aurier, même s’il joue pour la Côte d’Ivoire, on peut le considérer comme un joueur français vu qu’il a grandi en France, qu’il y vit et qu’il y joue. Dans sa vidéo, ce qu’il fait, c’est juste qu’il veut se la raconter. Mais c’est tellement naïf. Pour moi, c’est un abruti, je suis désolé… Je ne veux pas être méchant, mais bon, je ne veux pas être celui qui crache dans le dos. Si j’avais la chance de le croiser, je lui dirais en face. Et puis, c’est un mauvais exemple pour les jeunes. Je ne suis pas vraiment partisan du devoir d’exemplarité des footballeurs, mais rien que mardi, j’entraînais les petits de 14 ans, ils m’en ont parlé. Et moi, je dois expliquer ça ? Je dois débattre avec eux là-dessus ? C’est pas possible. Mais c’est pas un cas isolé, plein de joueurs sont arrogants par exemple, comme Ronaldo. Va expliquer aux jeunes qu’il ne faut pas être comme ça, alors que les mecs sont les meilleurs joueurs du monde. Bref, ça m’énerve. Je suis parti en couilles, là non ? (rires)
On revient sur votre parcours. Vous partez au FC Bâle, c’est ce qui se fait de mieux en Suisse ?Je pars après quatre ans, car je reviens d’une blessure et je veux retrouver du temps de jeu. Le club est devenu ce qu’il est maintenant bien plus tard. À mon époque, c’était Grasshopper qui dominait tout. Je n’ai fait qu’un an là-bas, c’était sympa, mais sans plus. Mais c’est vrai qu’aujourd’hui, le FC Bâle, c’est un peu le PSG du championnat suisse. Il n’y a pas photo au niveau qualité de joueurs, et au niveau financier. Si Bâle ne déconne pas, ils sont toujours champions.
Après six ans en Suisse, vous revenez en France, à Saint-Étienne. Pourquoi ?Parce que j’avais envie de revenir pour mes enfants. Je pensais que mon futur était en France. Avant de signer à Saint-Étienne, j’avais acheté une maison d’hôte à Vaison-la-Romaine, dans le Sud, et j’avais programmé de m’y installer. J’avais 32 ans, j’avais signé un contrat de deux ans que je voulais remplir, et puis pourquoi pas faire une dernière année dans un club du Sud de la France. C’était mon plan. Je voulais de la stabilité pour ma famille : le Sud, la France, le soleil. Et puis, je sentais qu’à Saint-Étienne, ça pouvait repartir comme en 40. Et c’est même reparti comme en 50 (rires) ! J’ai vécu une première saison extraordinaire avec la remontée. On a vécu quelque chose de très fort, je garde encore beaucoup de contacts avec mes anciens coéquipiers. On a fait revenir les gens au stade. Je me rappelle une semaine où on avait joué trois fois à domicile, il y avait 30 000 personnes à chaque fois. On était une équipe de combattants, ça mouillait le maillot. Et ça a marché.
Vous dîtes que vous vouliez vous installer en France. Pourtant, après votre contrat de deux ans, vous repartez en Suisse, à Genève…En fait, la première année à Saint-Étienne, j’avais ma famille avec moi. Et la deuxième année, pendant huit mois, j’étais tout seul quand on est remontés en première division. Ma femme et mes enfants, pour qui je voulais de la stabilité, se sont installés à Vaison-la-Romaine. Moi, je faisais énormément d’allers-retours dans la semaine. À la fin de mon contrat, je suis donc allé les rejoindre pour arrêter tout ça. J’avais quelques propositions de Nîmes ou Istres, mais à 34 ans, je n’avais plus aucune valeur marchande. Et finalement, ils ont préféré prendre des jeunes. J’ai senti que j’étais bloqué. Et du coup, j’ai eu des propositions du pays qui m’a tout donné : la Suisse. Donc j’ai signé à Genève, à l’Étoile-Carouge, puis à Lucerne. C’était une sorte de jubilé pendant un an à Lucerne. Et puis, je me suis enfin décidé à arrêter. Parce que là, pareil, j’y suis allé tout seul là-bas. J’étais fatigué, usé. Il était temps d’arrêter.
Et là, vous avez enfin pu vivre en France ?Oui, à Vaison-la-Romaine, pendant 15 ans. J’ai enfin réussi à m’y installer définitivement, au bout de trois ans à tourner autour (rires). Je me suis reconverti, j’ai passé mes diplômes d’entraîneur. Je me suis aussi reconverti dans l’organisation sportive, j’organisais des camps d’entraînement, des stages de foot dans le Sud. Et puis après quelques années, j’ai complètement changé et je me suis lancé dans le vin et les voyages, mes passions. Sauf que je me suis rendu compte que je vivais en France et que je travaillais beaucoup en Suisse, finalement. Et puis, la morosité ambiante en France ces dernières années m’a poussé à retourner en Suisse. Par exemple, je voulais ouvrir mon agence de voyages en France, et on me l’a refusé. Ma femme, qui est formatrice en créativité, on lui a refusé deux fois le numéro d’agrément. Je remets en cause l’administration française. Du coup, on est repartis en Suisse, à Lausanne. En 15 jours, on a obtenu tout ce qu’il fallait, et en un mois, ma boîte était montée.
Pour conclure, vous voyez quoi pour ce match entre Bâle et Saint-Étienne ?Ce sont deux clubs que j’aime bien, mais j’ai une préférence pour Sainté. J’adore les Verts, j’adore les gens de la Loire, j’ai encore beaucoup d’amis là-bas, je n’ai que des beaux souvenirs. Malheureusement, je n’ai pas trop le temps d’y aller. Bâle, je ne suis resté que six mois, mais mon père est recruteur pour les jeunes là-bas. J’espère quand même que les Verts vont gagner. Après, d’un point de vue objectif, je ne saurais pas dire qui va se qualifier, c’est du 50-50. Bâle est une très bonne équipe. Même si Saint-Étienne est en bonne forme, il va falloir s’accrocher, surtout au retour.
Propos recueillis par Kévin Charnay