- Rétro
- Ce jour-là
Chapman Forever
Herbert Chapman aurait inventé le WM et suggéré le premier la création d'une coupe d'Europe des clubs. Il fut surtout le grand bâtisseur du Arsenal qui domina les années 30. Quand il décéda brutalement le 6 janvier 1934, les Gunners pouvaient fonctionner en pilote-automatique, en suivant le chemin que le mythique manager avait tracé.
Depuis début décembre, trois statues escortent le pas des supporters se rendant à l’Emirates Stadium. Deux sacralisent des références contemporaines : Tony Adams et Thierry Henry. La troisième rend hommage à un petit homme trapu, ventre en avant et regard fixé vers l’horizon : Herbert Chapman, manager d’Arsenal de 1925 à 1934. Un « visionnaire » , selon Arsène Wenger. Celui qui a fait des Gunners ce qu’ils sont aujourd’hui. Autrement dit, le troisième club le plus titré d’Angleterre.
Pour le monde, Herbert Chapman est passé à la postérité pour être l’inventeur du WM. En 1925, la FA, préoccupée par l’usage abusif du piège du hors-jeu, décide d’apporter une modification au règlement. Jusqu’alors, un attaquant était considéré en position illicite quand il n’avait plus que trois adversaires face à lui au moment de la réception du ballon. De trois, la FA décide de passer à deux afin d’offrir un champ d’action plus étendu aux joueurs à vocation offensive. Qui dit changement, dit adaptation. Alors, pour maîtriser cette nouvelle réalité, les entraîneurs dégainent de nouveaux systèmes. C’est le cas d’Herbert Chapman, qui va finir par miser sur le WM (3-2-5, ou 3-4-3, si l’on considère les intérieurs comme des milieux). Jusqu’alors, les équipes s’organisaient, en règle générale, en 2-3-5.
Plan quinquennal
Désormais, le milieu axial à vocation défensive se coordonne avec le défenseur central pour fixer la ligne de hors-jeu, ce qui permet aux arrières latéraux de devenir de véritables acteurs du jeu offensif, ou plutôt d’en constituer la pompe d’amorçage. Quand la règle du hors-jeu est modifiée, Chapman venait de quitter Huddersfield Town, avec qui il avait remporté deux championnats et une FA Cup. C’est au lendemain d’une raclée reçue à Newcastle (7-0), club qui avait déjà fait son aggiornamento tactique, que le néo-manager des Gunners décida d’opter pour le WM. Outre Newcastle, les archives de la presse britannique référencent d’autres clubs anglais adeptes de ce système innovant, bien avant Arsenal.
Alors pourquoi Chapman est-il encore considéré comme l’inventeur du système ? Sans doute car il l’a mieux fait fonctionner que personne. En débarquant à Londres, le manager avait annoncé un plan quinquennal pour faire d’Arsenal, club populaire mais habitué à végéter en queue de classement, une équipe compétitive. En 1930, soit exactement cinq ans après sa (re)prise en main, Chapman donnait son premier trophée majeur aux Gunners, une FA Cup. Suivront deux titres de champion, en 1931 et 1933.
Arsenal lui doit ses couleurs
Au-delà du WM et des doutes sur l’identité de son créateur, Chapman marqua son époque par son esprit visionnaire, dès son arrivée sur le banc de Northampton, en 1907. Ce fils de mineur portait alors une double casquette d’entraîneur-joueur. Au moment de l’avant Grande Guerre, le foot se trouve encore à son ère primitive, mais Chapman insiste déjà sur les vertus de l’organisation tactique. Il fait aussi de la condition physique de ses joueurs, une priorité. A Leeds, qu’il rejoint en 1912, il commence à travailler avec un physiothérapeute. Pour Chapman, la défense se doit d’être en béton, les joueurs de couloir fonctionner comme de véritables pistons, et la contre-attaque être considérée comme l’opportunité la plus avantageuse pour faire trembler les filets adverses. Un style hermétique, direct, et surtout, efficace.
Considéré comme l’un des premiers véritables managers, Chapman impose ses principes de jeu à l’ensemble du club, jusqu’aux catégories inférieures. Il s’occupe aussi des transferts, où son oeil sagace lui fait dénicher de jeunes perles ou le conduit à relancer de vieilles gloires, comme l’international anglais, Charlie Buchan, qui lui aurait soufflé l’idée d’un basculement vers le WM. A Arsenal, celui qui avait défendu les couleurs de Tottenham comme joueur n’apporta pas seulement ses premiers trophées, il donna au club son identité visuelle définitive. Pour que ses joueurs se distinguent plus facilement de l’adversaire sur le terrain, il décida d’ajouter des liserés blancs à l’équipement rouge des Gunners. Grand régisseur du club londonien, cet ingénieur de formation va jusqu’à dessiner le profil du tableau d’affichage d’Highbury. Si la station de métro qui menait au stade mythique des Cannoniers se nomme Arsenal, c’est aussi à Chapman que les Gunners le doivent, via une intervention devant le conseil municipal. Une statue lui rendait d’ailleurs déjà hommage devant l’ex-enceinte du club.
Trois titres de rang
Pionnier, Chapman fut à l’origine de la numérotation des maillots. Il fut aussi l’un des premiers à penser une compétition européenne entre clubs. Convaincus que l’Angleterre avait tout intérêt à ne pas se complaire dans son isolement, le manager affectionnait de faire jouer des matches de préparation à son équipe sur le continent. Il entretenait aussi des relations d’amitié avec Hugo Meisl, le sélectionneur de la Wunderteam autrichienne. La fin du mandat de Chapman à la tête d’Arsenal sera brutale. Début 1934, une grippe contractée dans le froid d’un hiver anglais se transforme subitement en pneumonie. Chapman succombe le 6 janvier. Au terme de la saison, Arsenal est à nouveau sacré. En 1935, aussi. Trois titres de rang, il faudra attendre le Liverpool du début des années 80 pour que la performance soit égalée. Au total, Arsenal remporte cinq titres de champion au cours des années trente. Personne pour douter que l’auteur intellectuel de cette domination se nomme Herbert Chapman. Ca valait bien au moins une statue.
Par Thomas Goubin