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Casti : « Ce qui m’a vraiment fait mal, ce n’est pas d’avoir perdu un œil… »

Par Florian Lefèvre
8 minutes
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Ce dimanche, le Montpellier Hérault reçoit l’AS Saint-Étienne à la Mosson. En 2012, Florent Castineira, touché au visage par un tir de flash-ball en marge de la rencontre entre les deux équipes, y laissa un œil. Quatre ans et demi après les faits, celui que l’on surnomme « Casti » se bat désespérément pour que justice soit faite. Témoignage.

C’était le dernier jour de l’été. Ce 21 septembre 2012, Florent Castineira dit « Casti » , vingt et un ans, n’est même pas venu voir le match Montpellier – Saint-Étienne. Il passe simplement saluer « les collègues » , devant les baraques à frites qui jouxtent le stade de la Mosson. Pendant qu’il boit un verre avec ses amis, des policiers de la BAC poursuivent un supporter montpelliérain au motif que celui-ci a fait tomber de sa poche un fumigène. « Les supporters qui étaient à côté ont voulu protéger ce supporter et certains criaient :« Arrêtez ! Calmez-vous ! Faites doucement ! Il y a des gosses ici ! », nous confiait Casti quelques semaines après les faits. Les policiers ont alors reculé voyant tout le monde qui protestait. Ils étaient à environ cinq ou six mètres de nous quand j’ai entendu un coup de flash-ball, puis un deuxième. Et le deuxième, je l’ai pris dans la tête. Il n’y avait personne autour d’eux au moment où ils ont tiré, l’histoire était plus ou moins terminée et pourtant ils ont tiré plusieurs fois. »

Une enquête et des doutes

Contrairement à ce qu’indiquait une première version de la police, le médecin légiste qui a opéré Casti confirme alors que le jeune homme été blessé par un tir de flash-ball. Contrairement aux informations relayées par le Midi Libre et France 3 Languedoc-Roussillon, l’œil de Casti ne sera pas sauvé. Casti a-t-il été victime d’une bavure policière ? Selon le parquet de Montpellier, le policier aurait agi en état de légitime défense. « Au début, j’étais plutôt serein. Je n’étais pas au courant qu’ils pouvaient cacher des preuves » , estime aujourd’hui Casti. Il y a d’abord son dossier médical, qui a disparu de l’hôpital Guy de Chauliac de Montpellier, où il avait été opéré. Il y a surtout la vidéo-surveillance des lieux, dont le visionnage des bandes avait permis, selon les avocats de Florent Castineira, de contredire la version policière. Saisie par le procureur, la directrice d’enquête de la police des polices juge pour sa part les bandes de la vidéo « illisibles » . L’IGPN conclut que Casti aurait été atteint à l’œil droit par un éclat d’une bombe agricole que des supporters avaient envoyé en direction des policiers. En juin 2014, le parquet requiert un non-lieu, reconnaissant que la blessure est due à un tir de flash-ball d’un policier, mais estimant que les conditions de la légitime défense sont réunies.

Après un complément d’enquête, les avocats de Casti obtiennent finalement le visionnage de la vidéosurveillance par la justice en août 2016. Près de quatre ans après les faits. Et les images confirment que le tir de flash-ball a eu lieu avant les échauffourées entre policiers et supporters, contrairement à la ligne de défense du policier présumé tireur. De cette confrontation avec le policier, Casti garde un souvenir amer : « On a regardé le film, on décrivait le film ensemble. Le policier ? Tout au long, j’essayais de le regarder pour qu’il me regarde dans les yeux, mais il a évité mon regard du début à la fin. » C’est alors que le policier présumé tireur déclare qu’il n’est pas l’auteur du tir, contrairement à ce qu’il affirmait jusqu’ici. Au vu de ces rebondissements, les avocats de Casti demandent donc une requalification des faits. Pourtant, à l’heure actuelle, rien n’a bougé. « La juge d’instruction a remis un rapport au procureur et on attend un rapport du procureur. Dans les temps normaux juridiques, ça aurait dû être fait il y a deux trois mois, là ils gagnent du temps » , déplore Casti.

Une vie qui bascule

Dans cette affaire, le jeune homme, qui a désormais vingt-six ans, a vu sa vie basculer. « Pendant les premiers temps, j’étais très en colère. Un rien pouvait me faire vriller. J’ai perdu ma copine à cause de ça.(…)Aujourd’hui encore, on est en froid avec ma mère. Toutes ces énergies négatives nous ont détruits l’un et l’autre » , lâchait Casti dans un long entretien pour le collectif militant Désarmons-les, en avril 2016. Sur le plan professionnel, aussi. Pas plus tard que la semaine dernière, le Montpelliérain s’est vu refuser une formation dans l’informatique. « Je réussis les tests, en anglais, et tout. J’ai un entretien. Elle me pose la question, je lui dis que je suis en procès avec la police, raconte Casti. Et après, j’ai été refusé à cette formation. J’en parle ensuite avec ma conseillère Pole Emploi, elle me dit :« Tu ne dois pas dire qu’il t’est arrivé ça si tu veux travailler… » » Aujourd’hui, Casti touche l’allocation aux adultes handicapés : « 800 balles par mois, et je vis avec. »

En octobre 2012, quelques semaines après le drame, environ un millier de supporters ultras venus de toute la France ont manifesté à Montpellier contre la « répression abusive » dont ils s’estiment victimes, à l’initiative de la Butte Paillade, le groupe ultra auquel appartient Casti. « Justice pour Casti » , c’est le slogan qui raisonnent cette saison encore dans les tribunes de la Mosson, à chaque match à domicile de Montpellier. Casti, lui, ne suit plus aussi assidûment son équipe. Son temps, il le consacre surtout à « la lutte contre le flash-ball et les violences policières en général » , au sein de l’Assemblée des blessés – des familles et des collectifs contre les violences policières « qui te comprennent parce qu’ils ont vécu la même chose » . En novembre dernier, Florent Castineira témoignait au « procès du flash-ball » à Bobigny, en tant que témoin de moralité. Un procès à l’issue duquel trois policiers jugés pour avoir blessé six manifestants au flash-ball, ont été condamnés à une peine de dix mois à trois ans de prison avec sursis.

Deux mois de prison ferme

Il y a cette phrase que le jeune homme affirme avoir entendu de la bouche de plusieurs policiers, quand il fait des déplacements pour soutenir le MHSC à l’extérieur : « Casti, t’as de la chance, si ça avait été moi, je t’aurais crevé les deux yeux. » « J’ai répondu une fois » , poursuit Casti. Ça s’est passé à Épernay, lors d’un match de Coupe de France, en janvier 2016, le jour de ses vingt-cinq ans. Casti ne verra jamais la rencontre, il est emmené au poste, parce qu’il aurait essayé d’escalader les grilles du stade à plusieurs reprises selon la police. Voilà la version de Casti : « Trois flics arrivent, me reconnaissent, sortent la matraque, la gazeuse, me disent :« Dégage de là, dégage de là… »J’essaye de filmer, ça ne marche pas. Ils me font entrer dans le stade et ressortir, en me disant que j’étais entré dans le stade par effraction. Après, les CRS me provoquent. Je dis :« Ah, vous êtes fiers de vous ? Vous êtes fiers de vous ? »Un gars me gaze à un mètre, j’ai mal, je crie :« Je vais vous crever bande de batards. »Et les CRS commencent à me charger, ils sont à quatre, cinq, sur moi, par terre, menotté… » Outrage et menaces de mort, Casti a été condamné à deux mois de prison ferme (un mois ferme et un mois par révocation de sursis parce qu’il avait tenté d’introduire un fumigène au stade du Moustoir en 2011) par le tribunal correctionnel de Châlons-en-Champagne. Il attend son procès en appel à Reims.

Ce samedi, Casti était présent à Reims pour le procès des supporters bastiais, jugés pour outrage et rébellion à la force publique, après des incidents en marge du match Reims-Bastia, le 13 février 2016. Ce jour-là, le Bastiais Maxime Beux a perdu l’usage de son œil au cours des affrontements avec la police. Lui affirme avoir été victime d’un tir de flash-ball, quand les forces de l’ordre assurent qu’il se serait blessé en tombant sur un poteau… « Dès que c’est arrivé à Maxime, je lui ai envoyé un message sur Facebook. On a échangé ensemble sur les points juridiques, sur les pressions que tu subis après » , explique Casti, qui dénonce « une criminalisation des victimes. Tous, tous, on a des problèmes juridiques après. Quand tu es blessé, la justice n’est pas rendue, mais elle est vite vite rendue quand il faut te faire taire et t’abattre tout simplement. » Si le club bastiais a apporté son soutien à Maxime Beux, au Montpellier Hérault, c’est plutôt silence radio pour Casti. « Le seul soutien que j’ai reçu de la part dans le club, c’est Rémy Cabella, quand il jouait à Montpellier, qui est venu me voir à l’hôpital la semaine d’après. »

Et maintenant, que va-t-il se passer ? Deux options : soit un nouveau non-lieu, « et on repart dans une histoire » , soit un procès du policier présumé tireur. Reste que la vie de Florent Castineira ne sera plus jamais comme avant. « Ce qui m’a vraiment fait mal, ce n’est pas d’avoir perdu un œil, mais c’est la lourdeur de la justice derrière. C’est affreux, insiste Casti. J’en ai marre, mais je tiens, parce que c’est mon histoire. » Ce dimanche, Casti sera présent derrière les buts de la Mosson avec ses potes de la Butte Paillade. « Pour faire la fête, mais en restant méfiant, comme toujours. »

Dans cet article :
Coupe de France : Montpellier sans ses supporters au Puy
Dans cet article :

Par Florian Lefèvre

Propos de Florent Castineira recueillis par FL sauf mentions

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