- France – Ligue 1 – 32e journée – Brest/Reims
Brest : au théâtre ce soir
Pas forcément au top ces temps-ci pour la pratique du football, le Stade Brestois a décidé d’ouvrir une section théâtre. La pièce proposée est du genre assez fascinante, mélangeant le tragicomique aux canons du théâtre de boulevard, avec des comédiens tous plus exceptionnels les uns que les autres. Tremble, le théâtre des Deux-Ânes !
Michel Guyot, le président pyromane
Grosse performance de Michel Guyot, qui illumine de sa présence chaque acte de cette pièce à suspense. Le président du Stade Brestois a endossé avec une grande facilité le premier rôle, grâce à sa gueule, qu’il a grande et n’a jamais peur d’ouvrir, lâchant quelques superbes répliques avec gouaille. Ses meilleurs dialogues, c’est avec son grand ennemi Yvon Kermarec qu’il les tient, à distance, par médias interposés. L’actionnaire majoritaire historique du club est un coup accusé de se comporter « comme un éléphant dans un magasin de porcelaine » , puis suspecté de tourner « au Lexomil » et prié de se mettre sur la touche. Tout ça rapporté à la presse, tranquille. En poste depuis 2006, Michel Guyot a longtemps joui de beaucoup de crédit au Stade Brestois, car il a été considéré comme le principal responsable de la remontée du club en élite en 2010. Mais depuis un an, son personnage gagne en complexité : il éconduit d’abord le bien aimé Alex Dupont, maintient une liaison tumultueuse avec le directeur sportif Corentin Martins, subit la fronde d’actionnaires de plus en plus mécontents et semble donc depuis un mois décidé à renverser la table du banquet et à foutre le feu à tous les décors de la pièce. Rock’n’roll !
Yvon Kermarec, l’actionnaire en colère
Ça peut paraître fou – en même temps, tout paraît un peu fou au SB29 en ce moment – mais Yvon Kermarec postule clairement pour remporter un César de l’espoir masculin cette saison. A 66 ans, la révélation est tardive et surprenante pour un talent brut, resté dans l’ombre pendant des années, en tant qu’actionnaire majoritaire et vice-président. La guéguerre d’ego entre lui et l’autre actionnaire principal Michel Guyot ne transparaissait pas en public jusqu’à la fin d’année dernière. Mais depuis, face aux saillies des Guyot père et fils (Erwan, fiston de Michel, a été placé par le daron au CA), Kermarec a décidé de sortir du bois, la bave aux lèvres et équipé d’un sniper qu’il n’hésite pas à utiliser. Guyot père ? « Un président qui mène le club directement dans le mur » . BIM ! Guyot fils ? Un mytho. BAM ! Coco Martins ? Un directeur sportif qui ne fait pas son boulot, qui se fait porter pâle aux réunions de travail, qui rate son recrutement car néglige de superviser les joueurs et qui ment (entretien sur France Bleu résumé). BOUM ! Sûre de ses soutiens au conseil d’administration, la star montante de la scène brestoise compte pousser Guyot vers la sortie lors de la prochaine assemblée générale, qui doit se tenir vers la fin du mois.
Corentin Martins, l’éternel intérimaire
Coco, et ça repart. Une première fois en 2008, le directeur sportif du club avait été poussé sur le banc pendant quatre matchs, suite au limogeage de Pascal Janin. Idem au printemps dernier, quand Michel Guyot avait décidé de lourder Alex Dupont. Cette fois encore, c’est à Corentin Martins que revient la responsabilité de diriger le groupe pro à la suite de l’éviction de Landry Chauvin, avec Hervé Guégan pour adjoint. Un choix par défaut, Guy Lacombe ayant refusé le poste, le jugeant certainement – et à raison – trop inconfortable ces temps-ci… Coco le discret n’était pas chaud non plus, préférant les seconds rôles. A contrecœur, il a donc accepté de jouer cet éternel personnage ingrat de bouche-trou. « Parce que j’aime ce club » , a-t-il justifié, avant de dégainer cette punchline : « J’en ai marre qu’on me salisse. » C’est bien sûr Yvon Kermarec qui est visé. Si les deux larrons se trouvent sur scène en même temps, ça promet un acte extraordinaire.
Ahmed Kantari, l’orphelin désemparé
Et le sportif dans tout ça ? Les joueurs sont cantonnés à faire de la figuration : quatre défaites de rang, deux victoires seulement en 2013, une 19e place au classement, la pire attaque de L1 (à égalité avec Bordeaux, Reims et Nancy), la 17e défense, des meilleurs buteurs à 3 buts cette saison (Raspentino, Benshop). La misère. Et pour sonner la révolte, l’effectif semble cruellement manquer de tauliers. Omar Daf et Steeve Elana partis, le capitaine Ahmed Kantari est bien seul. En conférence de presse la semaine dernière, il s’est fait le porte-parole d’un groupe « affecté » par le départ d’un Landry Chauvin, « qui a toujours fait un travail de fond, sérieux » . Avec Martins, il dit souhaiter « attaquer ce nouveau cycle avec beaucoup de conviction » , sans que ce discours volontariste sonne forcément si juste. Cette semaine, il a d’ailleurs surtout évoqué son avenir perso, se disant « ouvert aux offres d’autres clubs » . L’union sacrée ressentie la saison dernière avec un scénario pourtant quasi identique – un entraîneur limogé, remplacé par Martins et un maintien à assurer – semble absente cette fois-ci.
Les Ultras Brestois, des supporters désabusés
« Trop, c’est trop. Après une défaite 3 à 0 à Lorient, deux semaines plus tôt, c’est dans la logique des choses que nous attendions un sursaut d’orgueil de la part des joueurs. Au final, 4-0, soit 7-0 en quinze jours, qui plus est dans un derby. Est-ce la défaite de trop ? Nous sommes à même de nous poser la question (…). Les joueurs ont-ils un amour pour le maillot qui nous est si cher ? Savent-ils se remettre en question ? Au vu des prestations de ces deux dernières années et du je-m’en-foutisme général, la réponse semble évidente (…). Cet amour pour nos couleurs, cette passion pour ce club, ancrée au plus profond de nous, doit être retranscrite sur le terrain. Si vous avez un minimum de fierté, montrez-nous que nous avions tort » . Cette semaine dans le public, les supporters brestois n’ont pas vraiment goûté la tragi-comédie qui est en train de se jouer devant eux. Seul une happy end permettrait de leur arracher des applaudissements, mais même eux ne semblent plus trop y croire…
Par Régis Delanoë