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Binationaux : deux salles, deux ambiances

Par Nicolas Jucha // Tous propos recueillis par NJ
6 minutes
Binationaux : deux salles, deux ambiances

Benzia avec l'Algérie, Boufal avec le Maroc. Ces dernières semaines, de nouveaux joueurs formés en France ont décidé de porter les couleurs de leur pays d'origine. Pas de quoi s'alarmer non plus.

« Tous les bons joueurs, de quelque nationalité qu’ils soient, sont une richesse pour le football. » Ancien international français, désormais célèbre pour ses académies en Afrique et en Asie, Jean-Marc Guillou, d’entrée, ne prend pas de détours. « Il faut respecter le choix d’un joueur de jouer pour une équipe nationale quand ce choix s’offre à lui. » Car l’ancien milieu de terrain de l’équipe de France ne se leurre pas : ceux qui tournent le dos aux Bleus le font dans la plupart des cas non de gaieté de cœur, mais par nécessité.

L’élite en équipe de France ?

« Sportivement, un joueur privilégie l’option la plus intéressante pour sa carrière, et l’équipe de France représente ce qu’il y a de mieux, au même titre que d’autres grands pays de foot. C’est une sélection qui peut remporter des titres majeurs » , note Jimmy Adjovi-Boco, ancien défenseur de Lens et international béninois. Et donc, si un joueur a le potentiel pour y évoluer, il privilégiera le plus souvent la tunique bleue, car selon Jean-Marc Guillou, « un joueur choisit l’équipe avec laquelle il a le plus de chances de jouer » . Ce qui sous-tend que Sofiane Boufal s’est estimé plus utile pour les Lions de l’Atlas que pour les Bleus, quand dans le cas de Yassine Benzia, la question d’une opportunité future en équipe de France semble à ce jour improbable. « De manière générale, c’est vrai que les meilleurs joueurs privilégient l’équipe de France, mais ce n’est pas absolu » , tempère Claude Dusseau, ancien formateur de l’INF Clairefontaine, dont l’argument peut être appuyé par l’exemple de Nabil Fekir. « Il y a sûrement une part d’opportunisme, mais cela reste quand même un choix sentimental. » Un choix du cœur qui porte régulièrement préjudice à la France du football ou au contraire lui offre un rayonnement nouveau ?

Jean-Marc Guillou : « Ils sont de facto des ambassadeurs de la formation française »

« Les formateurs français auront toujours du mal à voir les choses comme ça, assure l’ancien éducateur. On préfère former des joueurs pour les voir briller avec l’équipe de France et des clubs français, mais c’est vrai que cela reste une petite récompense de son travail de voir un joueur devenir international, même si on estime plus facilement avoir bossé pour le roi de Prusse si ce n’est pas pour le maillot français. » Depuis les années 2000 – la FIFA autorise les joueurs à changer de nationalité sportive avant leur première sélection A officielle depuis 2003 -, nombreux sont les joueurs formés dans les structures hexagonales, voire ayant porté le bleu en sélection nationale de jeunes, qui ont ensuite troqué leur tunique. Adjovi-Boco préfère y voir « une manière de montrer la valeur de la formation française et un gage de qualité du travail fourni ici » . Jean-Marc Guillou, qui a formé quelques-uns des meilleurs joueurs ivoiriens, abonde dans ce sens : « Le football français ne s’arrête pas, heureusement, aux équipes nationales. À l’époque où l’Europe commence à gommer le nationalisme primaire avec l’abolition des frontières et l’usage de la même monnaie, on doit prendre conscience que ce qui fait le football d’un pays, c’est la qualité des compétitions de clubs de ce pays et donc la qualité de sa formation. Si des joueurs formés en France, avec double nationalité, choisissent une autre équipe nationale que la France, ils sont de facto des ambassadeurs de la formation française. » Un rôle d’ambassadeur que conçoit Dusseau, mais dont il estime le bénéfice « mineur » .

L’éclosion tardive de Brahimi, la reconnaissance du père Faty

Pour les membres de la DTN pris les mains dans le pot de confiture en 2011, quand a éclaté la polémique des « quotas » , la binationalité débouchait sur un renforcement de la concurrence. Une analyse que Jean-Marc Guillou nie en bloc : « Il n’y a pas de perte sportive à craindre pour les grands pays. Car si un pays, tel que la France, n’a pas la capacité de réunir 16 bons joueurs de football, là, en revanche on pourra invoquer un vrai gâchis sportif. Or, jusqu’à preuve du contraire, le football se joue au maximum à onze. » Si le sommet de la pyramide, l’équipe de France, n’est pas perturbée par cet exode sportif, en est-il de même à la base, dans les centres de formation ? « Certains disent que ces joueurs binationaux prennent la place d’un autre joueur en jeunes, qu’ils profitent du système de formation. Peut-être, mais peut-on leur reprocher ? C’est un débat sans fin. S’ils n’ont pas eu l’opportunité de jouer avec l’EDF, c’est normal qu’à un moment, ils s’ouvrent à d’autres opportunités » , consent Claude Dusseau.

Pour lui, le changement de nationalité sportive des binationaux n’est pas le vrai problème. Ce qui tend à le blesser, c’est le manque de reconnaissance de certains « qui critiquent la formation française ou leur club formateur en France, car ils ont vraiment percé en partant » . Les cas sont nombreux dans le football français, de joueurs qui ont explosé hors des frontières, tel Yacine Brahimi, inconstant à Rennes, mais devenu monstrueux avec le FC Porto. « Il est impressionnant aujourd’hui, admet Dusseau, mais à l’époque, est-ce qu’il avait fait tous les efforts pour percer à Rennes ? Il faut voir que certains de ces jeunes ont eu besoin à un moment de changer de contexte pour franchir un palier. » Et pour l’ancien formateur, tous ces jeunes qui ont appris le football dans les structures françaises « ne doivent pas oublier que s’ils sont où ils sont, c’est grâce au travail des formateurs et du système français » . À l’image de la famille Faty, « dont les deux fils ont opté pour le Sénégal, mais dont le père me dit souvent toute la reconnaissance qu’il a pour la formation française qui a permis à ses fils de devenir professionnels » .

Jimmy Adjovi-Boco : « Je ne me suis jamais dit que je trahissais la France »

Mais pour Jimmy Adjovi-Boco, il est important de faire la part des choses entre une reconnaissance légitime, et un sentiment de dette qui n’a pas lieu d’être. « Je n’ai jamais eu la possibilité de jouer pour l’équipe de France, et quand j’ai décidé de représenter le Bénin, je ne me suis jamais dit que j’avais une dette ou que je trahissais la France, même si j’y ai fait ma formation et ma carrière. » Et si l’on prend un maximum de hauteur, on peut se demander a contrario « tout ce que l’Afrique a pu donner à la France, voire à l’Europe en matière de joueurs. Si on fait vraiment un calcul en prenant tout en compte, je suis pas certain que la balance serait du côté que ceux qui lancent ce type de débats l’imaginent. » Une petite banderille gentille à l’intention des opinions les plus nationalistes, avec une conclusion que le Franco-Béninois espère sans appel : « Les binationaux ont clairement été une chance pour le football français, et ils ont leur part de mérite dans le palmarès de l’équipe de France. »

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