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« Bielsa est tout, sauf un salaud »

Propos recueillis par Arthur Jeanne
7 minutes
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Avant de gagner l’ours d’argent au festival de Berlin avec El Club, Pablo Larraín a fait partie de l’équipe nationale chilienne des lycées. Supporter désespéré de l’Universidad Catolica, le prometteur réalisateur chilien s’est consolé cet été avec la victoire de la Roja en Copa América.

Votre dernier film, El Club, parle de l’église, et d’un groupe de curés isolés dans un village. Y a-t-il un rapprochement à faire avec le football ?

Un club, c’est un ensemble de personnes qui se réunissent avec un même objectif. Il y a des règles, des références communes, et en général, ces personnes veulent protéger ce club, quelques fois aux dépens de plein de choses. Dans ce cas précis, le club est une métaphore. Dans mon film, les curés défendent des intérêts communs, et dans ce sens, oui, il y a un rapport avec le foot.

Que représente le foot au Chili ?

C’est une activité essentielle. Ça fait partie des rares choses qui unissent les Chiliens. Dans un pays polarisé comme le Chili, seul le football peut rassembler comme ça.

La récente victoire en Copa América a servi de catalyseur social ?

Jusque-là, on n’avait jamais eu de bons résultats. J’étais au stade pour la finale et c’était fou. Je disais à mes enfants que je n’avais jamais rien connu de tel, pas plus que mon père ou mon grand-père. Mon fils, qui a 5 ans, a une chance énorme d’avoir déjà vu le Chili champion d’Amérique. Avant, c’était horrible, on visait, au mieux, le match nul. Contre le Brésil, l’objectif était toujours de prendre un point ou de perdre par le plus petit score possible. La sélection actuelle nous rend heureux, car elle a effacé des années de frustration.

Justement, tu as déclaré que la culture avait disparu pendant la dictature. Le football a lui aussi été touché ?

Je ne suis pas le seul à le dire, tout le monde pense la même chose. Une dictature détruit tout, elle abîme l’âme d’un pays, son énergie. Je ne sais pas exactement comment cela a affecté le football, mais personne ni rien ne passe à travers les gouttes, personne n’est tranquille. Le stade, par exemple, a servi de camp de concentration et de lieu de torture à la dictature. Carlos Caszely a été très important, il a eu le courage de s’opposer à Pinochet en prenant part à la campagne du NO ! (Le joueur avait notamment refusé de serrer la main du dictateur. Un affront public qui vaudra à sa mère un séjour dans les camps de concentration. Mère et fils militeront par la suite activement contre la dictature de Pinochet, ndlr)

Selon toi, la victoire du Chili en Copa América, c’est aussi celle de Bielsa ?

Quand il est arrivé, il a doté notre football d’une vraie personnalité. On a commencé à aller de l’avant, à faire peur, à faire mal aussi. Bielsa a une mentalité différente des Chiliens, une mentalité plus agressive. C’est un Argentin, un type qui n’a peur de rien, qui fait confiance aux joueurs et qui a donné une énergie inouïe à son équipe. Sampaoli, qui est un fan de Bielsa, a eu l’intelligence de poursuivre son travail. Mais pour moi, le déclic a eu lieu lors du dernier Mondial. On a perdu de manière absurde aux tirs au but contre le Brésil, mais je me souviens que les Brésiliens étaient morts de peur contre nous. Ils étaient très nerveux, on sentait qu’ils étaient angoissés. Qu’on arrive à les mettre dans un tel état m’a rendu vraiment très fier.

Tu peux nous dire pourquoi Bielsa a quitté Marseille ?

C’est un type super honnête. Il n’abandonne jamais une équipe sans raison. Bielsa fait les choses parce qu’il les sent, il est très pur. Je ne crois pas qu’il ait voulu porter préjudice à Marseille. C’est tout sauf un salaud. S’il est parti, c’est parce qu’il n’a pas pu travailler à sa manière.

Tu l’as déjà rencontré ?

J’ai discuté avec lui pendant 5 minutes lors d’une soirée et il m’a dit qu’il avait beaucoup apprécié mes films. Des amis réalisateurs chiliens avec qui il est proche m’ont dit que c’était un grand cinéphile. Apparemment, il s’intéresse beaucoup à la mise en scène.

Tu viens d’une famille aisée, est-ce que tu supportes l’Universidad Catolica qui est considérée comme le club bourgeois de Santiago ?

Mon père était prof à la Catolica, donc on allait toujours au stade. Mais j’ai arrêté d’être fan de la Catolica. On a été finalistes du championnat, 8 fois. À chaque fois, j’étais au stade. Et à chaque fois, on a perdu. Pareil avec les deux Libertadores. C’est une équipe qui ne sait pas gagner. La supporter est une souffrance permanente parce qu’elle sait juste être deuxième. J’en ai eu marre d’être frustré, à tel point que j’ai mis deux maillots dans la chambre de mon fils. Un de la Universidad de Chile et un autre de Colo-Colo. Je lui ai dit de choisir entre ces deux-là en lui précisant qu’il n’avait pas le droit de supporter la Cato. J’ai trop souffert à cause d’elle. Tout le monde se moquait de moi à l’école. J’ai eu une enfance douloureuse, une enfance de second. Je n’ai pas envie de ça pour mon fils.

Le Chili a toujours nourri un complexe d’infériorité par rapport à l’Argentine. Les battre en finale de la Copa América a été un soulagement ?

Mais si la France était à coté de l’Argentine, elle aurait aussi eu un complexe d’infériorité ! Voir le Chili battre cet adversaire, en jouant dès le début en attaquant pour gagner, c’était fou. On les a battus tactiquement, dans l’envie. Messi n’a pas existé, on l’a arrêté. C’est très libérateur pour un pays entier, le fait de gagner. C’est un exutoire.

Mis à part ça, c’est quoi tes autres grands souvenirs de foot ?

J’ai grandi avec la sélection de Sa-Za (Salas-Zamorano). C’était une équipe qui avait beaucoup de qualités, mais qui était extrêmement frustrante. Tout allait bien et tout d’un coup, sans raison, elle faisait n’importe quoi, elle disparaissait du match. On ne savait jamais ce qui allait se passer, car c’était une équipe qui ne savait pas se gérer. Les joueurs n’arrêtaient pas de gueuler, ils étaient tous excités, et souvent ça dégoupillait. C’était marrant à suivre.

Quel est ton joueur préféré aujourd’hui ?

Gary Medel. Il est petit, il représente le Chilien moyen, il vient d’une famille modeste, il réussit tout plus par l’effort que par le talent, et il est très proche de sa famille. C’est facile de s’identifier, car il représente des traits physiques et moraux très chiliens. Il est honnête, il se bat, il a une pureté intéressante. Et il n’est pas attaquant, il ne met pas de buts. Il fait le sale boulot pour l’équipe, mais les gens le voient comme un héros, car il est proche d’eux. C’est plus facile de s’identifier à lui qu’à Alexis Sánchez qui a un talent inné. Mais en réalité, je les aime tous : ils sont tous champions d’Amérique !

Michelle Bachelet a bien compris l’intérêt de la chose : Sa cote de popularité est remontée en flèche suite aux selfies avec les joueurs. Tu en penses quoi ?

Je n’ai aucun souci avec ça, moi aussi j’en ferais si j’étais à sa place ! Je vois cela comme le geste d’une fan, mais on le lui reproche, car c’est un femme. Si Pinera ou Lagos avaient fait la même chose, ça aurait posé un problème ? Bien sûr que non. Dans cette histoire, il y a clairement un problème de machisme.

La bande-annonce d’El Club, en salle depuis une semaine

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