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Benjamin Nivet : « Certains de mes coéquipiers pourraient être mes enfants »
Il est l’un des chauves les plus connus de France. L’un des plus techniques aussi. Une technique qu’il continue d’ailleurs de distiller sur les pelouses de Ligue 2, et ce, malgré ses trente-neuf berges. Lui, c’est Benjamin Nivet. Un amoureux de football, de numéro dix, de Marco Verratti et de bons vins. Un amoureux de la vie, quoi. Entretien.
Tu as trente-neuf ans, dont vingt passés dans le foot professionnel. Est-ce que tu abordes cette nouvelle saison avec la même envie qu’avant ?Si je continue, c’est que j’ai toujours la même envie, ouais. En fait, je dirais même encore plus qu’avant, car j’ai bien conscience que je suis en train de vivre mes dernières heures dans ce milieu-là et désormais j’ai envie de profiter à fond de chaque moment passé sur un terrain de football. Franchement, maintenant, je suis au maximum dans le plaisir, de toute façon s’il n’y avait plus cette notion de plaisir ou même de passion, j’aurais déjà arrêté. Et puis désormais, je me dois un peu d’aiguiller les plus jeunes, de donner l’exemple au quotidien, ce sont des motivations supplémentaires.
Tu pensais jouer si longtemps quand tu as commencé ?Je n’avais aucune ambition quant à l’âge jusqu’auquel j’allais jouer, même si j’ai toujours fait attention à mon corps pour que mes performances soient meilleures chaque week-end, mais sans forcément penser au long terme. Dans le fond, j’espérais jouer jusqu’à trente-cinq, trente-six ans, mais je ne m’étais rien fixé. Après, quand je suis arrivé à Troyes, à trente-cinq ans, le préparateur physique de l’époque, Thomas Joubert, me répétait sans cesse que j’allais jouer jusqu’à quarante ans, alors au début, j’en rigolais, mais finalement, il se trouve qu’il a eu raison.
C’est rare de voir une telle longévité au haut niveau, comment tu fais, tu as une hygiène de vie impeccable ?Bien sûr, je fais attention et encore plus maintenant, forcément. Après, mon hygiène de vie, ce n’est pas non plus de ne jamais sortir, rester chez moi et ne boire que de l’eau. J’ai besoin d’avoir des moments de plaisir pour trouver mon équilibre, alors ça peut être sortir avec des potes, s’ouvrir une bonne bouteille de vin ou plein d’autres choses qui ne sont peut-être pas de tout repos, mais qui m’octroient du plaisir, et ça, c’est important pour mon équilibre. À côté de ça, je fais quand même attention à ce que je mange, j’essaie de bien me reposer, d’être assidu aux massages et aux soins encore plus que quand j’étais jeune. Et puis maintenant, je me connais parfaitement, je sais comment éviter ce qui pourrait être néfaste pour mon corps, tout ce qui permet de minimiser le risque de blessure. Ce sont des choses plus simples à gérer quand tu prends de l’âge.
Tu as toujours déclaré être très famille, les sorties, la vie nocturne, ce n’est pas pour toi ?Avec la famille, les enfants, c’est vrai qu’on est souvent à la maison, où on reçoit souvent du monde d’ailleurs. Mais de temps à autre, j’aime bien avoir une sortie nocturne, même si je les choisies bien et que j’essaie de bien les placer pour qu’elles restent sans conséquences. J’aime bien sortir après les matchs, par exemple, ce n’est pas forcément se mettre minable, ça peut être juste aller boire un verre. Histoire de s’aérer un peu, de décompresser. En plus, vu qu’on joue le vendredi soir, c’est un peu plus simple pour sortir (rires). De toute façon, ce sont les excès qui ne sont jamais bons, mais quand tu fais les choses avec modération, il n’y a aucun souci.
Tu joues avec des mecs qui n’étaient pas nés quand tu as commencé le football professionnel, le décalage générationnel n’est-il pas trop important ?C’est vrai que certains pourraient être mes enfants (rires). Mais honnêtement, non, il n’y a pas un si grand fossé que ça, et puis personnellement, j’aime bien, car ça m’aide à rester jeune dans ma tête, ce n’est pas plus mal au final. Après, évidemment, on n’a pas la même vie, car aujourd’hui, je suis père de famille avec des enfants qui ont un certain âge, donc on ne fait pas les mêmes choses, mais, même si c’était il y a longtemps, j’ai aussi connu leur vingt ans et je me retrouve un peu là-dedans, nous aussi on jouait aux jeux vidéo, hein. Et puis, en ce qui me concerne, les jeunes que je côtoie sont très respectueux, très à l’écoute, tout se passe super bien. Tu dis que les jeunes sont à l’écoute, j’imagine qu’avec ton expérience, ta voix fait partie des plus écoutées dans le vestiaire, non ?Bah écoute, j’ai l’impression, après c’est finalement aux autres qu’il faut poser cette question, hein (rires). Mais oui, je pense que je suis écouté, d’autant que je ne suis pas le genre de mec qui parle tout le temps, qui veut à tout prix donner des conseils ou encore l’ancien qui se la joue donneur de leçons. Je me contente de parler quand il faut, quand c’est important, et puis surtout quand les autres sont demandeurs. Si je passe des savons dans le vestiaire ? Non, pas du tout, même si ça peut arriver de remettre certaines choses en place quand je pense qu’elles peuvent être nocives pour le groupe, mais pour l’instant tout va bien, et sans faire dans le cliché, on a une bonne cohésion de groupe, donc il n’y a pas besoin de hausser le ton. Tout se passe très bien en ce moment.
Venons-en un peu au terrain, tu as cette image de 10 à l’ancienne, un poste que tu as toujours particulièrement apprécié, mais qui semble avoir disparu dans le football moderne. Quel regard portes-tu sur l’évolution de ton poste, justement ?Je suis arrivé dans les années où le poste commençait à disparaître, et les entraîneurs se sont mis à jouer de moins en moins avec un vrai numéro dix au milieu de terrain. Alors forcément, j’ai dû adapter mon jeu, même si, à la base, c’est vraiment mon poste, c’est là où je me sens le mieux sur un terrain, mais au fil de ma carrière, j’ai appris à évoluer, car j’ai connu des entraîneurs qui parfois jouaient en 4-4-2 avec deux six, sans numéro dix. Mais j’ai également eu la chance de connaître Jean-Marc Furlan, qui, pour le coup, m’a réellement permis d’endosser ce costume de dix à l’ancienne, mais c’était la première fois de ma carrière qu’on me faisait jouer comme ça.
Quel est le joueur qui t’a donné envie de jouer dix ?Michel Platini ! C’est lui qui m’a donné cet amour du poste et même du numéro, car je voulais toujours avoir le 10 quand je jouais. Avec Éric Cantona, Platini était réellement mon idole absolue. J’aimais tout chez lui, il était au cœur du jeu, il jouait la tête levée, toujours classe, il faisait briller les autres, il marquait énormément de buts. Et puis techniquement, je n’en parle même pas…
Et aujourd’hui quel est le joueur dans ce registre qui t’impressionne le plus ?Özil ne joue pas vraiment à ce poste-là, mais tu sens qu’il a les qualités pour être un vrai numéro dix comme on l’entend. En fait, aujourd’hui, tu as l’impression que le vrai meneur de jeu joue un peu un cran en dessous, à l’image de Toni Kroos avec l’Allemagne ou le Real Madrid. Sinon, un mec qui ne joue pas dix, mais que j’admire plus que tout, c’est Marco Verratti. Lui, il me fascine vraiment. Techniquement, c’est énorme ce qu’il arrive à faire, mais je crois que le plus impressionnant, c’est la sérénité avec laquelle il fait tout ça justement, c’est hallucinant. Pour avoir joué contre lui, je peux te dire qu’il est préférable de le regarder jouer à la télé, car en réalité, tu ne peux pas lui prendre la balle, c’est tout simplement infernal. Le mieux reste donc de le regarder jouer. Ou de jouer avec lui, mais malheureusement pour moi, c’est quelque chose qui risque d’être difficile (rires).
Aujourd’hui, avec un peu de recul, quel regard portes-tu sur cette carrière qui touche à sa fin ? J’en suis fier, déjà. Après, c’est sûr qu’on peut toujours faire mieux, j’aurais notamment aimé connaître plus de matchs européens, même des matchs du haut de tableau de Ligue 1, voir une expérience à l’étranger. Mais voilà, ma carrière a été ce qu’elle a été et je n’ai pas de regrets, ça aurait pu être mieux, certainement, mais ça aurait également pu être pire, donc je suis assez content de tout ça.
Le fait de ne pas avoir joué dans un club de haut tableau, en Ligue 1, ça reste le regret le plus important ? Oui, certainement. J’aurais aimé voir ce que j’étais capable de faire dans un club plus huppé, avec des joueurs d’un niveau supérieur. Mais bon, je n’en ai pas eu l’opportunité, c’est comme ça. Ça aurait pu se faire à un moment donné, mais il ne faut pas non plus se mentir, je n’ai pas eu une tonne de propositions. De toute façon, je ne suis pas du genre à regarder le passé, ça ne sert à rien, il faut se satisfaire de ce qu’on a fait.
Entre Troyes et Caen, tu as connu pas mal de relégations, de maintiens in extremis, ce n’est pas trop éprouvant dans une carrière ? Si, clairement. C’est sûr que j’aurais préféré moins en connaître, mais voilà, ça fait partie de ma carrière, c’est comme ça. J’ai joué dans des clubs qui faisaient constamment le yo-yo, alors c’est éprouvant, certes, mais au moins, on vit des fins de saison palpitantes à chaque fois (rires).
En tant que joueur, connaître une relégation, c’est quelque chose de réellement difficile à vivre, ou on parvient à vite passer à autre chose ? Ouais, c’est pesant quand même. Je me souviens d’une relégation avec Caen, en 2009, où on avait une très belle équipe, mais où on n’était pas parvenu à se maintenir, et là, je me souviens que j’avais vraiment mal vécu l’été qui avait suivi. Les vacances n’avaient pas le même goût que d’habitude, cette année-là j’avais bien mis quelques semaines à m’en remettre. Ça reste le pire souvenir de ma carrière, clairement.
Heureusement qu’il y a les montées et les titres de Ligue 2 qui restent comme des moments très forts, non ? À l’inverse, oui, il y a ces moments-là qui sont des moments importants dans une carrière, de ceux que tu n’oublies pas. Personnellement, j’ai connu trois montées et deux titres de champion de Ligue 2 qui restent encore de superbes souvenirs. Plus que les titres d’ailleurs, ce sont les aventures humaines qui te restent en tête. Plus que les victoires, tu retiens les anecdotes, les trajets en bus, les fous rires entre coéquipiers, les parties de cartes de cinq heures. Un titre c’est beau, mais c’est le chemin pour y arriver le plus important, et c’est ça que tu gardes en mémoire.
Tu parlais d’expérience à l’étranger. J’ai lu dans une interview que les États-Unis était un pays où tu aurais aimé vivre. Y jouer aussi ? C’est vrai que j’aime bien ce pays qui m’a toujours attiré. À un moment, j’ai songé sérieusement à partir jouer là-bas, j’ai longuement hésité. J’avais eu le recruteur de la MLS au téléphone, on avait longuement discuté, mais après avoir bien réfléchi, j’ai décidé de rester en France. Et maintenant ? Ah bah là, c’est trop tard, surtout que c’est plus difficile pour les joueurs âgés là-bas avec les longs déplacements, la récupération est moins évidente. Et puis, voilà, là je suis bien à Troyes, je ne me verrais pas partir aujourd’hui, je n’ai pas franchi le pas à l’époque, c’est trop tard, c’est comme ça. Mais c’est vrai que ça aurait pu être une belle expérience même pour ma famille, mes enfants, mais bon…
À ton âge, j’imagine que l’on pense pas mal à l’après-carrière, non ? Ah bah c’est clair (rires). J’y pense très régulièrement, mais pour dire vrai, j’ai vraiment du mal à m’imaginer ce que sera la suite. J’ai peur que l’arrêt soit brutal, honnêtement, je ne sais pas trop à quoi m’attendre. Tu as déjà des choses de prévues ? Non, pas vraiment, car je ne sais pas trop ce que je vais faire, même si en tant que passionné, j’aimerais bien rester dans le foot. Je pense d’ailleurs que je vais passer mes diplômes d’entraîneur, histoire de voir si c’est un poste qui pourrait me correspondre, car pour l’instant, je n’en ai aucune idée, même si certains anciens me disent que c’est justement en faisant ces démarches-là que tu vois si tu es fait pour ça ou pas. Et puis il y a aussi les contraintes familiales, car après vingt ans passés dans le foot professionnel, en devenant entraîneur, tu gardes le rythme des déplacements et tout ça. Il faut bien réfléchir. Et puis il y a également d’autres branches qui m’intéressent comme l’immobilier, le vin, surtout que ma femme s’est lancée dans le champagne et que j’ai toujours été un grand amateur de bons vins, donc voilà il y d’autres voies qui sont envisageables. Mais je ne sais pas encore, je crois que je ne suis pas encore prêt, en fait, j’ai juste envie d’être sur les terrains.
Autrement dit, ce n’est peut-être pas ta dernière saison ? Je ne sais pas, aucune idée. De toute façon, aujourd’hui, ce n’est plus ma carte d’identité qui va m’arrêter, car logiquement, tu es à la retraite vers trente-cinq ans, j’en ai trente-neuf et je me sens encore bien, donc on verra en fin de saison. Je verrai où en est mon corps en fin de saison et puis aussi ce que veulent faire les dirigeants, car selon toute vraisemblance, je vais terminer ma carrière ici, à Troyes, donc on verra ça tous ensemble dans quelques mois.
Question Bonus : Explique-nous le surnom de Fartas ?C’est Karim Ziani qui m’a donné ce surnom quand je m’étais rasé à Troyes, ça veut dire chauve en arabe. Derrière, à Caen, Youssef El-Arabi avait repris ça et ça m’est resté depuis. La fois où j’ai passé le cap de la tondeuse ? C’est à la suite d’un pari d’Alexandre Dujeux qui me dit un jour : « Si je rase, tu rases ? » Je lui avais dit oui, car je ne pensais pas qu’il allait le faire, lui qui aimait tant se faire de belles coupes de cheveux. Sauf que voilà, il l’a fait et je n’ai pas eu d’autre choix que de tenir ma parole. Mais comme je commençais à les perdre, finalement c’était une bonne chose, je l’ai plutôt bien vécu. D’ailleurs, aujourd’hui, je ne me verrais pas autrement, pour rien au monde je ne reprendrais des cheveux (rires).
Question Bonus : Je ne sais pas si tu es au courant, mais lors d’une interview « tu préfères ? » , Jérémie Bréchet m’a dit qu’il préférait éprouver une attirance irrépressible pour toi plutôt que de savoir ta chambre remplie de photo de lui nu. Dans la situation inverse, tu choisirais quoi, toi ?
(Il se marre) Je préfère savoir que sa chambre est remplie de photos de moi nu. Mais je ne le jugerais pas pour autant, on continuera à aller dîner ensemble, pas de problème.
Propos recueillis par Gaspard Manet