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Ben Yedder et la pépinière du futsal
Avant lui, le néant. Cure de jouvence de ce début de saison, Wissam Ben Yedder est un pur produit du futsal, qui a fait ses classes à Garges Djibson, en championnat de France. Avant lui, presqu'aucun joueur, mis à part Youssef El-Arabi ou Eden Hazard à un degré moindre, n'avait réussi à faire la passerelle entre le football de salon et le football professionnel en France. Décryptage d'un phénomène qui pourrait être amené à se développer.
Samedi dernier au Stadium de Toulouse, le Brestois Ahmed Kantari a mis la casquette du souffre-douleur préféré de Wissam Ben Yedder. Excentré à droite à la demi-heure, le lutin toulousain dépose le Marocain d’un crochet gauche dévastateur avant de repiquer rapidement dans l’axe et de finir d’un amour d’enroulé du gauche sous la barre de Thébaut, avec un sang-froid et une facilité qui feraient douter de ses qualités le meilleur buteur de L1 en activité (bon ok, il s’agit de Peggy Luyindula…). Ou comment faire oublier en un énième éclair de génie une escapade en boîte de nuit à la manière d’un Griezmann claquant un doublé avec la Real Sociedad.
Si le natif de Sarcelles éclate cette saison après deux années à manger du banc et de la CFA, c’est un peu grâce à la confiance et à la patience d’un Alain Casanova persuadé de tenir une perle avec ce garçon. Mais la raison principale d’une telle explosition, elle est à chercher dans l’ADN du deuxième meilleur buteur du championnat. Le génome de Ben Yedder n’est pas comme celui de l’écrasante majorité des joueurs de L1. Loin d’être une bâche qui met dix plombes à faire un tour sur lui même, la découverte de l’année est enfant du futsal, à l’image des Sud-Américains (Ronaldinho, Nene) ou des Espagnols. Wissam est un rejeton de la balle qui ne rebondit pas. Il fait ses armes dans les gymnases de la région parisienne, où il régale les habitués du club de Garges Djibson, pensionnaire du championnat de France de futsal, de ses enchaînements à faire péter une durite au premier Cyril Rool venu.
Six sélections en équipe de France de futsal plus tard…
« Lorsqu’on l’a repéré, il avait peut-être 18 ans, donc il était en âge d’aller chez les espoirs. Mais il avait un tel potentiel qu’il a intégré directement les A » , se remémore Patrick Pion, ancien sélectionneur de l’équipe de France de futsal des moins de 23 ans. En six sélections chez les Bleus, le Franco-Tunisien marque les esprits. « Il n’est pas passé par la case présélection. Nous l’avons pris tout de suite, c’est dire » , se souvient aussi Pierre Jacky, sélectionneur des A qui a eu le Franco-Tunisien sous ses ordres. Le phénomène fait alors des ravages dans les petits espaces propres et épate aussi bien par son sens de la finition que par son altruisme et son jeu juste. Alors, quand les clubs pros ont vent de son existence et que, dans le même temps, il claque neuf buts en à peine une saison avec l’UJA Alfortville en CFA, les coups de fil se succèdent.
« Lille, Strasbourg et Toulouse m’ont contacté pour des renseignements. La vraie interrogation que j’avais, c’était le côté tardif et nouveau de cette passerelle vers le football professionnel. Wissam représentait une première en France » , détaille Pierre Jacky. Car mis à part Eden Hazard qui l’avait pratiqué en Belgique, où ce sport est autrement plus développé, ou Youssef El-Arabi, aucun joueur dans l’Hexagone n’avait réussi à ce point ce passage de témoin. En partie à cause du retard culturel français en matière de futsal. Arrivé à la fin des années ’70 en France, à Cannes, la discipline débarque avec vingt ans de retard ou plus par rapport aux autres pays européens ou à l’Amérique du Sud, où il fut codifié et popularisé au point de sortir une ribambelle de pépites, de Zico à Ronnie. « Jusqu’à quinze ans, Ronaldo se prédestinait au futsal. Il a changé d’avis à seize ans et à peine trois ans après, il était une star mondiale au Barça » , sourit Pierre Jacky.
Un exemple qui va en amener d’autres
La France fait donc une découverte de taille, qui ne l’est pas franchement ailleurs si on regarde ne serait-ce que l’exemple espagnol : le futsal est un vivier que le football peut exploiter sans compter. Ce jeu met en lumière bien trop de qualités louables pour l’occulter, comme le rappelle Patrick Pion, actuel DTN adjoint de François Blaquart : « Les intérêts sont multiples. En futsal, c’est important d’avoir les deux pieds, car il y a changement de zone permanent. La prise d’info est extrêmement rapide, car les espaces sont petits et l’intensité grande. On retrouve des gens qui ont une vitesse gestuelle au-dessus de la moyenne et cette pratique la développe d’autant plus. Enfin, on est en permanence dans la transition, c’est-à-dire la capacité à se projeter en attaque ou se replacer en défense. Il n’y a pas de temps mort, donc les joueurs sont bien plus concentrés et apprennent à participer à toutes les tâches. Sans parler de l’explosivité ou de la qualité à mettre dans le dernier geste. »
Ne reste alors plus au garçon franchissant la barrière pour se retrouver sur le grand terrain que quelques adaptations tactiques à travailler, une vision de jeu plus large à peaufiner. Sans oublier le jeu long ou celui de la tête, pas franchement fréquents en futsal. Patrick Pion et Pierre Jacky en sont persuadés, le futsal est une nouvelle pépinière de talents, surtout chez les 15-19 ans. « On a le cas d’un jeune joueur de Grenoble Foot 38 (CFA), Abdellah Zoubir, qui a fait un essai concluant à Saint-Étienne et a été approché par d’autres. Bon, ça ne s’est pas fait pour d’autres raisons que le football. Mais ça montre bien que les clubs sont désormais attentifs et vont l’être de plus en plus à ce type de joueurs, qui peuvent réaliser des choses que les footballeurs traditionnels ne maîtrisent pas » , appuie le DTN adjoint.
400.000 pratiquants en France
La preuve, l’accent est aujourd’hui mis pour que cette pratique encore anonyme en France prenne de l’ampleur, d’autant que la demande, notamment chez les jeunes, est belle et bien là. « On ne peut recenser tout le monde comme licencié FFF. Mais on peut estimer le nombre de pratiquants à 400 000 en France, chiffre en augmentation. C’est le sport le plus demandé chez les scolaires en UNSS. » Alors bien qu’il n’existe pas encore de sport-étude futsal, certains clubs commencent à mettre en place des sessions spécifiques pour les plus jeunes en vue de former les futurs Alexandre Teixeira, petite vedette de la discipline en France évoluant sous les couleurs du Sporting Club de Paris.
« Les pôles espoirs français dispensent aujourd’hui au moins une séance par semaine en salle et les formations d’éducateurs à tous niveaux abordent aussi la question du jeu réduit et du futsal » , ajoute Patrick Pion. Enfin, dans les centres de formation, la thématique a aussi son importance. À l’OL, un créneau de futsal par semaine va être mis en place en période hivernale dès cette année pour le cycle de préformation, concernant les jeunes de 13 à 15 ans, et peut-être pour de l’éveil selon la disponibilité des créneaux. « Nous ne travaillons pas exactement dans une configuration futsal. Mais avec ces séances, on va essayer d’atteindre certains objectifs comme l’utilisation de la semelle, des deux pieds. On va travailler sur des principes de jeu à deux ou trois, sur la gestion de l’espace, sur la réversibilité du jeu ou encore quelques aspects comme l’agilité, la coordination, les petits appuis » , détaille Stéphane Roche, directeur du centre de formation des Gones. Et celui qui est aussi l’entraîneur de la CFA de conclure par cette phrase lapidaire, mais pleine de sens : « À mon époque, on jouait avec les ballons en feutrine. Mais le futsal a toujours été un moyen de bien jouer au football. »
Par Arnaud Clément