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Bellini, premier à jamais…
Hilderaldo Luiz Bellini nous a quittés le 20 mars à 83 ans. Il était le capitaine de la Seleção vainqueur en 1958 de sa première Coupe du monde. Hommage au héros céleste…
« Je n’ai jamais pensé pouvoir soulever la Coupe. En vérité, je ne sus que faire avec quand je la reçus des mains du roi Gustave de Suède… Au cours de la cérémonie de remise de la coupe Jules Rimet, il régnait une grande confusion et il y avait beaucoup de photographes qui essayaient de trouver la meilleure position, le meilleur angle pour pouvoir me photographier avec la Coupe. Parmi les plus petits d’entre eux qui avaient du mal à prendre des photos, certains se mirent alors à crier :« Bellini, lève bien la coupe ! Lève-la bien haut ! », car ils ne parvenaient pas à me cadrer avec le trophée dans mes mains. Et c’est ce que je fis, en le brandissant au-dessus de ma tête. » Bellini vient d’entrer dans la légende de la Coupe du monde… C’est la première fois qu’un capitaine vainqueur du Mondial de foot exhibe haut vers le ciel la prestigieuse Coupe Jules Rimet en signe de triomphe. Un geste banal aujourd’hui, mais qui ne l’était pas avant. Autrefois, la cérémonie de remise se faisait au ras du terrain : au milieu des joueurs (vainqueurs et vaincus), le capitaine recevait la coupe des mains mêmes de Jules Rimet devant les photographes et ensuite l’équipe gagnante exultait sur le terrain. Sauf les Uruguayens en 1950 au Maracaña. Vous devinez pourquoi…
Vers le ciel…
Alors bien sûr, vous verrez bien le bon vieux Vittorio Pozzo brandir bien haut le trophée au milieu de ses joueurs sur la pelouse du stade de Colombes après que sa Squadra Azura eut juste remporté la Coupe du monde face à la Hongrie (4-2). Mais Pozzo était le coach, pas le capitaine, et puis c’était bien après la finale, après la cérémonie de remise. Ce 29 juin 1958, au Rasunda Stadion de Solna, le protocole de remise de la coupe aux vainqueurs fut émaillé de bizarreries propres à l’improvisation qui suivait généralement les finales de Coupe du monde. Ainsi, toute l’équipe brésilienne, remplaçants, coachs et soigneurs compris, entama un joyeux tour d’honneur, Bellini en tête, en portant à bout de bras un immense drapeau suédois, afin d’honorer le public du pays hôte. La remise du trophée effectuée sur un podium laissait derrière l’estrade les joueurs des deux équipes : à gauche, les Brésiliens et tout près, à droite, les Suédois. Fait incroyable : tous les joueurs suédois ont la banane et sourient comme s’ils venaient de gagner alors qu’ils se sont pris un 5-2 bien tassé. C’est sans doute la seule et unique fois dans l’histoire de la Coupe du monde que les vaincus avaient le sourire. Mais ça, c’était tout le charisme ravageur des Brazileiros 58 : ces gars étaient vraiment trop forts, jouant un foot en avance de plusieurs décennies…
Bellini inventa donc malgré lui « le geste » du triomphe absolu en levant au ciel le Graal après lequel le Brésil courait désespérément depuis 1930. Ce geste est d’ailleurs touchant de maladresse… Sur le podium élevé pour la réception du trophée des mains du roi de Suède, Bellini, le défenseur central brazileiro, reçoit la Coupe et on vit bien que le grand costaud semblait embarrassé par l’objet. Preuve de l’humilité authentique de cette Seleção venue en Suède escortée de toutes les malédictions du passé. Bellini était vraiment sincère en ne s’étant pas imaginé devenir champion du monde. Et pourtant… La Seleçao avait balayé la France en demies et la Suède en finale sur le même score sans appel de 5-2. Oui, mais la mise en route fut beaucoup moins aisée : un 0-0 contre l’Angleterre au premier tour et un tout petit 1-0 contre le pays de Galles en quarts avaient fait resurgir au pays la peur des démons de 1950… Bellini tient donc cette coupe sans trop réaliser que cette fois, ça y est ! Le Brésil est enfin champion du monde. Soudain, il entend des voix qui montent du parterre de journalistes et photographes. Certains sont brésiliens. Bellini tend alors l’oreille : « Bellini ! Lève la coupe qu’on puisse te photographier ! » Alors le capitaine s’exécute docilement. Il lève au-dessus de sa tête la statuette dorée sans trop de conviction. Un demi-sourire recherche l’approbation des photographes. Puis Bellini redevient lui-même : il brandit d’une seule main, la droite, le trophée en signe de vainqueur assumé. C’est cette posture qui sera immortalisée en statue, celle qui accueille les spectateurs à l’entrée du stade Maracaña de Rio. Statufié debout sur un globe terrestre, Bellini en Christ du Corcovado n’ouvre pas ses bras salvateurs aux pécheurs : son bras gauche porte au corps un ballon et son bras droit offre au ciel le trophée Jules Rimet.
Vers les étoiles…
Bellini, le beau gosse du Vasco de Gama de son pote buteur Vava, était originaire de la grande communauté italienne de São Paulo. Tout comme le coach Vicente Feola, symbole lui aussi de ce Brésil « arc-en-ciel » qui gagne enfin. Bellini et Didi, le Blanc et le Noir, avaient démontré que le mélange racial en Seleção pouvait faire triompher le pays. Un truc pas évident auparavant, dans un sport national où les Noirs étaient souvent considérés comme « inaptes » à résister à la pression des grands matchs… Et puis il existait encore une règle non écrite qui imposait un capitaine « blanc » à la tête de la Seleção. À 28 ans en juin 1958, l’immense Bellini (1m81) déployait suffisamment de qualités sportives et mentales pour ne pas usurper ce grade. L’immense Didi (30 ans et star du Botafogo) aurait pu lui aussi prétendre au capitanat. Mais il était noir…
Toujours est-il que cette Seleção est restée à jamais dans la mémoire collective des Brésiliens pour ce triomphe en « noir et blanc » (images TV et couleurs de la peau), le premier d’une nation sud-américaine en Europe. En pleine explosion de la bossa nova (sortie du hit génial Bim-Bom de João Gilberto au cours du Mondial suédois !), tout un peuple fondit pour ses héros, humbles et magnifiques. Personne n’a jamais oublié les larmes du petit Pelé, celles du beau Gilmar et celles du grand costaud Nilton Santos… Même le caïd Bellini craqua momentanément lors de l’exécution de l’hymne national de l’après-finale en réprimant des pleurs d’émotion. C’est bien « lui » que la destinée avait désigné pour être le premier Brésilien à célébrer son pays en tant que champion du monde…
Le Didier Deschamps brésilien
Il le sera une deuxième fois en 1962, mais sans disputer un seul match. Plus triste, il fera partie de la cohorte très vieillie (36 ans !) d’une Seleção coulée comme un sous-marin jaune dans le Liverpool des Fab Four (1-3 contre la Bulgarie). Ce match international fut d’ailleurs sa 51e et dernière cape. On connaît bien en France la mystique de la gagne incarnée uniquement par Didier Deschamps, notre « souleveur de trophées » national : la Ligue des champions 93, la Coupe du monde 98, l’Euro 2000. Eh, bien, voilà : au Brésil, le DD national, c’est Bellini, le premier à jamais. Celui qui sera imité ensuite par ses dignes successeurs eux aussi capitaines du Brazil Campeao do Mundo : Mauro (1962), Carlos Alberto (1970), Dunga (1994), Cafu (2002), Thiago Silv… Euh, non ! Pas encore. Voyez comme ces quatre capitaines ont levé bien haut le trophée quand ils l’ont remporté. Cette offrande aux étoiles reste un hommage à leur glorieux aîné de 1958, Bellini, le premier qui, presque tremblant, leva les bras au ciel, vainquit la malédiction et ouvrit à ses suiveurs le chemin vers les constellations. Comme celle qui s’étale sur le drapeau national. Les Brésiliens entretiennent un rapport particulier avec l’élévation : le ciel, les étoiles, le divin. Alors, pour toujours, tout un peuple se souvient du grand Bellini en regardant vers le haut, et non pas en arrière, vers le passé…
Par Chérif Ghemmour