Quand vous avez vu débarquer Yoann Gourcuff à Bordeaux, à l’été 2008, vous êtes-vous tout de suite rendu compte que vous étiez face à un joueur « différent » ?
Quand il est arrivé à Bordeaux, il sortait d’une saison quasiment blanche à Milan. Je m’attendais donc à un joueur embêté physiquement, qui allait subir une préparation plus longue et plus compliquée. Et bien pas du tout ! Il a appliqué exactement ce qu’on lui demandait de faire. Il s’est trouvé qu’au fil des matchs, on s’est aperçu – on avait une équipe très intelligente – qu’avec Yoann, on pouvait réaliser quelque chose d’autre que simplement un bon classement en championnat. Tous les joueurs se sont rendu compte qu’il fallait absolument l’aider, l’encourager. Cela s’est fait naturellement. Ils se sont rendu compte qu’il y avait un super joueur dans le groupe, et qu’en faisant des tâches que lui n’aimait pas, on allait obtenir des résultats meilleurs que ce qu’on espérait, et c’est ce qu’il s’est passé. Je crois que c’est ça : le groupe s’est aperçu qu’on avait à faire à quelqu’un de hors normes. Au niveau technique et au niveau physique. Physiquement, pour moi, c’était un monstre. Il était extrêmement pointilleux, il voulait connaître le déroulement des choses, savoir pourquoi on faisait tel exercice. Il fallait constamment être à son écoute, et lui expliquer. On a fait des tests particuliers, justement pour lui expliquer, et là, on s’est rendu compte qu’il avait un potentiel physique énorme. Énorme. Et puis, avec Laurent Blanc et Jean-Louis Gasset, il fallait qu’il fasse exactement ce qu’on lui disait de faire. Parce que c’est quelqu’un qui a tendance à faire plus. Et c’est ce qu’il s’est passé lors de sa deuxième saison chez nous. Comme cela a très bien marché lors de la première, il s’est dit qu’en ajoutant 10 à 15% de travail en plus, il allait obtenir 10-15% de résultats supplémentaires. Mais non ! Ce n’est pas comme cela que ça se passe, la préparation physique. Donc voilà, c’est un type intelligent, dont on ne garde que des bons souvenirs. Il n’y a qu’à voir ses analyses de matchs. Quand il termine le match, il livre quasiment une analyse d’entraîneur, il a du recul. Cela peut être énervant pour certains, mais c’est extrêmement agréable quand on a de bons rapports avec lui.
Ces 10 ou 15% de travail en plus qu’il s’est infligé lors de sa seconde saison bordelaise peuvent-ils expliquer ses pépins physiques à Lyon ?
Non. Chez nous, il n’a jamais été blessé. Je ne peux pas vous dire ce qu’il se passe à Lyon, je ne connais pas les dossiers.
Cela vous étonne, qu’il ait autant de pépins physiques ?
Oui, forcément, ça me rend curieux. Yoann, c’est une Formule 1 : un tout petit déréglage peut prendre de graves proportions.
À Bordeaux, son hygiène de vie était bonne ?
Je pense qu’elle était normale, même si je n’étais pas derrière lui vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Quand je pense à son passage chez nous, j’ai des frissons. Ce but contre le PSG, c’est exceptionnel, c’est le très, très haut niveau. Et en équipe de France, c’est remarquable, ce qu’il a fait. Il y est entré très facilement. Après, il y a certainement eu un petit déséquilibre quelque part. Cela lui appartient, je ne sais pas ce qu’il s’est passé, je ne l’ai plus eu avec moi. Mais physiologiquement, c’était quelqu’un de très, très, très fort. Très fort. Il n’y avait aucun problème. Il était à l’écoute de son corps, il faisait attention à tout. Pour moi, il était même trop à l’écoute. Il était trop pointu, il en voulait toujours plus. Souvent, je lui disais : « Yoann, arrête ! Là, t’as atteint ton maximum. Laisse faire, reste comme ça le plus longtemps possible. Déjà, là, c’est exceptionnel ! » Lui, il avait tendance à vouloir faire un peu plus. Ce petit plus qu’on fait parfois dans un exercice, lors d’un travail spécifique, fait souvent basculer de l’autre côté, vers la blessure, les petits pépins physiques. Et ça, c’était assez compliqué de lui faire comprendre. Mais cela partait d’un bon sentiment, il voulait progresser. Est-ce que c’est ce qui explique son état actuel ? Je n’en sais rien. La préparation physique, c’est un travail de minutie. Le moindre travail supplémentaire peut entraîner une blessure. Tout comme une mauvaise nuit, par exemple.
Quel type de questions pouvait-il poser pendant les entraînements ?
Il était attentif à tout. Il voulait savoir pourquoi on faisait tel type de travail, ce que ça pouvait apporter, quel type de ressenti… Comme un professionnel qui s’intéresse à son métier. Il faut expliquer aux joueurs ce qu’on fait, pourquoi on le fait, et vers quoi on tend avec ce travail-là.
Il lui arrivait de ne pas comprendre l’utilité d’un exercice ?
Non, jamais. C’était une adoration. Tout le monde l’adorait à Bordeaux. Il revient souvent, d’ailleurs. C’est quelqu’un qui ne nous a donné que du bonheur. Cela fait 43 ans que je suis dans le milieu, j’en ai vu, des matchs. Et bien j’ai des frissons quand je pense à certains de ses matchs. Vraiment. Par exemple, à Rennes, à 10 contre 11, où on devait absolument gagner, quand il met cette reprise à la dernière seconde… Tous les joueurs avaient compris qu’il fallait le protéger de toutes les agressions physiques dont il pouvait être victime. Il fallait le mettre sur un piédestal, comme un grand joueur capable de tirer le groupe vers le haut.
Comment se comportait-il avec le reste du groupe ?
Très bien. Le groupe l’adorait et le lui faisait sentir. Et ça, il adorait. Il sentait un groupe, un club, des supporters derrière lui. À Bordeaux, c’était le roi, mais il n’en profitait pas du tout. La seule petite chose qu’il doit améliorer, c’est de mieux accepter son côté star. Ce n’est pas une tare, d’être reconnu. Au contraire. C’est quelqu’un d’extrêmement timide et réservé. Cela le gêne d’être mis au-dessus. Être mis en compétition, à très haut niveau, avec quelqu’un d’autre, peut éventuellement le gêner. Il n’aime pas le côté star de ce métier. Il va falloir qu’il fasse des efforts, parce que ça fait partie du jeu.
À Bordeaux, il n’avait pas de préparateur physique particulier ?
Non, parce que Laurent Blanc ne supporte pas trop ce genre de choses. Yoann était très proche de Blanc et Gasset, j’avais souvent son père au téléphone… Christian, c’est un copain. On a le même âge, on a souvent joué l’un contre l’autre, on se connaît depuis qu’on a dix-huit ans. On discutait souvent, je savais que de ce côté-là, il n’y avait aucun souci.
Lyon : à Textor et à travers