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Homophobie en tribunes : tout sauf banal

Par Adrien Hémard-Dohain

Lors du dernier Classique, la démonstration du PSG a été entachée par des chants homophobes, longtemps entonnés par les différentes tribunes de l’enceinte. Alors que le sujet de l’homophobie dans le football est revenu sur la table, qu’en est-il de la vraie lutte sur le terrain, au-delà des belles phrases dans les médias ?

Homophobie en tribunes : tout sauf banal

On devrait plus souvent s’inspirer des fans irlandais, s’époumonant à l’unisson sur Zombie des Cranberries après la victoire du XV au Trèfle face à l’Afrique du Sud samedi soir au Stade de France. Le lendemain, dans l’autre grande enceinte francilienne, alors que le PSG écrasait l’OM lors du Classique, le virage Auteuil a chambré copieusement les Phocéens, à grands coups de chants homophobes. Un triste spectacle, tout sauf inédit. Mais ce qui a retenu l’attention, c’est que les chants en question ont été repris par une très large partie du public parisien. S’agissant d’une rencontre ultra-exposée, le sujet s’est vite invité au menu politique de la semaine, quand bien même ces chants pullulent dans tous les stades français, et ce, depuis toujours. « J’avais la sensation d’un déjà-vu, tant dans les chants que dans les réactions ensuite, souffle Lucile, membre des Dégommeuses, une équipe associative qui a fait de la lutte contre les discriminations son cheval de bataille, et qui ne cache pas sa lassitude. En 2019, la réponse avait été de suspendre les matchs, sans qu’il y ait spécifiquement de réflexion sur la pédagogie, les actions de terrain. Cette fois-ci, c’est vers le dispositif juridique que se tourne le discours officiel. » Même amertume chez Yohann Lemaire : « Tout le monde critique, parle, mais personne ne fait rien. » Alors, une fois l’indignation politique générale passée, que fait-on ?

Arrêtons d’arrêter les matchs

Depuis vingt ans, Yohann Lemaire combat l’homophobie dans le football avec son association Foot Ensemble, lui qui a longtemps été le seul joueur (amateur) ouvertement gay. À ses yeux, le seul point positif de ce dernier épisode médiatique, c’est que le sujet n’est plus tabou : « Au moins, on en parle. Après, qu’est-ce que ces types ont dans le citron pour continuer ces chants ? C’est une bande de ringards qui donnent raison à ceux qui disent qu’on ne voit ça que dans le foot. » Des ringards qui perpétuent une triste tradition, comme le rappelle Nicolas Hourcade, sociologue spécialiste des supporters : « Ces insultes ont été complètement tolérées pendant longtemps. Elles se sont intensifiées depuis les années 1980. Elles n’étaient alors pas considérées comme discriminatoires, mais comme folkloriques, selon une expression répandue dans le monde du foot. » Mais là où les chants racistes ont été combattus dès les années 1990, ceux à caractère homophobe ne le sont que depuis une dizaine d’années. « C’est lié aux évolutions de la sensibilité de la société sur ces sujets, explique Hourcade. Ce qui est compliqué, c’est de faire comprendre à des gens que ce qu’ils ont chanté depuis des années n’est aujourd’hui plus acceptable et toléré. On se retrouve dans un dialogue de sourds. »

Les gens nous disaient qu’on leur cassait les couilles à se victimiser. Ça n’a plus de sens d’arrêter les matchs, sauf pour faire une action pédagogique .

Yohann Lemaire

Car en face, le même argument revient inlassablement : les tristes choristes nient l’intention homophobe de leur chant. « Parfois, elle est revendiquée comme telle par des groupes radicaux, en ex-Yougoslavie, en Pologne. Dans ces pays, des groupes ultras ou hooligans ont pu attaquer des Gay Pride. En France, ce phénomène d’homophobie ouverte existe dans les stades, mais c’est un phénomène moins répandu que l’usage de ces insultes par des individus qui en nient ou n’en voient pas la portée discriminatoire, résume le sociologue. À l’été 2019, il y a eu des débats sans fin pour savoir si chanter “Marseille ou Paris on t’encule” était homophobe. En revanche, quand on insulte un adversaire en le traitant de pédé, le caractère homophobe ne peut pas être nié, même s’il n’est pas toujours perçu comme tel par les supporters. » La grande réponse était alors d’arrêter systématiquement les matchs. À l’époque, Yohann Lemaire était partisan de cette mesure, mais il a changé d’avis depuis : « On s’est rendu compte que c’était maladroit, que ça mettait de l’huile sur le feu. Les supporters faisaient exprès de chanter pour arrêter les matchs. Et les gens nous disaient qu’on leur cassait les couilles à se victimiser. Ça n’a plus de sens d’arrêter les matchs, sauf pour faire une action pédagogique, comme une vidéo explicative sur les écrans géants. »

Des progrès, mais un conservatisme ambiant

Les sanctions collectives n’ont de toute façon plus aucun soutien parmi les personnes engagées dans la lutte. « Qu’on trouve ceux qui lancent les chants, qu’on trouve les responsables des associations que ça fait rire, qu’on trouve ceux qui chantent haut et fort et qui assument », exhorte Lemaire. D’autant que, à l’image du Parc des Princes dimanche, ces chants ne viennent pas que des virages ultras, loin de là. « À Strasbourg, le directeur de la sécurité m’expliquait que les ultras faisaient de gros efforts, mais que ces insultes venaient des tribunes familiales et VIP aussi. Qu’est-ce qu’il peut y faire, le gars ? », s’inquiète Yohann Lemaire, qui rencontre régulièrement les supporters les plus chauds de France via son association, Foot Ensemble. Ayant pour but de sensibiliser, ces échanges ont aussi lieu dans les centres de formation et dans les vestiaires des clubs pros, sous l’égide de la LFP. Cette dernière indique ainsi que, depuis novembre 2021, « 39 ateliers ont été organisés dans 17 clubs différents, 12 ateliers sont prévus dans les jours à venir dans 5 autres clubs (Annecy, Reims, Ajaccio, Troyes, Auxerre) ». Cette saison, ces interventions sont même devenues un critère pour obtenir la licence Club de la LFP. Et les 202 sanctions (106 rappels à l’ordre, 61 amendes avec sursis, 34 amendes fermes, 1 fermeture de tribune) prises en 175 matchs la saison passée attestent de l’urgence de la situation.

Si le sujet revient sur la table depuis cinq ans à l’occasion de la journée marquée par les flocages arc-en-ciel, les actions concrètes sont donc menées, sur le terrain. Une plateforme de signalement a aussi été lancée en 2019. En première ligne de cette lutte, Yohann Lemaire appelle pourtant à « démultiplier ces actions pédagogiques avec les supporters, il en faudrait 100 fois plus, et que les clubs s’engagent vraiment ». Les Dégommeuses insistent sur la nécessité d’aller aussi les mener dans le monde amateur. Le point noir dans tout ça, c’est que toute la bonne volonté du monde ne suffit pas toujours. « On a aussi affaire à des gens en dessous de tout. Certains référents de supporters m’ont déjà dit que le supporter n’a pas à lutter contre l’homophobie, que le joueur n’a pas à porter de maillot arc-en-ciel, qu’il ne faut pas faire de politique au stade, témoigne Lemaire. Derrière, on n’a plus aucune crédibilité auprès du capo et des autres personnes. J’ai envie de dire au club : démerdez-vous, payez les amendes. » Si bien que l’Ardennais reste pessimiste : « On n’éradiquera jamais le problème, mais si on peut au moins taper fort sur les individus qui commencent à être pénibles… »

Quand je vois les sorties pitoyables de certains coachs de L1 l’an passé sur les flocages arc-en-ciel… À l’usine, si je sors ça, je suis viré !

Yohann Lemaire

Les progrès sont toutefois notables, depuis plusieurs années. « À travers la visibilité des équipes féminines, il y a une présence plus importante des lesbiennes à l’écran, des joueuses qui portent cette question à une plus grande échelle, note Lucile, qui tempère toutefois. Ça reste très, très lent. On attend des actions plus franches de la part des instances, qu’elles sortent de la répression. » Plus inquiétant, sur le terrain, Yohann Lemaire « rencontre beaucoup de joueurs pros pour qui le maillot arc-en-ciel pose problème ». Il ajoute : « Je travaille avec des théologiens et des imams aujourd’hui, pour des modules vidéo. Les évêques ne veulent pas parler devant la caméra. On travaille avec des historiens aussi pour déconstruire les préjugés qu’on rencontre dans les vestiaires, et c’est de plus en plus dur… » Mais celui qui travaille dans une usine ardennaise où clamer son vote pour le RN « est devenu normal » ne s’avoue pas vaincu. « À Metz, quand le club a su que je venais voir les supporters, le centre et la N3 m’ont contacté, le coach a décalé l’entraînement pour bénéficier également de l’atelier. Jamais on n’aurait vu ça il y a quelques années. C’est réjouissant, apprécie-t-il, sans s’enflammer. Il ne faut pas être dupe : si les clubs le font, c’est qu’ils savent qu’il y a des problèmes. De toute façon, quand je vois les sorties pitoyables de certains coachs de L1 l’an passé sur les flocages arc-en-ciel… À l’usine, si je sors ça, je suis viré. » Preuve que si la lutte s’est intensifiée ces dernières années, elle s’annonce encore longue.

Par Adrien Hémard-Dohain

Tous propos recueillis par AHD.

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